Le délai décennal étant un délai d’épreuve, la responsabilité pesant de plein droit sur les constructeurs n’a lieu que pour les dommages dont il est établi qu’ils ont atteint, avant son expiration, le degré de gravité exigé par l’article 1792 du Code civil.
En droit de la construction, la jurisprudence est une importante source de droit : tantôt elle complète un arsenal législatif déjà présent, tantôt elle bouscule les fondamentaux. C’est notamment dans ce contexte qu’ont été érigées les théories jurisprudentielles des désordres évolutifs ou encore des désordres futurs, mis à l’honneur par un arrêt inédit de la 3e chambre civile du 5 juin 2025 (n°23-20.379).
Un long chemin jurisprudentiel
Historiquement, c’est en dérogeant aux textes légaux et à la notion de délai d’épreuve que la jurisprudence a très tôt dégagé la possibilité d’indemniser des désordres dont la gravité décennale n’est pas encore constatée mais dont il est admis qu’ils vont revêtir le caractère de gravité requis, avec certitude, dans un certain délai (cf. notamment en ce sens : Civ. 1re, 9 juillet 1985, n°84-12.368 ; Civ. 3e, 26 janvier 1993, n°91-12.231).
La Cour de cassation n’a pas toujours été univoque quant au critère temporel de la gravité décennale, c’est-à-dire le délai durant lequel les désordres futurs doivent revêtir la gravité décennale requise pour tomber sous le coup des articles 1792 et suivants. Dans un premier temps, elle indiquait qu’ils devaient revêtir le critère de gravité décennale à la date à laquelle le juge rend sa décision (Cass. 3e civ., 19 juin 1996, JCP 1996, IV, 1847). Plus tard, elle jugeait que, pour relever de la garantie décennale, ils devaient revêtir un caractère décennal « dans un avenir prévisible », sans nullement définir ce qu’il faut entendre par cette locution (Civ. 3e, 6 mai 1998, n°96-18.298).