Le département R&D et modélisation de la Caisse centrale de réassurance (CCR) fait part de ses avancées dans son rapport sur le réchauffement climatique. Son directeur, David Moncoulon, revient sur l’importance de la modélisation pour l'estimation des aléas comme des dommages ou encore des bénéfices de la prévention.
Quels sont les enjeux de votre rapport : « Réchauffement climatique : la modélisation et la prévention au service des territoires » ?
Nous avons démontré dans ce rapport scientifique 2022 le travail de développement et d’amélioration de nos outils de projection climatique. En partenariat avec des organismes de recherche comme Météo France, nous montrons nos avancées en matière de chiffrage des dommages liés aux catastrophes naturelles. Sur le changement climatique, nous nous intéressons à plusieurs thématiques et particulièrement à celles de l’agriculture, et de son exposition à la sécheresse, ou celle des séismes. Nous avons présenté dans cette étude les résultats de notre premier modèle de simulation de séisme, de l’aléa jusqu’au dommage.
Nous avons également poursuivi nos travaux concernant le ruissellement. Jusqu’à présent, lorsque l’on parlait d’inondations, on parlait de débordement de cours d’eau mais la moitié des inondations surviennent en réalité hors des zones de débordement dues au ruissellement. Ce que nous sommes désormais capables de cartographier.
Enfin, nous avons exposé nos estimations concernant les bénéfices financiers des mesures de prévention. Par exemple, une crue de la Seine ayant la même ampleur que celle de 1910 pourrait coûter aujourd’hui 10 Md€ de dommages. Mais la création de lacs-réservoirs le long du fleuve permettrait d’économiser 3,5 Md€ de dommages. Des estimations existaient à l'échelle locale mais grâce à nos modèles, nous avons étendu la simulation à plus grande échelle.
Pourquoi se concentrer particulièrement sur l’agriculture ?
C’est une activité qui va être fortement touchée par le changement climatique. Actuellement, une sécheresse extrême survient tous les quinze ans, en 2050, elle surviendra deux fois plus souvent. Sa fréquence va doubler et ses conséquences sur les récoltes seront importantes. En moyenne, les pertes de récoltes vont augmenter de 25 % d’ici 2050.
En dehors de l’agriculture, nous estimons que les dommages dus aux Cat Nat vont fortement augmenter, de 50 % en moyenne d’ici 2050. C’est un chiffre important, utilisé pour alimenter les réflexions sur les réformes du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Ces projections datent de 2018, nous sommes actuellement en train de les actualiser avec Météo France. En juin, nous publierons une étude mise à jour du risque climatique.
Il s’agit d’une évolution du paradigme. Jusqu’à maintenant, on nous demandait par exemple de chiffrer les conséquences d’une réforme en se basant sur les conditions actuelles. Aujourd’hui, nous le faisons en tenant compte du changement climatique et de l’augmentation des dommages futurs.
À qui destinez-vous ces travaux ?
Ce rapport est une bonne vitrine pour valoriser notre expertise et enrichir notre réseau scientifique. CCR est connu comme réassureur mais moins dans le domaine de la modélisation. Pourtant, nous sommes catalyseurs sur ces sujets. Nous encadrons des thèses, nous avons construit de nombreux partenariats avec des instituts de recherche. Les périls naturels, et notamment la sécheresse, sont des sujets qui nous préoccupent beaucoup en tant que réassureur public gérant le régime Cat Nat. Communiquer des estimations de dommages est plus parlant que des paramètres géologiques.
Ce rapport est également destiné à l’État qui est de plus en plus demandeur, notamment le ministère de la Transition écologique avec lequel nous avons signé une convention il y a plusieurs années. Dans ce cadre, l’État nous commande des études, généralement pour mesurer l’efficacité de la prévention ou aider à mieux connaître les zones à risques. Ce rapport est aussi à destination des collectivités, intéressées par nos outils comme moyen de prévention de sinistres futurs.
Quelle est la mission de votre département R&D et modélisation ?
Le département est composé d’une équipe aux profils variés (sismologues, agronomes, etc.) dont le but est de développer une expertise et des modèles dans le domaine des Cat Nat notamment. L’objectif est d’être capable de simuler l’aléa (identifier les événements naturels) et d’en calculer les dommages. C’est ce qui fait notre originalité. À partir des données fournies par les assureurs, nous savons où se trouvent les biens assurés et nous calculons le coût des événements climatiques. Dans le cas de l’épisode de sécheresse de 2022, nous avons chiffré son coût à l’aide de notre modèle à 2,9 Md€ pour le marché. Il y a des enjeux importants derrière car la CCR s’en servira pour provisionner.
S’entourer d’une équipe multi-disciplinaire est-il incontournable pour appréhender ces phénomènes ?
Nous étions parmi les premiers à réunir géographes, géomaticiens, ingénieurs, etc. Nous étions un peu des extraterrestres. Cela reste atypique encore aujourd’hui mais ce type d’équipe se développe de plus en plus chez les assureurs et les équipes de modélisation se ressemblent plus ou moins. Historiquement, les assureurs recrutaient des profils de statisticiens qui travaillaient sur des bases de données de sinistres passés. Dans le domaine des Cat Nat, nous nous sommes rendu compte que ça ne marchait pas bien, que ce n’était pas suffisant face au changement climatique. Nous avons donc commencé à faire de la modélisation pour simuler ces changements.