Frédéric Bécard, Global Chief Underwriting Officer Cargo chez Axa XL

« La notation 7 de la zone du golfe Persique/détroit d'Ormuz implique une déclaration préalable au cas par cas pour chaque passage »

Publié le 25 juin 2025 à 17h01

Louis Guarino    Temps de lecture 6 minutes

Alors que la 16e édition du rendez-vous Paris Mat a accueilli l’écosystème des assureurs maritimes, de l’aviation et de l’espace à la Maison de la chimie à Paris (23 et 24 juin), la cellule de crise « risque de guerre » du Comité maritime aviation et transport (Comat) s’y est réunie en urgence pour évaluer l’impact des frappes américaines en Iran durant le week-end du 21 juin sur le marché de l’assurance maritime. Frédéric Bécard, Global Chief Underwriting Officer Cargo chez Axa XL et président de la cellule de crise « risque de guerre » au sein du Comat décrypte les raisons pour lesquelles la zone golfe Persique/détroit d’Ormuz passe d’une notation 6 à une notation 7 selon l’analyse du Comité d’études et de services des assureurs maritimes et transports (Cesam).

Comment analysez-vous le risque de guerre dans le golfe Persique et le détroit d’Ormuz ?

Depuis 2019, le détroit d’Ormuz et le golfe Persique étaient déjà un point d’attention pour les assureurs maritimes, l’Iran ayant ciblé cette zone par des actions navales coercitives qui s’étaient notamment matérialisées le 13 avril 2024 par l’arraisonnement et la saisie du porte-conteneurs MSC Aries. La région est donc déjà identifiée par les marchés de l’assurance maritime comme une zone à risque aggravé. Sur cette base, la grande majorité des assureurs suivent les analyses du Joint Cargo Committee (JCC) au travers de la diffusion de leur « Watchlist » qui fait office de référence sur le marché anglais, très suivi dans le monde de l’assurance maritime. Cette liste des risques de guerre et assimilés (risques de guerre maritime, mais également aérien, piraterie et vol de fret) cartographie les pays/zones selon une échelle de « low » à « extreme ». Elle est en principe actualisée tous les mois mais peut changer en fonction de l’urgence de la situation. La zone golfe Persique telle qu’elle est définie est en notation « very high » à ce jour (l’avant-dernier échelon vers la note aggravée la plus haute).

Qu’en est-il concrètement pour le marché français ?

Parallèlement, le marché français s’est également doté de son propre outil de notation des risques géopolitiques via le site du Comité d’études et de services des assureurs maritimes et transports (Cesam). Cette notation est continuellement revue en concertation avec le Comité maritime aviation et transport (Comat), instance des assureurs maritimes du marché français. Afin de répondre aux situations de crise, nous avons mis en place une cellule spécifique que je préside (constituée lors du conflit russo-ukrainien de 2022) qui peut se réunir à tout moment en fonction de l’émergence ou la détérioration d’un risque géopolitique. La notation Cesam, évalue les risques de guerre selon une échelle de 1 à 8, les zones 7 et 8 étant les zones les plus fortes pour les risques maritimes « garantie waterborne » et les risques « garantie étendue » (c’est-à-dire garantie à terre) offertes par le marché français. Il est crucial de pouvoir échanger avec nos partenaires courtiers et assurés pour expliquer la cohérence d’une telle décision et de ses éventuels impacts sur leurs couvertures et le coût de l’assurance.

Qu’avez-vous décidé à l’issue de la réunion de la cellule de crise du 20 juin ?

Nous avons réalisé une évaluation des risques et décidé d’augmenter la notation d’Israël qui était déjà en zone 7 cas par cas pour la passer en zone 8. C’est une décision par effet miroir dans la mesure où l’Iran était déjà noté en zone 8 (une note assimilée à un risque de guerre chaude). En revanche, nous nous sommes posé la question de la notation pour le golfe Persique et le détroit d’Ormuz avec des scénarios potentiels de blocus, de minage de la zone, voire d’attaques et de saisies de navires. Compte tenu de l’accélération des événements, nous nous sommes alors réunis le 23 juin afin de faire un point de situation à la suite des attaques ciblées par les États-Unis sur les sites iraniens d’installation nucléaire et les réponses qui ont suivi ces attaques par les forces militaires iraniennes et israéliennes. L’analyse du Cesam effectuée selon des critères de recensement objectifs, a conduit à une décision de changement de notation sur la zone golfe Persique/détroit d’Ormuz en zone 7 (précédemment notée 6). Cette décision n’est pas sans conséquences, car la majorité des polices du marché français prévoient le déclenchement d’un système de déclaration préalable aux « cas par cas » pour les passages en zones aggravées 7 ou 8 (plus communément appelées zones « cas par cas »). Les assureurs peuvent, par conséquent, appliquer des conditions particulières mais également prévoir une surprime spécifique si jugée opportune et selon leurs politiques de souscription.

Quel est l’atout du mécanisme du Cesam ?

Ce mécanisme permet de noter les zones à risque géopolitique au cas par cas sans nécessairement déclencher de résiliation. Il diffère du mécanisme traditionnel anglais qui implique l’envoi d’une résiliation effective de tous les risques de guerre au bout d’un délai de préavis de quarante-huit heures ou sept jours. En fonction des desiderata des assureurs, ces risques de guerre seront réintroduits par la suite sauf pour la zone du détroit d’Ormuz (dans notre exemple) où il faudra déclarer au cas par cas. L’intérêt, c’est que ce mécanisme peut éviter le « traumatisme » d’une résiliation des garanties auprès des assurés, lesquels n’ont pas forcément intégré le principe de la résiliation des risques de guerre dans leur globalité et leur réintroduction au cas par cas pour la zone prédéfinie.

Au fond, comment faut-il décrypter le risque de guerre pour le golfe Persique et le détroit d’Ormuz ?

C’est un rappel de l’aggravation constante des tensions géopolitiques que nous sommes malheureusement en train de connaitre. La multipolarisation des zones de conflits (mer Noire, mer Rouge, golfe Persique et très certainement dans un avenir proche Taïwan), est un élément d’aggravation pour les assureurs maritimes qui doit être constamment et correctement modélisé par ces derniers. En effet, à l’instar de l’augmentation des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique, les risques de guerre nécessitent une approche tarifaire et un monitoring des expositions au plus proche de la réalité. Concrètement, le risque de guerre à fortement augmenté ce qui a conduit aux règlements de sinistres majeurs pour les assureurs maritimes (navires bloqués dans les ports Ukrainiens, attaques des Houthis en mer Rouge, arraisonnement dans le détroit d’Ormuz…). L’introduction de cette volatilité dans le portefeuille de risques doit donc être appréhendée efficacement pour garantir la pérennité du système d'assurance, élément essentiel du soutien de l’économie mondiale. Il faut, par conséquent, accepter et comprendre pour les assurés une tarification dédiée à ces risques et apporter des solutions évolutives en fonction des contextes rencontrés.

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