Stratégie de différenciation, lancement d’un outil de gestion digitale des collections pour les courtiers spécialisés… Arte Generali, filiale et bras armé de l’assureur italien sur le marché de l’assurance des œuvres d’art, consolide sa politique de croissance paneuropéenne en misant sur la mutualisation. Son président, Jean Gazançon, esquisse des préconisations pour le musée du Louvre et décrypte les tendances du marché mondial de l’art.
Quel est l’ADN historique d’Arte Generali en matière d’assurance d’œuvres d’art ?
Lorsque nous avons créé Arte Generali en 2019 avec Philippe Donnet, notre ambition était de nous différencier, au regard des acteurs déjà présents sur le marché, en nous appuyant sur notre ancrage historique. Generali est un grand collectionneur et protecteur d’œuvres d’art et de biens culturels en Italie. Cette légitimité repose sur trois piliers indissociables : une expertise reconnue des objets d’art et de leur protection, des services de prévention pour accompagner nos clients et courtiers dans la sécurisation des œuvres (catalogage, restauration, transport ou conservation) et des outils digitaux performants. Cette stratégie est exigeante car chaque pilier représente un défi humain et technologique. Réussir cette combinaison suppose une culture commune partagée par tous les acteurs.
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Vous lancez ProCollect en France, un outil de gestion digitale des collections pour les courtiers spécialisés. Est-ce l’aboutissement de cette culture commune ?
ProCollect illustre pleinement cette ambition. À mesure que nous progressons, nous associons davantage la technologie et le service pour créer de la valeur pour les distributeurs et leurs clients. C’est un travail de fond, exigeant et continu. Conçu pour simplifier la gestion des inventaires d’œuvres d’art, ProCollect répond aux attentes des distributeurs et facilite la production des attestations d’assurance, un élément clé pour les expositions temporaires. Ces outils digitaux sont déjà déployés en Italie, en Allemagne et en France, et partiellement en Espagne.
Où en est le déploiement paneuropéen de vos produits digitaux ?
Notre stratégie paneuropéenne couvre l’Allemagne, l’Italie, la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Elle repose sur des besoins communs mais tient compte des spécificités locales. Partout, les attentes des clients sont relativement similaires. Dans des pays comme l’Allemagne, l’Italie et la France, la possession d’une collection d’art est une pratique courante, ce qui rend le besoin d’assurance évident. Certaines problématiques sont propres à chaque région : en Espagne, le risque majeur concerne le dessèchement des œuvres, tandis qu’en Europe du Nord, c’est l’humidité qui pose problème. La distribution de l’assurance des œuvres d’art présente également des points communs. Elle s’organise autour de trois catégories d’intermédiaires : les grands courtiers internationaux, les courtiers spécialisés et les distributeurs généralistes. Les premiers apprécient notre approche de workflow management qui optimise leurs processus. Les deuxièmes recherchent des services différenciants à forte valeur ajoutée. Quant aux courtiers généralistes, nous les accompagnons par une pédagogie adaptée pour leur permettre d’accéder à la clientèle des collectionneurs. Enfin, la fiscalité influence fortement le marché. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, la stabilité fiscale et l’absence d’imposition sur la richesse favorisent l’assurance des œuvres d’art. En France, la fiscalité plus lourde et fluctuante rend cette démarche moins spontanée.
Dans ce contexte, quelles sont vos perspectives de croissance en 2025/2026 ?
Notre objectif économique, à l’horizon de la fin du plan actuel de Generali (2025 -2027), est d’être au niveau de la part de marché de l’assurance dommages aux biens dans chacun des segments où nous opérons. Dans les faits, nous surperformons en Italie, nous disposons d’un levier de croissance en France et nous restons dans l’étiage sur le marché allemand. Fait marquant, le partenariat noué à Dubai a été bien accueilli et témoigne d’un marché porteur. Nous suivons notre plan de charge, ce qui veut dire que l’on aura atteint nos objectifs économiques en 2025 et en 2026. Notre modèle économique est un modèle de plate-forme régionale. Nous mutualisons tout ce qui peut l’être à l’échelle globale et conservons à l’échelle locale la souscription, la distribution spécialisée et la relation client. Cet ensemble est mutualisé et s’amortit par la croissance des entités locales.
À l’issue du vol des bijoux au musée du Louvre en octobre, le rapport de l’enquête administrative présenté devant le Sénat le 10 décembre apporte la preuve de graves négligences. Quelle est votre analyse ?
En Europe, l’autoassurance reste la norme, avec quelques exceptions, comme les collections royales en Bavière. Hors Europe, certains musées appliquent des standards de sécurité très élevés, notamment à Abu Dhabi ou à Hong Kong. Ce contraste met en lumière les fragilités du modèle européen. Le rapport de la Cour des comptes tout comme le récent rapport d’inspection des affaires culturelles (Igac) insistent sur le manque de priorisation et de suivi par les deux équipes de direction successives au Louvre. Ces rapports soulignent que les failles ne résultent pas d’un manque de moyens, mais bien de choix organisationnels qui ont pénalisé la sécurisation. Ce constat avait déjà été dressé par une étude de risques financée par Van Cleef & Arpels, laquelle avait pointé les vulnérabilités exploitées lors du vol. L’exemple est d’ailleurs frappant : à quelques centaines de mètres, la place Vendôme présente un risque similaire mais bénéficie d’une protection optimale. Ce vol de bijoux – dont la valeur culturelle est majeure – illustre la nécessité de cartographies des risques et de plans de sécurisation. Un partenariat public-privé (PPP) pourrait renforcer le risk management. Arte Generali réalise des analyses de risques pour les musées et les collections privées et serait ravi d’aider les institutions dans la mise en place de plans de protection et de continuité. Enfin, la question de la valorisation des œuvres patrimoniales reste entière : La Joconde n’a pas de valeur de marché.
Comment décryptez-vous les tendances du marché mondial de l’art en 2025 ?
D’une part, le marché mondial de l’art est un flux et Arte Generali travaille sur du stock. La corrélation entre la variation du marché et notre activité est relativement faible. D’autre part, les chiffres officiels annoncés concernent le marché coté (les ventes aux enchères). Ces chiffres démontrent une baisse du marché (-12 % en 2024) à 58 Md$ en valeur (source : rapport économique Art Basel). Cette donnée sous-estime de facto le marché de gré à gré, chez les marchands d’art et les collectionneurs. Résultat, les chiffres officiels souffrent des biais du marché coté : les ventes sont faites en volume sur une base réduite de transactions qui ont des prix garantis, avec un échantillon d’artistes réduit. Il faut toutefois nuancer cette tendance, dans la mesure où les jeunes artistes issus des pays émergents se sont développés avec une valorisation des œuvres d’art qui reste stable.