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Jurisprudence

AT/MP : les raisons du revirement jurisprudentiel

Publié le 7 février 2023 à 9h00

Serge Brousseau    Temps de lecture 8 minutes

Deux arrêts récents de la Cour de cassation consacrent un élargissement du périmètre d’indemnisation des accidents du travail ou des maladies professionnelles.

Serge Brousseau, avocat, docteur en droit, Trillat & associés

La Cour de cassation, dans sa formation solennelle en assemblée plénière, vient de rendre le 20 janvier 2023 deux arrêts fondamentaux (pourvoi n° 21-23.947 et pourvoi n° 20-23.673) qui constituent un réel revirement de sa jurisprudence.

I- La question traitée par les arrêts du 20 janvier 2023

Lorsqu’une personne est victime d’un accident, il convient, d’une part, de fixer ses postes de préjudice (c’est le rôle du médecin) et, d’autre part, de les évaluer financièrement. Lors de cette seconde étape financière, il est nécessaire de répartir les droits propres de la victime de ceux des autres créanciers, tels la Sécurité sociale, les employeurs, les mutuelles, qui contribuent à l’indemnisation par le versement de prestations découlant de l’accident. En clair, comment devront se répartir les indemnités dues par l’auteur responsable de l’accident entre la victime et les « tiers payeurs » qui ont avancé des prestations dont a bénéficié la victime.

Certes, le principe général en matière d’indemnisation de la victime consiste en la réparation intégrale. La victime doit toucher tout son préjudice, rien que son préjudice. Mais lorsque, par exemple, l’auteur responsable n’est que partiellement responsable, il faudra répartir les indemnités qu’il réglera entre la victime et les « tiers payeurs » qui par leurs prestations ont contribué à l’indemnisation de cette même victime. Sur cette question techniquement complexe, la loi, puis la jurisprudence, sont intervenues à différentes reprises pour fixer les règles du jeu :

  • tout d’abord, la loi du 5 juillet 1985 a précisé que tous les recours subrogatoires des tiers payeurs s’exercent dans la limite de la part d’indemnité qui répare l’atteinte à l’intégrité de la victime, à l’exclusion de la part d’indemnité de caractère personnel correspondant aux souffrances physiques ou morales, au préjudice esthétique ou d’agrément. Pour faire simple, les tiers payeurs ne pouvaient pas exercer leurs recours contre ces trois derniers postes de préjudice qui devaient toujours revenir à la victime ;
  • ensuite, la loi du 21 décembre 2006 a précisé que les recours subrogatoires des tiers payeurs s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel ;
  • enfin, la jurisprudence, dans une série d’arrêts de la Cour de cassation en date de 2009 (notamment, 2e chambre civile 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, JCP 2009. 195), a décidé que les prestations sociales (la rente en l’espèce) indemnisent nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. En clair, la jurisprudence permettait aux tiers payeurs d’être remboursés en priorité des prestations qui s’imputaient alors sur le poste de préjudice intitulé « déficit fonctionnel permanent » qui correspond à la réduction du potentiel physique ou intellectuel de la victime. Autrement dit, les tiers payeurs étaient préférés aux victimes qui pouvaient donc être privées de l’indemnisation de leurs préjudices physiques ou intellectuels.

2- Les arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 20 janvier 2023

Les deux arrêts du 20 janvier 2023 viennent remettre en cause toute la construction jurisprudentielle établie depuis X années.

a- L’arrêt de rejet (pourvoi n° 21-23.947)

La cour d’appel de Nancy...

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