Le principe de la libre disposition des dommages et intérêts connaît des exceptions. L’étendue de leur champ d’application respectif ayant trait notamment à la diversité de leurs sources ont fait longtemps l'objet des débats doctrinaux ainsi que de l’incertitude juridique et judiciaire. L’arrêt rendu le 18 avril 2019 vient d’apporter une précision concernant la seule exception à ce principe, qui était d’origine législative, à savoir l’article L.121-17 du Code des assurances. Contrairement à ce qui était souvent admis par précaution, ce texte n’est pas limité aux seules catastrophes naturelles mais a vocation à s’appliquer à l’ensemble des assurances dommages, c’est-à-dire des choses et de la responsabilité. La seule limite de son application a trait aux modalités de sa mise en œuvre, sur lesquelles nous revenons ci-après.
avocate aux barreaux de Paris et de Saint-Pétersbourg (Russie), associée fondatrice de l’AARPI Leca & Belovetskaya
L’article L.121-1, alinéa 1er, du Code des assurances prévoit que « l'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité ; l'indemnité due par l'assureur à l'assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ».
Ce texte ne s’applique qu’aux assurances des choses (1). Par conséquent, les assurances de responsabilité appliquent le même principe mais sur la base de la théorie de la réparation intégrale du préjudice. Il en résulte que l’assuré ne doit pas pouvoir s’enrichir à l’occasion d’un sinistre. De même, les indemnisations forfaitaires devraient être interdites. Cependant, plusieurs entorses avaient été admises sur ce point.
Tel est notamment le cas de l’assurance dite « en valeur à neuf », laquelle permet d’obtenir l’indemnisation sans déduction de la vétusté, ce qui en pratique est souvent une condition nécessaire pour permettre à l’assuré de revenir dans la situation antérieure à la survenance du sinistre, en faisant reconstruire l’ouvrage immobilier ou en rachetant le bien mobilier, objet de la garantie.
De même, sont tolérées les indemnisations forfaitaires des conséquences immatérielles du sinistre telles que par exemple les pertes d’exploitation (2). De ce point de vue, le régime de l’assurance dommages-ouvrage est également dérogatoire au regard de l’article L.121-1 du Code des assurances, puisque par définition la reconstruction à l’identique signifierait la recréation des conditions du sinistre au titre duquel l’assureur intervient.
Ainsi, outre son caractère dérogatoire en ce qui concerne l’application du principe indemnitaire , l’assurance dommages-ouvrage l’est également relativement à l’affectation de l’indemnité. C’est ainsi que dans son arrêt rendu le 17 décembre 2003 , la 3 chambre civile de la Cour de cassation a jugé au visa de l’article L.242-1 du Code des assurances que ses dispositions Ce faisant, la Haute juridiction écarte ainsi l’application de l’article L.121-17 du Code des assurances, dont nous évoquerons les termes ci-après. Cette dernière disposition relevant de la loi Barnier ne devait par ailleurs pas trouver d’application dans cette affaire, comme l’ont fait remarquer certains auteurs , en l’absence d’un arrêté du maire prescrivant les réparations comme cela est requis dans l’alinéa 3 de ce texte et les difficultés pratiques pour l’obtenir. Aucune exigence en ce sens n’est pourtant explicitement prévue dans les dispositions de l’article L.242-1 du Code des assurances. Il s’agit donc d’un principe purement prétorien, salué par une grande partie des auteurs, dans la mesure où selon ces derniers une telle interprétation relève de l’esprit de la loi corroboré par les extraits des débats parlementaires. Selon les tenants de cette approche , la vocation principale de ce texte est de permettre au maître d’ouvrage de procéder au plus vite aux travaux de reprise des désordres, sans débats sur le partage des responsabilités. Il aurait donc été incohérent d’accorder au maître d’ouvrage la libre disposition de l’indemnité. Toutefois, comme l’ont fait remarquer certains auteurs , il s’agit d’une déchéance de garantie laquelle peut être opposée à l’assuré sans avoir été prévue par aucun texte et sans figurer en caractères très apparents dans la police conformément aux dispositions de l’article L.112-4 du Code des assurances. Cependant, la position jurisprudentielle dégagée par l’arrêt rendu le 17 décembre 2003 a été depuis réaffirmée par la Haute juridiction. C’est ainsi que dans son arrêt rendu le 12 avril 2005 , la Haute juridiction a jugé toujours au visa de l’article L.242-1 du Code des assurances que : De même dans son arrêt plus récent rendu le 4 mai 2016 , la 3 chambre civile de la Cour de cassation a, au visa de l’ancien article 1315 du Code civil, approuvé la cour d’appel de Montpellier laquelle, saisie, par l’assureur dommages-ouvrage, d’une demande en restitution des indemnités non affectées à l’exécution de travaux de reprise, a retenu, sans inverser la charge de la preuve, . Il ressort donc de cette jurisprudence constante, en dépit de la critique d’une partie de la doctrine et de la réticence de certaines juridictions de fond, qu’il appartient à l’assuré d’affecter intégralement l’indemnité perçue de l’assureur dommages-ouvrage à la réparation du sinistre. Toute économie de sa part ou en l’absence de l’affectation intégrale de l’indemnité pourront être exigées par l’assureur dommages-ouvrage au titre d’une restitution en l’absence de la preuve du contraire. Rappelons également que cette jurisprudence constante a motivé le récent revirement selon lequel sauf clause contraire, l’acquéreur de l’immeuble a seul qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur garantissant les dommages et l’ouvrage même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente. Cette solution est également appliquée en jurisprudence administrative. C’est ainsi que dans son arrêt rendu le 5 juillet 2017 , le Conseil d’Etat a jugé qu’il résulte des dispositions des articles L.121-17 et L.242-1 du Code des assurances que : Contrairement au juge judiciaire, son homologue administratif vise dans l’arrêt précité expressément les dispositions de l’article L.121-17 du Code des assurances. Il semble vouloir pallier ainsi le manque de précision de l’article L.242-1 du Code des assurances. Cependant, comme évoqué ci-dessus, l’article L.121-17 du Code des assurances, outre son champ d’application incertain, exige dans son alinéa 3 que les travaux de reprise couverts par l’assureur soient conformes à l’arrêté du maire. Tel est d’ailleurs le sens de l’arrêt rendu le 18 avril 2019 que nous allons commenter ci-dessous. P. Dessuet, RDI 2004 p. 158 ; M. Ambacher, RDI 1993 p. 183 Cass. 3 civ., 17 déc. 2003, n° 02-19.034 Cass. 3 civ., 12 avr. 2005, n° 04-12.097 Cass. 3 civ., 4 mai 2016, n° 14-19.804, Bull. Cass. 3civ., 15 sept. 2016, n 15-21630 CE, 7 - 2 ch. réunies, 5 juill. 2017, n° 396161 Cass. 2 civ., 18 avr. 2019, n° 18-13.371 Cass. 2 civ., 18 avr. 2019, n° 18-13.371