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Réforme du courtage : le gouvernement n’abdique pas

Publié le 2 septembre 2022 à 15h00

Nessim Ben Gharbia    Temps de lecture 6 minutes

Alors que le Conseil d’État a transmis en juillet une QPC au Conseil constitutionnel concernant la loi portant réforme du courtage, le gouvernement peaufine ses arguments pour convaincre les Sages.

Réforme du courtage, suite et.. non fin ! Alors que la loi n°2021-402 relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, qui implique une obligation d’adhésion à une des sept associations professionnelles agrées par l’ACPR, est entrée en vigueur depuis le 1er avril dernier pour les professionnels non encore immatriculés à l’Orias, et s’appliquera à partir du  1er janvier 2023 pour les courtiers oriassés, tout le dispositif est aujourd’hui en suspens. Le Conseil constitutionnel devra statuer en effet d’ici le 25 octobre sur la QPC déposée par l’Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP), représentée par maître Safine Hadri, et transmise le 25 juillet par le Conseil d’État. Pour rappel, l’ANCDGP conteste « la contrariété évidente du nouveau dispositif à la directive européenne 2016/97 sur la distribution d’assurance, notamment quant aux principes d’impartialité et d’indépendance des juridictions », ainsi que l’atteinte manifeste au principe d’égalité devant la loi et notamment le fait que les courtiers d’assurance et IOBSP soient soumis à l’obligation d’adhésion à une association professionnelle agréée, contrairement à certaines autres catégories d’intermédiaires telles que les courtiers exerçant en LPS et les agents généraux d’assurance – quand ils exercent de manière accessoire une activité de courtage. Enfin, l’ANCDGP conteste ce qu’elle considère comme une violation de la liberté d’entreprendre, dès lors que le refus ou le retrait de l’adhésion à une association professionnelle génère une impossibilité de s’immatriculer à l’Orias et donc d’exercer.

Des arguments réfutés par le secrétariat général du gouvernement, agissant au nom de Matignon, qui se substitue désormais à Bercy dans ce contentieux. Concernant l’argument relatif au non-respect des principes d’impartialité et d’indépendance des juridictions, le service rattaché à Matignon se fonde sur une jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel (décision n° 2016-616/617 QPC du 9 mars 2017) qui affirmait·: «·Le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu’une autorité́ administrative non soumise au pouvoir hiérarchique du ministre, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission, dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. »

Libre circulation des services

Sur le non-respect du principe d’égalité devant loi, concernant les courtiers exerçant en LPS ou en libre établissement, le secrétariat général du gouvernement considère que leur adhésion à ces associations constituerait une nouvelle immatriculation, et rajouterait une exigence légale contrevenant au principe de libre circulation des services. Matignon observe en outre que les courtiers exerçant en LPS sont déjà soumis au contrôle du régulateur de leur pays d’origine. Si l’argument s’entend du point de vue du droit européen, difficile pour autant de ne pas faire le parallèle avec le précédent des défauts d’assureurs construction exerçant en LPS sur le marché français, et qui ont mis à nu la nette différence entre les contrôles opérés par les différents régulateurs européens, ainsi que des défaillances au niveau des mécanismes de coopération.

Des arguments que conteste Safine Hadri, qui défend les intérêts de l’ANCDGP : « Sur le principe tiré de la contrainte à la libre circulation des services, la DDA permet déjà  à travers son article 11* d’appliquer des dispositions supplémentaires ( relatives au contrôle du courtier) sous réserve qu’elles soient proportionnées à l’objectif de protection du consommateur. L’argument tiré de la prétendue impossibilité d’imposer un cadre plus contraignant nous parait erroné. D’ailleurs, l’objet de la réforme est justement de protéger le consommateur. »

L’avocate conteste en outre la qualification d’Autorité administrative indépendante (AAI) ou d’Autorité publique indépendante (API) pour les associations professionnelles·: « Ce sont des associations régies par la loi de 1901 et ne peuvent être considérées comme des API ou des AAI. On introduit une confusion en parlant d’autorité administrative ».

Des associations professionnelles sur le pont

Dans ce contentieux, cinq associations (Anacofi courtage, l’Association française des intermédiaires en bancassurance (Afib), la CNCEF assurance, la CNCGP et la Compagnie Intermédiation en assurance-IAS) se sont jointes au litige en déposant des interventions volontaires auprès du Conseil constitutionnel, lesquelles reprennent globalement les arguments de Matignon. En revanche, deux associations (Endya et Votrasso) ne se sont pas jointes à la requête. Selon nos informations, ni Endya, ni Votrasso n’ont été contactés en amont par les cinq associations dépositaires des interventions volontaires. Par ailleurs, Endya, qui demeure favorable à la réforme, estime que les arguments plaidés par l’ANCDGP ont déjà été étudiés lors de la rédaction de la loi et des décrets d’application, sans remettre en cause la conformité du dispositif avec la Constitution : «·Cela ne nous semblait pas opportun de nous associer à l’initiative du dépôt des interventions volontaires », explique Daisy Facchinetti, secrétaire générale de l'association professionnelle.

Pour rappel, Endya a suspendu les adhésions pour les intermédiaires déjà immatriculés à l’Orias, ainsi que le ralentissement des investissements ( informatique, RH et communication) dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel. Sans suspendre officiellement les adhésions, Votrasso envisage de retarder de quelques semaines le traitement des demandes, le temps que les Sages statuent, affirme Emmanuel Legras, président de Votrasso.

* Article 11 de la DDA : « Un État membre qui applique des dispositions régissant la distribution d’assurances en sus de celles prévues par la présente directive veille à ce que la charge administrative qui en découle soit proportionnée au regard de la protection des consommateurs. »

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