Jean-Paul Faugère, vice-président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), expose les axes de travail du superviseur pour l’année 2024 et fait le point sur les récentes évolutions sectorielles de l’année 2023. Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le numéro de mars de La Tribune de l’assurance.
Quelles sont les principales évolutions de l'assurance du point de vue du superviseur ?
Le changement majeur qu’a connu le monde de l’assurance, et plus largement l’ensemble de l’économie, n’est à mon sens pas suffisamment mesuré. Pendant plus de quinze ans, nous avons vécu avec une inflation et des taux bas. La montée exceptionnelle de l’inflation s’est accompagnée d’une hausse significative des taux d’intérêt de 350 points de base en l’espace de dix-huit mois. Cette évolution a créé un changement fondamental dans la gestion des assureurs, en particulier la gestion actif-passif, qui s’avère encore plus déterminante. Un autre élément marquant est l’instabilité géopolitique, source de préoccupation pour tous les acteurs économiques et politiques. Les assureurs français, centrés principalement sur un marché européen, initialement moins sensibles à ces troubles, ont ressenti les impacts du conflit en Ukraine et d’autres crises successives. Ces événements ont ajouté de l’incertitude à la conjoncture économique et à l’environnement opérationnel des entreprises d’assurance. Bien que nos publications témoignent de la bonne santé et de la résilience des entreprises d’assurance, cette double incertitude nous rend naturellement plus vigilants.
Quelle est votre vision de la montée en puissance du sujet de l’assurabilité face aux risques climatiques ?
Nul ne peut nier l’évolution du climat ! Nous le constatons avec des phénomènes qui se répètent tels que la sécheresse, les inondations et les tempêtes. La réaction des réassureurs s’est clairement manifestée dans les traités négociés en début d’année 2023. Les assureurs sont aux premières loges et sont les mieux placés pour mettre en évidence la hausse des pertes engendrées par ce changement climatique et souligner les variations de coûts selon les scénarios de transition.
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Au-delà de constater l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements, conduisant à des pertes économiques, il s’agit maintenant de prendre des mesures. Du côté des assureurs, on observe des évolutions dans la politique tarifaire et de souscription. Le gouvernement a également pris des mesures, comme l’augmentation de la surprime Cat Nat à partir du 1er janvier 2025. Nous connaîtrons bientôt les résultats de la mission Langreney. Nous aurons ainsi les éléments pour répondre à la préoccupation croissante concernant la couverture effective de toutes les zones géographiques, face aux conséquences sévères des aléas climatiques.
Quelles sont vos principales actions en la matière ?
L’ACPR s’engage activement pour gérer au mieux ce risque en fournissant les instruments nécessaires aux assureurs. Nous avons déjà développé toute une doctrine sur la gouvernance du risque climatique en assurance (dont le rapport a été publié en février 2022), partageant les bonnes pratiques à cet égard. Nous avons aussi participé avec la Banque de France à la création du NGFS (Network for Greening of Financial System), un réseau qui réunit plus d’une centaine de banques centrales et de superviseurs dans le monde et qui vise à diffuser les bonnes pratiques et à mieux évaluer la préparation à la transition climatique. Nous avons déjà réalisé un premier stress test il y a deux ans qui avait un caractère novateur en couvrant à la fois l’actif, avec l’effet de la transition sur la valeur des investissements, et le passif qui a une valeur forte pour l’assurance en particulier. Nous avons répété l’exercice cet été et les résultats seront consolidés dans le courant de ce semestre. Visualiser les scénarios de transition, avec des conséquences économiques variables, incite à gérer la transition, l’anticiper et ne pas la subir.
Dans les résultats du stress test, nous avons anticipé le fait que la surprime Cat Nat ne pouvait pas rester au niveau où elle était. Mais cela ne suffit pas ! Il faut également engager la responsabilité des assureurs et qu’ils mènent des actions de prévention et de mutualisation constante du risque climatique. Il y a également une action attendue des collectivités locales et une prise de conscience du public. Nous sommes dans un système de solidarité, notamment grâce au partenariat public-privé avec la CCR sous l’égide de l’État. Ce système recueille un très fort intérêt européen. Par ailleurs, la transition énergétique devient un élément central de la réglementation européenne (CSRD, CS3D, Solvabilité II), qui souligne l’importance de l’élaboration de plans de transition pour l’ensemble du secteur financier, en particulier les assureurs.
Évaluez-vous le reporting des assureurs à ce niveau ?
Nous avons présenté une première évaluation des rapports réalisés conformément à l’article 29 de loi énergie climat. Ces rapports se concentrent sur les reportings extra-financiers des assureurs et notamment la gestion du risque climatique et la durabilité. Notre démarche n’est pas punitive, mais plutôt axée sur l’accompagnement et la diffusion de bonnes pratiques afin d’aboutir à une mise en œuvre efficace de la réglementation. Nous sommes face à des textes complexes en constante évolution, notre objectif est de faciliter leur application. Nous souhaitons garantir la fiabilité des données partagées avec le public afin qu’elles soient comparables et reflètent fidèlement la situation et les progrès de chaque acteur.