Walter Eraud, DG de la succursale française du réassureur Swiss Re, aborde les grandes tendances qui ont marqué l’exercice 2022, de la sinistralité climatique exceptionnelle à la création de «Swiss Re Solutions», et celles qui marqueront 2023, de la nouvelle organisation interne à la hausse des demandes de réassurance en Europe.
Comment s’est conclu l’exercice 2022 pour Swiss Re France ?
Nous comptons parmi les dix premiers marchés mondiaux du groupe Swiss Re, avec des primes acquises nettes de 1 Md$ en 2022. Nous couvrons la France, la Belgique et le Luxembourg. Le bureau de Paris compte 110 personnes. Nous opérons autant en traité qu’en facultative, sur tous les risques cédés par le marché français (dommages aux biens, RC, vie et santé) ainsi que sur les branches de spécialités comme le crédit, le maritime, l’aviation ou la construction. Nous avons une dominante dommages aux biens puisqu’il s’agit du risque le plus cédé en France. Cela représente plus de 50 % de notre chiffre d’affaires dont la moitié provient du risque climatique.
En France, en 2022, la charge climatique a été de 10 Md€, dont 6,5 Md€ dus à la tempête et surtout à la grêle de printemps. La sécheresse a complètement déséquilibré les résultats techniques ces cinq dernières années. Le marché français a également été touché par l’inflation du coût des sinistres matériels automobile, habitation et des dommages corporels liés à l’augmentation du coût de la tierce personne qui se ressent dans les indemnisations. Résultat, le ratio combiné 2022 du marché et de Swiss Re France a largement dépassé les 100 %.
Comment se sont passés les renouvellements de janvier ?
2022 a été difficile pour la réassurance dans son ensemble, ce qui a conduit à des renouvellements 2023 tendus du fait de la contraction de la capacité que la sinistralité climatique a engendrée. La réponse du marché a été de remonter de manière significative les rétentions des cédantes pour que la charge climatique soit mieux partagée. Les rétentions des protections climatiques ont augmenté en moyenne de 80 % lors du dernier renouvellement.
Comment se présente 2023 ?
Nous avons renouvelé 95 % de nos affaires au 1er janvier 2023, nous commençons donc à avoir une bonne visibilité sur l’exercice à venir. Swiss Re a bénéficié de sa position de leader et de sa moindre dépendance à la rétrocession pour déployer sa capacité à des conditions plus techniques : un meilleur partage du risque, des prix reflétant les sinistres attendus, et des conditions de couverture plus objectives. Nous avons notamment retravaillé la couverture de certains périls comme la subsidence qui jusqu’à présent était intégrée dans des couvertures de réassurance sous-jacentes mais qui sont en train de prendre de l’ampleur.
Nous avons également clarifié des clauses de traités qui étaient sujets à interprétation comme les pertes d’exploitation sans dommages ou le risque cyber. Nous avons davantage objectivé ces risques pour laisser moins de place à l’interprétation. Globalement, Swiss Re a pris différentes mesures concernant la structure, le prix et le champ de couverture de ces traités pour être plus en ligne avec son appétit au risque. Nous entamons 2023 avec un portefeuille plus sain.
Quelle clientèle compose votre portefeuille et quelles sont vos ambitions ?
Notre ambition est de continuer d’accompagner l’ensemble des acteurs du marché, les groupes d’assurance comme les petites mutuelles qui ont des besoins spécifiques. Nous souhaitons leur apporter un soutien qui leur permette de s’adapter à cet environnement de risque croissant, soit sous forme de capacités soit sous forme de solutions technologiques.
Collaborez-vous avec les InsurTech ?
Par vocation, les réassureurs leader ont toujours eu un rôle d’incubateur de nouveaux acteurs de marché. Il y a trente ans, la bancassurance est née grâce à la réassurance et est devenue un acteur établi. Nous nous inscrivons dans cette démarche. Le marché français connaît ces trois dernières années une effervescence que l’on n’avait pas connue depuis des années, soit par des capacités alternatives soit par la couverture de risques émergents. On peut penser par exemple à Descartes Underwriting qui permet, grâce à ses produits paramétriques, d’offrir de nouvelles capacités et de nouvelles solutions au marché. Ou encore Stoïk qui offre une couverture cyber des entreprises, une garantie qui sera sûrement amenée à se répandre à l’avenir.
Quelle est la place des solutions technologiques au sein de Swiss Re ?
Nous utilisons différentes solutions, créées par nos équipes, que nous commercialisons auprès de nos clients. C’est le cas de CatNet®, un outil de modélisation qui génère un score d’exposition aux risques climatiques (sécheresse, inondation, tempête). Les assureurs peuvent tester le score de leurs assurés et ainsi en tenir compte dans leur tarification. Nous avions développé cette technologie pour nos propres besoins puis nous l’avons mis à disposition de nos clients sous forme d’application.
En vie, nous avons développé un outil de souscription automatisé pour l’emprunteur et la prévoyance individuelle, Magnum®. Pour les compagnies d’assurance ou leurs gestionnaires, cet outil permet d’aller plus vite dans la réponse fournie aux clients. Dans 80 % des cas, les assurés obtiennent une réponse automatisée, sans passer par des démarches médicales additionnelles. Ce sont des services payants intégrés dans une offre de réassurance globale.
Début 2022, nous avons créé une division à part entière dédiée à nos solutions sous l’entité « Swiss Re Solutions » qui a vocation à apporter à nos clients des outils technologiques mais aussi des services de consulting comme l’analyse de portefeuille pour leur permettre d’apprécier plus finement leur exposition au risque, ce dont nous bénéficions ensuite indirectement. Les clients apprécient que nous utilisions cette technologie pour nos propres besoins. Il y a un alignement d’intérêt donc les clients ont davantage confiance. Ces solutions sont le fruit de nombreuses années d’expérience, acquises en France et à l’international, ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir une base de données fiable.
Quelles sont les perspectives de développement de cette entité ?
Nous investissons massivement pour le développement de cette division. Cela nous semble nécessaire si l’on veut s’adapter au nouvel environnement climatique. Ces technologies sont un garant de la pérennité de notre modèle, car ne pas anticiper les risques futurs pourrait avoir des conséquences néfastes sur nos résultats techniques, mais c’est aussi un outil de croissance pour Swiss Re. Nous avons investi dans plus de 125 programmes R&D et développé 190 modèles de catastrophes naturelles propriétaires. Nous faisons partie des rares acteurs à avoir notre propre modélisation climatique et à ne pas faire appel à un prestataire externe.
Cette entité travaille aussi sur d’autres domaines que le climatique comme la mobilité. Nous développons des algorithmes à destination de nos clients pour tenir compte de la technologie embarquée dans les véhicules. Nous mesurons l’impact de cette technologie sur la sinistralité des assureurs à partir d’une base de données internationale. Cela permet là aussi de générer un score de sécurité pour mieux apprécier le risque. Les solutions apportent de la valeur au groupe sans consommer de capital. C’est un agent économique qui devra trouver sa rentabilité à moyen terme. Notre objectif est d’obtenir des résultats significatifs à l'horizon 2025.
Le recrutement est-il également un levier de développement ?
Le recrutement est devenu une priorité chez nous. Nous sommes toujours à l’affût de nouvelles compétences mais le marché de l’emploi est tendu, il y a beaucoup d’attrait pour les profils que nous recherchons. Nous faisons donc preuve d’ouverture d’esprit pour faire venir les talents, nous ne recherchons pas un modèle unique du souscripteur traditionnel.
Nous recherchons plutôt la diversité et le potentiel. Nous avons développé un programme de formation de graduates. Nous recrutons tous les ans un pool d’étudiants post-études, nous les formons pendant dix-huit mois via des missions courtes dans différents services et pays avec la garantie d’un job à la sortie. C’est une sorte de pépinière de talents. C’est un investissement mais qui est très valorisant sur le long terme. Par ailleurs, nous sommes considérés comme une marque attractive. Avec une expertise technologique et une culture internationale, nous portons également des valeurs en travaillant à la meilleure résilience du monde.
Le départ de Thierry Léger, ex-directeur de la souscription, aura-t-il des conséquences ?
Qu’il ait choisi une autre opportunité de carrière ne change en rien notre trajectoire. Il n’y aura pas de conséquences sur nos activités. Il se trouve que concomitamment, notre nouvelle organisation a été dévoilée mais ce n’est pas lié.
Quels sont les ressorts de cette réorganisation ?
La nouvelle organisation se veut plus proche des clients, plus lisible et plus agile. En lieu et place d’une entité réassurance globale avec une organisation régionale – États-Unis, Asie, Europe – le groupe a brisé ces structures pour mettre en place des entités par ligne d’affaires déclinées par marché. Depuis le 3 avril, Swiss Re se compose de quatre Business Units : Property & Casualty Reinsurance, Life & Health Reinsurance, Corporate Solutions et Global Clients & Solutions.
Quel est votre regard sur la montée en charge de la sinistralité climatique en Europe ?
2022 a été la deuxième année la plus coûteuse en France après les tempêtes de 1999 et nous avons également connu en 2021 des inondations exceptionnelles en Allemagne et en Belgique. Les périls secondaires, qui avaient une sinistralité récurrente ou une intensité bien moindre par le passé, sont en train de devenir des périls principaux. Ce n’est pas que nous avons moins de capacités disponibles. Il s’agit plutôt d’une situation nouvelle à laquelle nous devons nous adapter pour que nos modèles représentent mieux dans la souscription et la tarification cette nouvelle sinistralité. Ce n’est pas une remise en cause des fondamentaux mais une adaptation à un nouvel écosystème. En France, l’urbanisation des côtes génère des expositions à la submersion marine qui n’est plus la même qu’il y a trente ans mais ce sont des phénomènes que nous pouvons anticiper et appliquer dans la gestion de nos portefeuilles.
Quelle conséquence pour les opérations européennes de Swiss Re ?
Nous observons effectivement une demande de capacité complémentaire. En Allemagne par exemple, au 1er janvier 2023, le marché allemand a acheté pour 2 Md€ de capacités complémentaires par rapport à 2022 pour pouvoir faire face à cette demande, en conséquence des inondations de 2021. Nous devons être en capacité d’accompagner le marché face à cette montée en charge de la sinistralité sur le sol européen, ce que nous sommes en mesure de faire grâce à notre capital suffisant.
Peut-on toujours diversifier son portefeuille en Europe ?
La diversification des périls et des pays est au cœur de notre modèle et donc nous sommes très vigilants à la juste répartition des risques. Traditionnellement, Swiss Re a toujours été très présent en Europe qui est un bon contrepoids des pics de risques que sont les ouragans aux États-Unis et les tremblements de terre au Japon. Les récents événements nous ont amenés à ajuster nos modèles en conséquence. Grâce à cette nouvelle vision du risque, nous sommes en mesure de mieux piloter la contribution positive de la diversification en Europe apportée à nos équilibres techniques.