Entretien avec Frédéric Olivennes, directeur général d'Audiens dédié aux métiers de la culture, de l’information et des loisirs, qui revient sur les leviers du redressement opéré par le groupe de protection sociale pour atteindre une collecte de 2,4 Md€.
Le groupe Audiens a atteint une collecte de 2,4 Md€. Quels en sont les principaux moteurs ?
D’abord, il faut noter le fort rebond d’activité post-Covid. Contrairement aux craintes initiales, la reprise a été plus rapide que prévu dans de nombreux secteurs que nous couvrons, même si le rythme a pu varier. Ce rebond a logiquement entraîné une hausse des cotisations, notamment pour les retraites et la Caisse des congés spectacles. Ce sont là des moteurs fondamentaux de notre activité.
Vous avez également engagé un retour à l’équilibre après une perte de 20 M€. Quelles ont été les grandes mesures ?
Nous avons mis en œuvre un plan en quatre volets. Premièrement, des campagnes de redressement tarifaire ciblées, mais raisonnables. Il ne s’agissait pas d’augmentations brutales, mais d’un travail de fond, entreprise par entreprise, pour comprendre les contraintes et proposer des hausses compatibles avec leurs capacités. Le deuxième levier a été la croissance commerciale, avec de nouvelles affaires souscrites à des conditions techniques plus justes. Nous avons évité de tomber dans la sous-tarification passée, qui avait affaibli l’équilibre économique.
Tous les secteurs ont-ils rebondi à la même vitesse ?
Non, par exemple, le cinéma a redémarré plus lentement. Les salles ont souffert, car les habitudes ont changé, avec l’essor des plates-formes de streaming. Malgré quelques bons mois post-Covid, on reste en deçà des niveaux de fréquentation de 2019. Mais dans d’autres secteurs, la reprise a été non seulement rapide mais parfois supérieure aux niveaux pré-pandémiques.
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Et les autres leviers du redressement ?
Le troisième levier fut un plan d’économie, indispensable mais insuffisant à lui seul. Le quatrième élément a été le retour des produits financiers. En 2022, avec la remontée inédite des taux, nous avons complètement revu notre stratégie d’allocation d’actifs. Nous nous sommes désensibilisés aux actions pour nous concentrer sur les obligations, dont la rentabilité est moins risquée. Cela nous protège aujourd’hui des turbulences boursières, notamment celles venant des États-Unis.
Cette stratégie a-t-elle été bien acceptée par les assurés ?
Oui, et nous avons pu le mesurer. Notre taux de résiliation reste très faible, voire en baisse, ce qui prouve que les assurés ont compris notre démarche. Ils savaient que nous avions maintenu nos cotisations stables pendant des années, malgré les pressions inflationnistes. Cela a facilité l’acceptation des hausses, surtout grâce à notre méthode de proximité. Nous avons désormais une stratégie durable qui nous permet de stabiliser les revenus financiers sans accroître les risques. Cette réallocation est un pilier pour continuer à limiter les hausses de cotisations, même si certaines seront inévitables.
Justement, à quoi faut-il s’attendre sur les tarifs ?
Nous piloterons année après année. Les contrats collectifs sont structurellement déficitaires, notamment du fait de l’augmentation des arrêts de travail, de la sensibilisation accrue à la santé, des transferts réguliers de charges ou encore des nouvelles thérapeutiques. Tant que ces facteurs subsistent, les hausses restent une possibilité. Mais Audiens ne cherche pas à générer des excédents déconnectés de ses missions. S’il y en a, ils seront affectés à la solvabilité et au financement de la croissance, jamais à des logiques de marge. L’approche tarifaire est essentielle. Connaissant bien les risques spécifiques aux secteurs culturels comme l’audiovisuel ou le spectacle vivant, nous pouvons proposer des tarifs adaptés et avantageux. Notre expertise technique et actuarielle nous permet de mieux ajuster nos prix. En parallèle, nous connaissons très bien les spécificités de nos assurés : métiers artistiques, rythme irrégulier, intermittence… Cela nous permet de proposer des garanties ajustées, avec une approche technique fine.
Quelle est la dynamique derrière la croissance de vos portefeuilles ?
Absolument. Nous avons connu une croissance de 200 000 personnes protégées entre 2020 et 2024, passant de 730 000 à 930 000. C’est une augmentation de près de 25 %. Cela comprend les assurés et leurs familles. Cette dynamique s’est notamment traduite par l’entrée d’intermittents du spectacle, grâce à une offre dédiée, mais aussi par la branche des espaces de loisirs, gagnée d’abord en prévoyance, puis en santé, et la branche édition (littéraires, phonographiques et musicales) en prévoyance. Trois grandes catégories ressortent parmi les nouveaux adhérents : les intermittents du spectacle, avec une forte croissance grâce à une offre adaptée et originale, puis les salariés des espaces de loisirs (parcs d’attractions, etc.) suite à des appels d’offres gagnés en prévoyance puis en santé, et enfin les salariés des entreprises relevant de la convention collective Syntec, notamment des sociétés de jeux vidéo, technologies culturelles, publicité digitale, billetteries en ligne, etc.Cela reflète notre capacité à convaincre sur des marchés professionnels exigeants.
Quelle est la répartition des assurés entre santé et prévoyance ?
En nombre de personnes couvertes : 60 % prévoyance et 40 % santé. Mais en volume de cotisations, c’est l’inverse : 60 % santé et 40 % prévoyance. Cela s’explique par le fait que les cotisations santé sont plus élevées que celles de la prévoyance.
La prévoyance est-elle appelée à croître davantage dans votre activité ?
Audiens souhaite effectivement renforcer son développement en prévoyance, notamment pour équilibrer économiquement ses offres. Un tournant majeur serait une éventuelle généralisation obligatoire de la prévoyance collective, comme cela a été le cas pour la santé. Cela relancerait significativement la demande.
Qu’en est-il des indépendants ? Y a-t-il un enjeu particulier pour eux ?
Oui, très fort. Les indépendants ne sont pas couverts automatiquement. Une couverture prévoyance peut leur coûter cher, mais elle est cruciale en cas d’accident ou d’arrêt de travail, car ils perdent tout revenu s’ils ne travaillent plus. La préoccupation prévoyance est très forte pour les indépendants, car ils sont souvent sans protection adaptée. Audiens souhaite aller vers eux, même si cela reste encore un chantier en cours, avec une montée en puissance progressive. C’est une volonté stratégique forte de notre conseil d’administration de rester concentré sur nos secteurs. Nous avons été créés par et pour les branches professionnelles de l’information, communication, culture et loisirs. Ce positionnement nous permet d’apporter des solutions spécifiques à des besoins professionnels uniques, que ce soit en termes de garanties ou de cotisations.
Votre solvabilité s’est améliorée, quels leviers avez-vous activés ?
L’augmentation du plafond de la Sécurité sociale (PMSS) depuis deux ans a également aidé, car beaucoup de nos cotisations santé y sont indexées. Par ailleurs, la gestion prudente des risques et la réallocation vers les obligations vont contribuer à renforcer nos fonds propres. Nous restons vigilants, car se développer dans des secteurs comme la santé nécessite une marge de solvabilité robuste. Mais aujourd’hui, notre exposition aux marchés financiers est beaucoup plus saine.
Quel est le contexte de l'exercice en cours ?
2025 s’annonce comme une bonne année, notamment en matière de développement. Notre stratégie porte ses fruits, mais nous restons humbles. Nous ne sommes pas une très grande maison et notre modèle repose sur la confiance que nous avons tissée avec les professions que nous accompagnons. Nous continuons à redresser, oui, mais sans brutalité, sans rupture. Et cela, c’est ce qui fait la singularité d’Audiens. Nous souhaitons continuer à moderniser nos outils digitaux, notamment en affinant les interfaces, en observant les irritants des utilisateurs et en adaptant continuellement nos plates-formes. Le plan stratégique jusqu’en 2028 inclut un effort constant sur la simplification, la réactivité et l’accompagnement personnalisé des assurés.