« Les abus sont plus dangereux que les erreurs, parce qu’on y prend moins garde », écrivait Montherlant dans Les Jeunes filles. De fait, l’abus de la valeur de marché dans les réglementations prudentielles de long terme sera bientôt une faute.
Actuaire IA, coporteur de la chaire PARI
Dans les comptes d’une société d’assurance, tout est estimation : combien devrons-nous verser à nos retraités alors que nous ne savons pas quels seront les progrès de la médecine ? À nos accidentés alors que la jurisprudence évolue ? Combien vaudront nos actifs dans trois mois ou trois ans ? Sur la base de ces estimations, une entreprise est en faillite ou non. La question des conventions de mesure est donc cruciale.
Certains d’entre nous se souviennent peut-être de leurs travaux pratiques, au collège, où on nous demandait de mesurer une tension. Le piège classique était d’oublier que par défaut le voltmètre était réglé pour mesurer un courant continu, et d’omettre de le placer sur « alternatif ». Dans ce cas, il mesurait la tension instantanée : sur le courant du secteur, qui oscille à 50 Hz, l’appareil devenait fou, donnant des chiffres aléatoires changeant à chaque instant : la mesure, non adaptée, ne voulait rien dire.
Pour l’épargne longue, il en va de même : si on prend une mesure instantanée de cette activité qui traverse les cycles, cela ne signifie rien et ni l’entreprise ni le régulateur ne peuvent piloter. Les nouvelles règles prudentielles tendent pourtant à demander d’estimer les comptes en valeur de marché. Pour les actifs, cela donne des valeurs fortement fluctuantes. Pour les passifs, pour lesquels il n’y a pas de marché, on reconstruit une valeur composite, alimentée par des données de marché et construite sur des modèles prospectifs qui amplifient encore la volatilité en empilant ses conséquences sur plusieurs années.