Crédit mutuel alliance fédérale vient de présenter sa stratégie 2024-2027. Affichant de fortes ambitions commerciales, le bancassureur veut continuer à se développer en France et en Europe pour conquérir un million de nouveaux clients et se positionner plus fortement sur le marché des entreprises.
Le plan stratégique 2024-2027 a été adopté le 8 décembre par la Chambre syndicale et interfédérale de Crédit mutuel alliance fédérale, « notre Parlement mutualiste » indique Nicolas Théry, le président du bancassureur. D’ici cinq ans, le groupe, qui regroupe 14 des 18 fédérations composant le Crédit mutuel, vise un résultat net annuel de 5 Md€ (il est de 3,5 Md€ en 2022) et un produit net bancaire (PNB) annuel de 19 Md€, en progression de 30 % à l'horizon 2027 par rapport à la période précédente 2019-2023. Les ambitions de ce nouveau plan baptisé « Ensemble Performant Solidaire » reposent sur trois piliers : le développement, l’innovation technologique au service de la performance, et une ambition de transformation écologique et sociétale durable.
Une stratégie multiservice avec beaucoup d’assurance
Dans les quatre ans à venir, la banque mutualiste veut accélérer sa stratégie multiservice, et gagner un million de nouveaux clients sociétaires en France pour atteindre 15 millions de clients à l'horizon 2027 (+7 % par rapport à la période 2019-2023). « Les commissions liées aux activités de diversification ont augmenté de 16 % entre 2019 et 2022, soit deux fois plus rapidement que nos revenus » précise Daniel Baal, le directeur général. L’assurance est une des priorités du groupe qui veut franchir le cap des 8 millions d’assurés. « Nous sommes déjà très performants sur la multirisque habitation et l’automobile, nous voulons doubler notre production sur la santé et la prévoyance » explique le dirigeant. « Nous voulons aussi accélérer notre couverture assurance sur les marchés des entreprises et de l’agriculture, sur lesquels nous sommes encore peu présents » ajoute-t-il, mentionnant le partenariat de coassurance en dommages sur l’entreprise et l’agricole signé l’année dernière avec Allianz. Toujours du côté des entreprises, le groupe veut développer l’épargne salariale et l’épargne-retraite, et proposer une gamme complète d’assurances de risques et de santé prévoyance collective.
Le bancassureur mise sur le développement de ses activités en Europe, notamment en Allemagne, en Belgique et au Luxembourg, et veut accroître sa présence européenne sur le marché du crédit à la consommation avec sa filiale Cofidis. S’il réaffirme la force de son modèle mutualiste, Crédit mutuel prévoit des regroupements d’agences en zones urbaines et périurbaines, tout en faisant vivre les deux marques Crédit mutuel et CIC au sein d’agences distinctes. Sans précision sur le nombre d’agences pouvant être affectées, il se donne comme objectif que « 80 % des caisses emploient au moins 7 salariés » indique Daniel Baal, qui confirme par ailleurs la mise en route de Cash Services, le projet de mutualisation de 15 000 distributeurs automatiques de billets avec BNP Paribas et Société Générale.
Innover au service du modèle mutualiste
Le groupe bancaire veut continuer d’investir dans l’innovation numérique, à hauteur de près d’un milliard d’euros. Il vise le 100 % autonomie digitale pour les clients qui le souhaitent et un objectif de croissance de 20 % de ses ventes grâce au digital. Il annonce aussi la création d’un deuxième « data center » et le déploiement de solutions de technologies cognitives, grâce notamment à son partenariat avec IBM. « Elles ont déjà permis d’économiser 1 700 ETP qui seront redéployés sur du conseil à haute valeur ajoutée » souligne Daniel Baal.
Comme il l’avait déjà annoncé en janvier 2023, Crédit mutuel alliance fédérale, devenu entreprise à mission, souhaite consacrer 15 % de son résultat net au dividende sociétal à travers son « fonds de révolution environnementale et solidaire ». Nicolas Théry annonce la création au 1er semestre 2024 de l’Institut mutualiste pour l’environnement et la solidarité. Piloté par l’ex-leader de la CFDT Laurent Berger, il aura vocation à apporter à l’ensemble du groupe « une expertise et des recommandations qui nous permettront d’être ancrés dans le réel ». « Nous voulons aligner notre stratégie sur les accords de Paris », insiste encore le président, affichant l’objectif de 20 % de réduction du bilan carbone du groupe.
Le plan stratégique décline enfin les ambitions du groupe bancaire en matière de développement humain. Daniel Baal annonce des revalorisations salariales individuelles et collectives de 4,4 % l’année prochaine et une prime de partage de la valeur de 3 000 € pour tous les salariés.
Un bilan 2019-2023 satisfaisant mais une vigilance sur les enjeux de gouvernance
« Il faut maintenant passer de l’approbation à l’adhésion de toutes les entités du groupe à ce plan », conclue Nicolas Théry. « Dans nos trois domaines – la banque, l’assurance et les services – nous réaffirmons notre choix d’optimisation des grands nombres au détriment de l’optimisation des petits nombres » insiste-t-il, tout en rappelant que malgré les crises qui se sont succédé, la Covid-19, les intempéries ou encore le contexte inflationniste, le groupe bancaire n’a pas modifié ses tarifs et a fait le choix de protéger ses clients. Il cite notamment la prime de relance mutualiste pour les entreprises qui ont subi des pertes d’exploitation suite au confinement, les aides aux étudiants après la pandémie de Covid-19, et la suppression du questionnaire de santé pour l’assurance emprunteur avant qu’elle ne soit légiférée. De son côté, Daniel Baal juge le bilan du plan précédent satisfaisant : « Nous avons atteint tous nos objectifs financiers ; sur le plan sociétal, nous ne sommes pas tout à fait à la hauteur des objectifs fixés en matière de parité dans la gouvernance et seuls 85 % (au lieu de 90 %) de nos clients sont sociétaires ».
Crédit photo : Benoît Prieur, Wikimedia Commons
Le dividende écologique et sociétal
Crédit mutuel alliance fédérale et la Maif ont annoncé début 2023 la création d’un dividende sociétal et (ou) écologique, une initiative inédite qui élargit le champ d’action du partage de la valeur. Le « fonds de révolution environnementale et sociétale » du Crédit mutuel pèse 430 M€ en 2023, soit 12 % du résultat net du groupe en 2022, qui vise 15 % pour les prochaines années. « Nous investissons dans des entreprises en phase de rupture technologique, qui veulent changer d’échelle et qui développent des projets de transformation environnementale ou sociétale » explique Nicolas Théry, président du groupe. « Le critère d’appréciation d’un projet c’est l’impact, nous n’avons aucun objectif de rentabilité » complète Sabine Schimel, directrice de Crédit mutuel impact qui gère le fonds. De son côté, la Maif s’est engagée à réserver 10 % de ses bénéfices annuels à la préservation de la planète. Cela représente 8,2 M€ en 2023, dont la moitié alimente un fonds pour le vivant qui finance des projets visant à protéger ou à régénérer la biodiversité. Pour l’accompagner, la Maif a choisi de s’appuyer sur l’expertise de CDC Biodiversité et de son Fonds nature 2050. Dans une tribune commune publiée en début d’année, les deux dirigeants mutualistes espéraient provoquer un effet d’entraînement auprès d’autres entreprises mais les initiatives restent pour l’instant isolées.
Le cabinet de conseil Tenzing, pionnier dans le dividende sociétal, distribue chaque année 25 % de ses résultats nets à des projets en faveur de la réussite éducative et de la réduction des inégalités sociales. « Nos collaborateurs prennent part aux choix des projets et y trouvent du sens » affirme Éric Delannoy, président et fondateur de Tenzing, pour qui le dividende sociétal permet d’insuffler un renouveau dans le dialogue social et de renforcer la marque employeur. « Avec la loi Pacte, l’entreprise change de perspective et a la possibilité d’assumer de prendre une part active dans la résolution des enjeux sociaux et environnementaux, au-delà de la rémunération des salariés et des actionnaires » ajoute-t-il. L’impact du dividende sociétal est aussi un des enjeux de la réglementation européenne (CSRD) autour du rapport de durabilité : les entreprises vont devoir publier les informations nécessaires pour comprendre d’une part les effets des enjeux de durabilité sur leurs performances financières, d’autre part leurs impacts sur l’environnement et la société.
Éric Delannoy pointe quelques éléments de vigilance, à commencer par une nécessaire coordination des actions au niveau macroéconomique. Par ailleurs, « le dividende sociétal ne doit pas devenir la main détournée de l’intérêt général privatisé, il ne doit pas non plus être un prétexte pour presser l’entreprise à dégager des bénéfices ».