Stratégie

L’entreprise à mission, pour quoi faire ?

Publié le 23 janvier 2023 à 9h00

Genevière Allaire    Temps de lecture 11 minutes

La loi Pacte a fait émerger les « entreprises à mission ». Les acteurs de l’assurance se saisissent de ce statut pour affûter leur stratégie.

Fournissant depuis plus d’une décennie des services de téléassistance aux personnes âgées, Arkéa assistance est devenue « entreprise à mission » le 30 mai dernier. À cet effet, cette filiale du Crédit mutuel Arkéa dotée d’une équipe de 30 salariés s’est fixée comme raison d’être d’« améliorer la qualité de vie par un accompagnement fondé sur l’innovation sociale et technologique ». Éric Le Berre, coordonnateur du projet d’entreprise à mission chez Arkéa assistance, explique ses ambitions : « Par l’adoption du statut d’entreprise à mission, nous donnons du sens à nos missions pour les années à venir et nous définissons un cap en vue de développer nos produits et nos solutions dans des conditions optimales. » C’est aussi l’occasion de sensibiliser les salariés du téléassisteur, dont la moyenne d’âge est de 30 ans, sur les enjeux environnementaux, sociétaux et sociaux. Entré dans le droit français par la loi Pacte adoptée en 2019, le statut d’entreprise à mission a pour but de concilier l’intérêt d’une entreprise avec la réalisation d’objectifs d’intérêt général. Chaque entreprise désirant endosser cette qualification doit définir une raison d’être et des objectifs statutaires, eux-mêmes déclinés en objectifs opérationnels (voir encadré ci-dessous). « Les principes définis dans le cadre de l’entreprise à mission servent de boussole à l’entreprise. Chaque nouvelle action doit correspondre à l’un des objectifs définis dans les statuts et un pilote est nommé pour la mener à bien. C’est un outil qui apporte de la visibilité et nous différencie de nos concurrents », ajoute Éric Le Berre.

RSE

Oz, courtier spécialiste des risques d’entreprise basé à Nantes, est le premier intermédiaire en assurances d’entreprises à avoir adopté le statut. Il a semblé logique et essentiel aux fondateurs de ce cabinet de quatre collaborateurs créé en 2020 d’intégrer les fondements de la RSE (responsabilité sociétale et environnementale) afin d’ancrer l’entreprise dans un modèle engagé et responsable. « La qualité d’entreprise à mission paraissait être le bon vecteur pour donner de la visibilité à nos salariés, à nos clients, aux investisseurs potentiels et, plus globalement, en vue d’inscrire notre vision sur le long terme », indique Laëtitia Messner, fondatrice et dirigeante d’Oz. Le cabinet s’est lancé dans la démarche quelques mois après sa création en 2020 et a obtenu le statut de société à mission en juillet 2021. La raison d’être d’Oz est de « protéger les entreprises et de favoriser leur impact en concevant des solutions d’assurance utiles, simples et transparentes ». Pour Laëtitia Messner, « travailler à l’obtention de la qualification d’entreprise à mission est l’occasion pour Oz de prendre du recul par rapport à son activité, de formaliser des valeurs, et de donner du sens à l’entreprise. Une telle démarche permet de se créer des contraintes positives en inscrivant dans le marbre le sens de l’évolution, tout en y associant l’ensemble des parties prenantes (salariés, fournisseurs, clients) ». Sur le plan opérationnel, Oz établit annuellement une classification des assureurs à partir de la politique RSE décrite dans leur rapport financier. Le cabinet mène aussi une analyse des placements des porteurs de risques travaillant préférentiellement avec ceux qui privilégient les fonds verts/ISR/ESG.

Selon un baromètre publié en septembre 2022 par l’Observatoire des sociétés à mission, on dénombrait en France 726 sociétés à mission fin juin 2022 (entreprises ayant effectué la démarche jusqu’à la modification des statuts). Avec 207 entreprises à mission dénombrées fin 2020 tous secteurs confondus, l’observatoire constate une progression à deux chiffres chaque trimestre, ainsi qu’un doublement entre 2020 et 2021.

En termes de répartition selon l’activité, le secteur des services est le plus représenté avec 79 % des sociétés à mission. Par comparaison, la proportion d’entreprises à mission du commerce et de l’industrie représente respectivement 11 % et 9,5 %. Si la Tech est la branche qui comptabilise le plus d’entreprises à mission, elle est suivie de près par la finance et la banque. En 2021, ces secteurs ont été particulièrement dynamiques dans la transformation en entreprises à mission. À l’issue du 1er semestre 2022, la finance, la banque et l’assurance comptaient un total de 62 entreprises à mission.

En mission de contrôle du dispositif

L’Observatoire des sociétés à mission répertorie les quatre principaux enjeux qui incitent les entreprises à se doter de ce titre. Le premier est de favoriser l’engagement des collaborateurs et d’attirer de nouveaux talents. Le deuxième est d’engager l’entreprise vers les enjeux environnementaux (climat, biodiversité, etc.). Viennent ensuite l’engagement de l’entreprise vis-à-vis des enjeux sociaux externes (santé, alimentation, éducation, égalité des chances…) et des enjeux sociaux internes (diversité, bien-être, partage de la valeur…).

Dérèglement climatique, crise sanitaire générée par la Covid-19, autant d’éléments qui remettent en cause les liens sociaux et économiques. « Les entreprises ont véritablement un rôle à jouer pour que notre société puisse continuer à apporter à chacun ce dont il a besoin pour vivre. Notre activité économique doit concilier performances sociales, économiques et environnementales », pointe Lionel Fournier, directeur santé et écologie d’Harmonie mutuelle. En juillet 2021, celle-ci est devenue la première entreprise mutualiste à mission. Sa raison d’être consiste à « agir sur les facteurs sociaux, environnementaux et économiques qui améliorent la santé des personnes autant que celle de la société en mobilisant la force des collectifs ». Un leitmotiv qui permet d’élargir l’activité d’Harmonie mutuelle au-delà de sa sphère historique de la complémentaire santé en partant du principe que la santé est multifactorielle, et qui contribue à faire basculer le système de santé vers le préventif. C’est aussi le moyen de rappeler que son modèle repose sur la solidarité et est donc animé par des principes de redistribution. Chez Harmonie mutuelle, plusieurs centaines de salariés et d’élus se sont mobilisés pour définir la raison d’être. Une raison d’être aussi évoquée à l’étape des recrutements qui met en avant la capacité de la mutuelle à rester dans l’air du temps et qui retient l’attention des candidats. En tant qu’entreprise mutualiste à mission, Harmonie mutuelle a établi un partenariat avec l’Agence nationale de transition écologique (Ademe) dans le but de contribuer à ralentir le réchauffement climatique, de préserver la biodiversité et, par ricochet, de préserver la santé des salariés. Pour Harmonie mutuelle, un tel engagement se concrétise à travers la mise en place de mesures préférentielles sous forme d’avantages ou de services pour ses entreprises clientes engagées dans la transition écologique.

Dans l’ADN de l’assureur

Pionnière dans le secteur des assurances pour l’obtention du statut d’entreprise à mission et première grande entreprise française à s’être engagée dans cette voie, la Maif s’est tout naturellement tournée vers le concept dès l’adoption de la loi Pacte, car « en tant qu’acteur engagé historiquement, cette démarche comportait des résonances avec notre ADN d’assureur militant », relève Franck Carnero, directeur mission et impact de la mutuelle niortaise. C’est ainsi que Maif avenir est devenue entreprise à mission en janvier 2020. La structure faitière de la Maif a endossé le nouveau statut en juillet 2020 puis ce fut le tour de Maif vie à l’été 2021. « L’adhésion au dispositif d’entreprise à mission implique de vérifier en permanence que nous sommes en parfaite adéquation avec la dynamique que nous avons tracée pour agir dans le bon sens », souligne Franck Carnero. La raison d’être de la Maif ? « Convaincus que seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous, Maif, plaçons cette attention au cœur de chacun de nos engagements et de chacune de nos actions. » Cette raison d’être se décline en cinq objectifs sociaux et environnementaux, eux-mêmes répartis en vingt objectifs opérationnels. Une ligne de conduite qui implique un double contrôle, à la fois par le comité de mission de la Maif qui se réunit cinq fois par an et par le recours à un organisme tiers indépendant, chargé de vérifier le bien-fondé de la démarche. Parmi les cinq objectifs statutaires fixés, l’organisme de contrôle a estimé que trois avaient été totalement atteints et que la mutuelle d’assurance devait poursuivre son travail sur les deux autres. « Afin d’atteindre les objectifs statutaires, une démarche d’amélioration doit être appliquée en continu, remarque Franck Carnero. Cela sous-entend de repartir sur des cycles nouveaux pour rester sur la ligne du progrès.·» Maif souhaite ainsi avancer au regard de ses offres de produits verts et de gestion des investissements en lien avec le climat.

Autre exemple sur lequel travaille le groupe : la réparation automobile grâce à des pièces de réemploi destinées à favoriser l’économie circulaire. « Le statut d’entreprise à mission permet de répondre aux attentes des salariés qui en tirent une plus grande implication mais aussi à celles de nos sociétaires qui souhaitent que la Maif incarne une manière d’être respectueuse de l’environnement et de la société. À travers une logique de preuves à délivrer, le label d’entreprise à mission prolonge l’esprit mutualiste de la Maif », ajoute Franck Carnero.

Zoom sur

Les conditions à remplir pour être société à mission

Selon l’article L2010-10 du Code de commerce, une société peut publiquement faire état de la qualité de société à mission lorsque ses statuts mentionnent :

  • une raison d’être, au sens de l’article 1835 du Code civil ;
  • un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que l’entreprise se donne pour mission d’atteindre dans le cadre de son activité ;
  • les modalités de respect du statut, à travers un comité de mission devant comprendre au moins un salarié de l’entreprise. Le comité est chargé de suivre les avancées de l’entreprise en fonction des objectifs fixés et de présenter chaque année un rapport à l’assemblée chargée de l’approbation des comptes de la société.

Un organisme indépendant est chargé de vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux que s’est assignée l’entreprise. Cette vérification donne lieu à un avis qui vient compléter le rapport annuel sur le sujet. La qualité de société à mission doit être déclarée par l’entreprise au greffier du tribunal du commerce. Elle est publiée au registre du commerce et des sociétés.

Focus

Un discret dispositif

Selon une étude de France stratégie* de 2021, seulement 16 % des dirigeants d’entreprise avaient entendu parler du statut d’entreprise à mission et 22 % avaient connaissance de la possibilité d’instaurer une raison d’être pour une entreprise. Parmi ceux-ci, 4 % étaient en mesure de citer des structures de ce type. Méconnu, le dispositif bénéficie toutefois d’une bonne image auprès de 88 % des sondés, 54 % appréciant notamment son retentissement sur l’environnement, 49 % y voyant une forme de responsabilisation et 21 % estimant que c’est un moyen pour se développer. Lorsque l’on demande à ces dirigeants s’ils ont doté leur entreprise d’une raison d’être, 58 % déclarent l’avoir fait, être en train de le faire ou en avoir l’intention. Concernant les domaines dans lesquels ils souhaiteraient s’engager, la question environnementale est la principale à retenir leur attention, suivie par l’action sociale et la modernisation de l’entreprise. Parmi les entreprises qui n’ont pas de raison d’être et n’ont pas l’intention d’en avoir, 54 % trouvent le dispositif trop contraignant et 42 % craignent des démarches trop complexes à effectuer.

* enquête réalisée par téléphone en juin 2021 par BVA pour France stratégie auprès d’un échantillon représentatif de dirigeants de 600 entreprises de 10 salariés et plus

Des raisons d’être... et puis plus rien

Bon nombre d’acteurs de l’assurance ont défini une raison d’être – premier stade du processus pour devenir entreprise à mission – sans enclencher les étapes suivantes pour se revendiquer comme entreprises à mission. Pour Laëtitia Messner, fondatrice et dirigeante du cabinet de courtage Oz devenu entreprise à mission voilà un an : « Les assureurs travaillent beaucoup en interne sur la RSE (responsabilité sociétale et environnementale), mais seules quelques entreprises embrassent le statut. » Un nombre limité de grandes entreprises se sont lancées dans le dispositif. Pour l’ensemble des secteurs, l’Observatoire des sociétés à mission indique que seulement 1,8 % des grandes entreprises et 8 % des ETI sont des entreprises à mission.

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