Thomas Saunier, directeur général de Malakoff Humanis, dresse le bilan 2024 et décline ses objectifs 2025. Il évoque le développement d’un réseau d’agents généraux « nomades » et la politique tarifaire du GPS pour l'année qui s'ouvre. Le directeur général réitère également son appel à un dialogue entre Assurance maladie obligatoire et complémentaires inscrit dans le temps long, notamment pour adapter le contrat responsable et optimiser la lutte contre la fraude. Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le numéro 308 daté de janvier de La Tribune de l’assurance.
Que représente la distribution intermédiée au sein du groupe Malakoff Humanis ?
Notre modèle de distribution est équilibré : moitié direct et moitié courtage, grâce à l’antériorité de notre filiale Quatrem. À l’origine, le groupe s’appuyait exclusivement sur un réseau salarié. Par la suite, une activité de vente à distance a été développée, puis nous avons ajouté le canal courtage, qui couvre plusieurs segments : courtage de proximité, courtage spécialisé et grand courtage. Nous avons ensuite intégré une activité courtiers, notamment après le rachat d’Axéria prévoyance. Aujourd’hui, nous capitalisons également sur d’autres réseaux, par exemple le réseau de salariés et d’agences de La France mutualiste (LFM).
Pour renforcer encore notre distribution, nous créons un réseau d’agents généraux exclusifs (mandataires sous statut d’agent) qui vient renforcer nos récentes acquisitions : Zen Up pour l’assurance emprunteur, Gédeon pour la retraite supplémentaire et la participation de LFM dans Mon petit placement, qui se concentre sur l’épargne.
Ces acquisitions renforcent vos investissements stratégiques dans le digital depuis 2023.
Oui, dans le cadre de notre plan «Smile 2026», nous investissons massivement dans la data et le digital afin de gagner en performance et en satisfaction client. Actuellement, le taux de satisfaction est de 85 % en individuel et de 78 % côté entreprise. Nous accordons une attention particulière à la satisfaction de nos clients entreprises. Nous avons investi ces deux dernières années pour optimiser leur espace client. Cette évolution a été rendue possible grâce à la migration, fin 2022, de nos deux systèmes d’information, ex-Malakoff Médéric et ex-Humanis, en un seul système unifié. Mi-décembre 2024, nous avons également finalisé la migration de tout le SI courtage.
Quel est le calendrier de votre nouveau réseau d’agents généraux ?
À l’horizon 2026, nous prévoyons de constituer un réseau d’une centaine d’agents exclusifs, sans boutique, qui iront directement à la rencontre des clients. Ces agents, que nous sélectionnons parmi les meilleurs profils, se spécialisent dans la distribution de produits santé, prévoyance et épargne, avec pour cible prioritaire les TPE et TNS. Nous recevons un volume important de candidatures, le modèle de Malakoff Humanis est attractif.
Notre réseau de collaborateurs conserve son rôle central, principalement pour la distribution auprès des entreprises de plus de 50 salariés, tandis que les agents exclusifs se concentreront sur les entreprises de moins de 50 salariés. Ces deux réseaux se complètent efficacement.
Quelle politique tarifaire avez-vous arrêtée pour 2025 ?
Les tarifs prévus pour 2025 ont été calculés en anticipant une dérive des dépenses organiques ainsi que des transferts de charge connus au moment d’établir les tarifs (de l’ordre de 500 M€ sans compter celles attendues dans un prochain PLFSS). Ces transferts sont devenus une habitude depuis trois ans, ce qui entraîne des hausses de tarifs sur le marché comprises entre 6 et 10 % chaque année alors que jusqu’en 2020, ces augmentations étaient plus modérées, de l’ordre de 2 à 3 %.
À date et sans que nous puissions encore prévoir les mesures exactes qui seront appliquées, nous estimons que le dérapage des prestations, qui correspond à l’augmentation de la consommation de soins s’élève à 5,2 % pour l’individuel et 7,5 % pour le collectif. Ces prévisions s’inscrivent dans la continuité des dérapages observés en 2023 et 2024.
À partir du 1er janvier 2025, Malakoff Humanis a décidé d’appliquer une augmentation de 3 % sur les tarifs individuels et de 7,4 % pour les contrats collectifs. Sur le marché de la santé, les contrats individuels affichent de meilleurs ratios combinés que les contrats collectifs. C’est pourquoi nous avons choisi d’accepter une dégradation du ratio combiné en santé individuelle, tout en cherchant à améliorer celui du collectif.
Quels sont les ressorts de ces hausses ?
Au-delà du déficit bien réel de la Sécurité sociale, nous déplorons surtout l’absence de communication entre les complémentaires, la Direction de la sécurité sociale et l’Assurance maladie. Des échanges réguliers, dans une perspective pluriannuelle, permettraient d’aborder des questions cruciales liées notamment à la maîtrise des dépenses de santé comme la fraude, les transferts de charges ou encore les solutions possibles pour réduire les déficits du système de santé à moyen et long terme.
Quels sont les moyens de lutter plus efficacement contre la fraude ?
En ce qui concerne la fraude, nos chiffres sont parlants : à la fin de l’année 2023, nous avions détecté 52 M€ de fraudes. En octobre 2024, ce montant avait déjà été atteint, et nous estimons qu’il atteindra 70 M€ sur l’année. Cela représente plus de 2 % des prestations, ce qui permet d’éviter à nos clients une augmentation de tarifs de 2 %. Deux freins principaux subsistent pour aller plus loin. Tout d'abord, il est indispensable que les organismes comme le nôtre soient reconnus en tant qu’acteurs à part entière de cette lutte contre la fraude. Cela nous permettrait d’exploiter pleinement les données dont nous disposons.
Ensuite, il y a toujours et encore trop peu d’échanges d’information avec la Cnam. Il est compliqué d’échanger efficacement les informations et résultats de nos investigations respectives avec l’Assurance maladie, nous ne disposons pas d’un guichet unique, ce qui limite notre impact et les synergies AMO-AMC.
Il faut que public et privé travaillent de concert à améliorer la performance de notre système de santé auquel nous sommes tous attachés. Pour cela, il conviendrait d’inscrire une réflexion commune dans une vision pluriannuelle, ce qui ne semble pas être d’actualité sur le plan politique.
Qu’en est-il du Cdoc, l’instance créée justement pour favoriser le dialogue AMO-AMC ?
Notre dernière réunion remonte à fin 2022, il y a eu trois ministres de la Santé depuis… Il est pourtant essentiel d’institutionnaliser des réunions régulières avec cette instance qui rassemble l’État, l’Assurance maladie et les fédérations des complémentaires.
Trois thèmes doivent être abordés ensemble de façon prioritaire : la maîtrise globale des dépenses – y compris la lutte contre la fraude – la prévention et le cadre contractuel notamment des contrats responsables. Des échanges pluriannuels, fondés sur le partage de données et de bilans, permettraient de trouver des solutions durables et d’apporter une réelle efficacité face aux défis majeurs de notre système de santé.
Comment selon vous responsabiliser davantage assurés et professionnels de santé ?
Certains médicaments jugés « très efficaces », c’est-à-dire avec un service médical rendu majeur, sont remboursés à hauteur de 65 % par la Sécurité sociale, les Ocam ayant obligation de compléter à hauteur de 35 %. Mais d’autres molécules au service médical rendu plus modéré ou faible sont remboursées à 30 % par la Sécurité sociale, les Ocam devant régler les 70 % restants. C’est-à-dire que quel que soit le bénéfice rendu par un médicament, AMO et AMC le remboursent à 100 %. Un système plus responsable, vertueux et équitable pour tous pourrait décider de fixer les remboursements des médicaments par les Ocam en fonction de leur service médical rendu évalué par les autorités sanitaires.
Faut-il faire évoluer le cahier des charges du contrat responsable ?
Je ne pense pas qu’il faille sortir du contrat responsable. La solution pour optimiser ces contrats est là encore de travailler avec l’Assurance maladie plutôt que de sortir des contrats avec des offres non-responsables au rabais, plus coûteuses pour l’assuré qui supporte 23 % de taxe.
Nous devons commencer par faire un bilan du contrat responsable mis en place il y a vingt ans et dont nous avons perdu de vue l’objectif de départ : la lutte contre le renoncement aux soins des personnes les plus fragiles, pour en tirer des enseignements. Puis, à partir de ce bilan, nous pourrions optimiser le 100 % santé et aménager le socle du contrat responsable car un étudiant, un retraité, un salarié n’ont pas les mêmes besoins de santé.