NZIA

Dérèglement climatique, en vert et contre tous

Publié le 30 août 2023 à 15h18

Juliette Lerond-Dupuy    Temps de lecture 8 minutes

En première ligne face au changement climatique, l’Alliance pour la neutralité carbone (NZIA) devait permettre aux assureurs et réassureurs d’agir de concert en matière de développement durable. Depuis mai dernier, c’est finalement en solo qu’ils agissent, jonglant entre engagements environnementaux et rentabilité.

Axa vient de mettre à jour sa politique énergie fin juillet. L’assureur ne couvrira plus les nouveaux champs gaziers. Une nouvelle inattendue alors que le groupe considérait le gaz comme une énergie de transition. L’assureur rejoint ainsi le club des dix (ré)assureurs ne couvrant plus les nouveaux champs pétroliers et gaziers*. Une bonne nouvelle ternie par les départs en cascade courant mai 2023 des membres de l’Alliance des assureurs pour la neutralité carbone, la NZIA. Fondée en 2021 lors du sommet du G20 conscré au climat par une coalition d’assureurs européens (Axa, Allianz, Aviva, Generali, Munich Re, Scor, Swiss Re, et Zurich Insurance). L’alliance comptait 29 membres début 2023 et représentait 15 % du marché mondial de l’assurance. Cette union a finalement explosé au printemps avec le départ de ses principaux membres. D’abord Munich Re, Zurich et Hannover Re en avril, puis les autres ont suivi mi-mai. Seuls restent Generali, Aviva (ainsi que Crédit agricole assurances.) Bien que les raisons de leur départ n’aient pas été communiquées, Munich Re indiquait toutefois un « risque antitrust important » et jugeait préférable de poursuivre son engagement « de manière indépendante, en tant qu’entreprise ».

Pour Reclaim Finance, cette vague de sorties est la conséquence directe d’une pression venue des états-Unis. Une vingtaine de procureurs d’états fédérés avait envoyé une lettre à l’alliance les alertant d’un risque d’entrave à la libre concurrence. Les membres s’exposaient alors à des poursuites judiciaires dans ses différents états de l’union. Lors de l’annonce de sa sortie, le groupe Allianz, comme beaucoup d’autres, a informé que ce retrait ne changeait en rien sa stratégie en matière de lutte contre le changement climatique. « Nous continuerons à tirer parti de notre expertise et de nos ressources pour accélérer la décarbonation et assurer une transition équitable vers un avenir durable au profit de la société », a indiqué le groupe.

Accélérer la décarbonation

« Ce n’est pas une défaite dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais ça n’envoie pas le bon message. On ne peut pas laisser le marché faire. Aujourd’hui, les initiatives libres du marché ne sont pas efficaces. On a besoin de plus de régulation pour coordonner les pratiques des entreprises, au premier plan de la lutte contre le réchauffement climatique », appelle de ses vœux Ariel Le Bourdonnec, chargée de campagne assurance chez Reclaim Finance. Alors qu’Axa comptait parmi les retardataires, l’association félicite cette avancée mais regrette toutefois cet engagement en demi-teinte. L’assureur prévoit en effet une exception dans le cas de nouveaux champs pétroliers et gaziers pour les entreprises en transition. « Nous appelons Axa à faire de l’arrêt des plans d’expansion pétro-gaziers une ligne rouge à respecter par ses clients pour bénéficier de ses couvertures d’assurance », lance Reclaim Finance. Autre cheval de bataille de l’association, les terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL).

Actif-passif, même combat ?

La transition vers la neutralité carbone n’est pas sans risque pour les (ré)assureurs. « À l’actif, les exclusions peuvent conduire à une réduction de l’univers d’investissement et donc à une moins bonne diversification du portefeuille, ainsi qu’à une baisse de l’espérance de rentabilité des actifs. Ces conséquences restent assez facilement gérables et sont réversibles : si un émetteur adapte son business model, il peut à tout moment réintégrer l’univers d’investissement », explique Michèle Lacroix, directrice du département développement durable chez Scor.

C’est en revanche beaucoup plus complexe au passif. « Exclure un client, c’est sans doute le perdre pour très longtemps car même s’il change de business model, il est peu probable qu’il souhaite contractualiser de nouveau avec un (ré)assureur qui lui aura fait défaut. Il y a également des dommages collatéraux. On peut imaginer que le client ne laissera pas l’assureur choisir les activités qu’il souhaite couvrir, le privant ainsi potentiellement d’autres lignes de business attractives », explique-t-elle. La décision d’exclure un client n’est pas une sinécure pour les assureurs. « On touche aux fondamentaux du métier de souscripteur dont le core business consiste à nouer des partenariats de long terme avec des clients. Il est toujours délicat de constater qu’un client n’est plus en ligne avec la transition entamée par Scor », convient Michèle Lacroix.

Le serpent qui se mord la queue

Derrière ces engagements, Reclaim Finance rappelle qu’il en va de l’avenir de la planète mais plus directement également de l’avenir de leur activité d’assureurs. « Plutôt que d’augmenter le prix de leurs couvertures pour faire face à l’augmentation des risques climatiques, les assureurs devraient prendre la première mesure qui s’impose : arrêter d’alimenter le dérèglement climatique à sa source, notamment en couvrant de nouveaux projets d’énergies fossiles. Les assureurs jouent les pompiers pyromanes, ils protègent leurs clients face à des risques d’un côté, et alimentent ces risques de l’autre », souligne Ariel Le Bourdonnec.

En 2022, les pertes mondiales liées aux catastrophes naturelles s’élevaient à 125 Md$, amenant réassureurs et assureurs à réduire leurs couvertures et augmenter leurs tarifs. Lors des renouvellement 2023, des réassureurs comme SiriusPoint, Unipol et Axis Capital, mais aussi Axa XL Re et Scor, ont réduit la voilure, estimant que le risque de catastrophes naturelles devenait difficilement assurable. « Il y a bien un retrait de certains réassureurs mais la plupart d’entre eux savent que leur raison d’être est d’assurer ce type de risques, donc nous voyons surtout chez ceux restants un rééquilibrage entre catastrophes naturelles et d’autres branches », indique Christophe Gaudron, directeur général du courtier de réassurance Guy Carpenter France.

*Allianz, Aviva, Generali, Hannover Re, HDI - Talanx, Mapfre, Munich Re, Scor, Swiss Re

3 questions à Michèle Lacroix, directrice du département Développement durable chez Scor

«Dans un monde idéal, on ne devrait pas avoir à exclure»

Quel est le rôle du département ?

Les acteurs financiers ont un rôle particulier à jouer dans le développement durable et les (ré)assureurs occupent une place à part. Ils sont les seuls acteurs financiers à être concernés à la fois au passif et à l’actif, à travers leurs activités de souscription et d’investissement. Le rôle de l’équipe en charge du développement durable est d’apporter aux souscripteurs et aux gestionnaires de portefeuille les informations et le support nécessaires pour déployer une stratégie de développement durable cohérente et holistique. Selon que l’on cible l’actif ou le passif, le rythme et l’ampleur sont différents, mais la mise en cohérence est indispensable. La régulation relative à l’investissement responsable est très contraignante alors qu’elle est quasi inexistante sur la souscription. Le rôle de notre équipe est d’assurer la cohérence de la démarche.

Quel chemin avez-vous parcouru pour exclure les nouveaux champs pétroliers et gaziers ?

La réduction de capacité aux entreprises les plus émettrices de CO2 prend du temps. Nous avons commencé par exclure le charbon en 2015 puis les nouveaux champs pétroliers en 2022 et enfin les nouveaux champs gaziers en 2023. Il faut laisser le temps aux agents économiques d’interpréter ce que nous disent les scientifiques. Il y a encore un long chemin à parcourir pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette exclusion ne sera sans doute pas la dernière pour Scor, mais nous ne pouvons anticiper les futures conclusions des scientifiques. Dans un monde idéal, si chaque entreprise alignait sa transition sur une trajectoire à 1,5°C avec peu ou pas de dépassement du budget carbone, on ne devrait pas avoir à exclure.

Quelles conséquences a pour vous la sortie de Scor de la NZIA ?

L’engagement de devenir Net Zero à l’horizon 2050 est indépendant de la participation à la NZIA. L’objectif de l’alliance est de faciliter le processus de décarbonation en mettant en place une compréhension commune des trajectoires de décarbonation, en développant des méthodologies adaptées aux différents acteurs, et en permettant des échanges transparents sur les difficultés et bonnes pratiques. En somme, la NZIA est un accélérateur du processus devant conduire à piloter la trajectoire d’émissions des portefeuilles de souscription vers Net Zero. Dès janvier, l’alliance a publié sa feuille de route, le « Target-Setting Protocol ». À nous de nous en saisir.

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