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GEMP : une réponse ambiguë à un risque chronique

Publié le 5 mai 2020 à 8h00    Mis à jour le 5 mai 2020 à 9h12

Emmanuèle Lutfalla

A quoi ressemblait un samedi parisien classique pendant la crise des gilets jaunes ? Des stations de métro fermées, des rues bloquées et un cortège de manifestants. A Paris, le risque posé par les grèves, les émeutes et les mouvements populaires (en argot assurantiel « GEMP ») a vu son statut évoluer en peu de temps : de menace intermittente, il est devenu chronique. Quel impact de ce changement sur le régime des responsabilités ? Eléments de réponse

Emmanuèle Lutfalla
avocate associée, Signature Litigation

La métamorphose du risque GEMP est constatée par exemple à Hong Kong où Axa – qui assure la plupart des activités commerciales de cette ville – a signalé une recrudescence conséquente de la souscription de polices couvrant les strikes and riots, homologues anglophones des grèves et des émeutes. De la même manière, les assureurs algériens ressentent le poids de la diffusion de ce risque, qui pourrait mettre à leur charge de lourdes réparations du fait de dommages causés lors des manifestations récentes lorsqu'elles prennent un tournant violent ou qui causent d'importantes pertes d'exploitation.

De l'Amérique latine à l'Asie, en passant par l'Europe, nombreux sont les foyers de mécontentement populaire qui ont débouché sur des actes de violence qui se multiplient dans le monde. Si les politiciens y voient un effondrement du contrat social et les économistes un ralentissement de la croissance, aux yeux des assureurs, cela pourrait représenter un risque propre à cette époque, dont l'assurabilité dépendra aussi de l'interprétation qui en est faite par les juridictions.

Le régime français : un flou définitionnel ?

L'article L.121-8 du Code des assurances prévoit que « l'assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires ». Cette disposition n'est que supplétive de volonté et non pas impérative : les parties peuvent opter pour l'inclusion de ce risque dans leurs contrats d'assurance,...

». Une jurisprudence administrative plus récente , portant sur des épisodes de violence en Nouvelle-Calédonie, confirme que le critère de la préméditation continue de faire l'objet d'une application aléatoire de la part des juges. En l'espèce, à la suite des violences et des dégradations commises par une foule, les victimes auxquelles ces violences ont porté préjudice se sont retournées contre l'Etat du fait de sa responsabilité sans faute. Engagée en première instance puis rejetée en appel, le Conseil d'Etat a finalement jugé que cette responsabilité ne peut pas jouer en raison du caractère prémédité des agissements en question. Pourtant, comme dans les affaires précédemment mentionnées, aucun fait probant ne vient corroborer l'élément prémédité relevé par les juges. Ainsi, si le critère de la préméditation apparaît en théorie facilement identifiable, il est, en vérité, mouvant, et dissimule une logique d'opportunité poursuivie par les juges qui en font une arme de qualification aussi puissante qu'aléatoire. *** « Grèves », « émeutes », « mouvements populaires », « attroupements » et « rassemblements ». Des mots dont les significations se chevauchent mais dont les effets juridiques qui s'y attachent sont radicalement différents. Malgré l'ambiguïté des définitions, deux tendances émergent de façon plutôt claire. Devant la multiplication des épisodes de violence sociale, une plus grande clarté serait souhaitable pour mieux comprendre l'implication potentielle de l'Etat et des assureurs. CA Bordeaux, 12 février 1934 (Gaz. Pal. 1934.I. p. 589) Lambert-Faivre Y. et Leveneur L. Droit des assurances, précis Dalloz 14 édition 2017, n° 35 Cass. civ. 2, 17 novembre 2016, n° pourvoi 15-24116 Cass. civ. 1, 27 octobre 1981 n° 8012895 L. Dutheillet de Lamotte et G. Odinet, AJDA, 2017, p. 524 CE 2 mars 2003, ministre de l'Intérieur, n° 242720 CE, 30 déc.2016, n° 386536, Sté Covea Risks CE 11 juillet 2011, Société mutuelle d’assurance des collectivités locales, n° 331669 CE, 28 juin 2018, n° 406478

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