Interview de la semaine

« Une augmentation du financement du système public de réassurance Cat Nat semble inéluctable »

Publié le 10 novembre 2021 à 9h00

Nessim Ben Gharbia    Temps de lecture 6 minutes

Directeur des opérations et de l’actuariat du cabinet de conseil Asigma, Marc Raymond commente la récente étude de la FFA sur l’impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2050, et analyse le déséquilibre structurel du régime Cat Nat.

Selon la FFA, le montant de la sinistralité causé par la sécheresse devrait tripler d’ici 2050. Sa prise en charge dans le cadre du régime Cat Nat pose question. Qu’en pensez-vous ?

L’étude de la FFA a donné lieu à une très intéressante publication sur l’impact du changement climatique à l'horizon 2050. Sa lecture laisse entrevoir des analyses sérieuses basées, comme pour les autres études de place, à la fois sur des anticipations de l’évolution des capitaux sous risques par zone et sur des modèles climatiques. Pour la sécheresse viennent s’ajouter des données sur la nature des sols.

Il est vrai que les résultats des simulations, qui conduisent à un triplement du coût des sécheresses à l'horizon 2050, posent une vraie question concernant l’indemnisation de ce risque et donc de sa prise en compte dans le cadre du régime Cat Nat. Des évolutions sont donc probables. Mais l’horizon lointain de ces études laisse du temps au législateur pour faire évoluer la réglementation.

Est-ce que les assureurs pourraient réorganiser leurs portefeuilles face à ces changements climatiques, soit en se retirant de certaines zones géographiques, soit en augmentant les primes ?

Tout à fait et le mouvement est déjà en cours, la plupart des processus de souscription intègrent déjà une géolocalisation du risque souscrit. Les modèles montrent d’ailleurs une grande disparité des évolutions à venir selon les départements. Dans le cadre de l’exercice pilote réalisé en mai dernier par l’ACPR, les assureurs n’ont pas exploité la possibilité de modifier leur stratégie de souscription, notamment via une réallocation de leur portefeuille pour sortir des zones géographiques les plus impactées par l’augmentation attendue de la sinistralité ou via un refus d’assurer les zones les plus exposées au changement climatique. Mais ils le feront très probablement au fil du temps avec des stratégies de souscription et de surveillance du portefeuille ad hoc.

Le passage de la surprime de 12 à 18 % est-il inéluctable pour l’équilibre du régime Cat Nat ?

Au regard des résultats de l’exercice pilote réalisé par l’ACPR, une augmentation du financement du système public de réassurance Cat Nat semble effectivement inéluctable. Il est par ailleurs à noter que l’augmentation de sinistralité est déjà observable sur le passé puisque le coût annuel moyen des événements climatiques n’a cessé d’augmenter, passant de 1,2 Md€ sur la période 1984-1989, à 2 Md€ sur les vingt années suivantes, puis 2,6 Md€ sur la dernière décennie.

Une stratégie de prévention efficace à l’échelle nationale peut-elle contribuer à « sauver » le régime Cat Nat ?

Malheureusement, le réchauffement climatique et ses conséquences sur les événements catastrophiques sont inéluctables. Pour autant, selon les périls, des stratégies de prévention peuvent être mises en place. Le risque auquel on pense le plus, et qui d’ailleurs est celui qui augmenterait le plus selon les modèles de la CCR (+ 88 %), est celui des submersions marines du fait des effets cumulés d’une densification des habitations sur les côtes et de la hausse du niveau des océans. Ne pas construire en zone inondable reste le moyen le plus efficace pour prévenir ces risques. Pour d’autres périls, la prévention est plus complexe à mettre en œuvre car la localisation précise des événements à venir ne peut être prédite. On sait dire que telle ou telle zone est plus sujette à la survenance de pluies intenses, mais on ne sait où celles-ci vont réellement tomber.

Selon le Stress Test réalisé par l’ACPR sur les futurs impacts du changement climatique sur le domaine de l’assurance, le changement climatique conduira à une hausse annuelle des primes en dommages comprise entre 2,8 et 3,7 %. Cette hausse est-elle soutenable pour l’assuré ?

La mesure de l’impact du changement climatique sur le domaine de l’assurance est complexe et comporte plusieurs étapes. La première consiste à estimer le réchauffement climatique selon différentes hypothèses de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, l’ACPR s’est appuyée sur des scenarii du GIEC et du NGFS (Network for Greening the Financial System) qui, selon la nature de la transition envisagée, conduisent à des augmentations de température de 1 à 5 degrés à horizon 2100. Sur cet aspect, les différentes études sont relativement convergentes. L’étape suivante consiste à estimer l’impact de ces hypothèses de réchauffement sur la survenance d’événements climatiques par type d’événement (vagues de chaleurs extrêmes, épisodes de pluie intenses, inondations…). Cette étape intègre déjà un niveau de complexité très élevé et nécessite l’utilisation de modèles climatiques complexes notamment développés par Météo France. La dernière consiste à estimer l’impact de ces évolutions par type d’événement sur la sinistralité des organismes d’assurance au regard de l’évolution attendue de leurs expositions aux risques ainsi que de leur localisation. Encore une étape peu aisée.

De tout ceci découle que les études sont peu nombreuses et sont issues de travaux de recherche et de modèles sophistiqués. Dans le cadre de l’exercice pilote, il appartenait aux organismes consultés de mesurer l’impact sur leur sinistralité des évolutions climatiques futures. Si elle n’était pas imposée, l’utilisation des résultats des études précitées paraissait assez naturelle. Les organismes ont même pu s’appuyer directement sur la CCR qui a fourni aux participants l’augmentation attendue de leur sinistralité par département sur la base de leur exposition aux différents aléas climatiques considérée au niveau communal. Il résulte de ces travaux l’anticipation d’une augmentation de 174 % de la sinistralité des branches entrant dans le calcul de la contribution au régime Cat Nat à l'horizon 2050. De plus, les participants ont principalement opté pour un maintien de leur ratio S/P tout au long de la projection. Par conséquent, ils ont augmenté les primes entre 130 et 200 % sur trente ans selon la catégorie, soit une hausse annuelle comprise entre 2,8 % et 3,7 % par an. Cette augmentation est nettement supérieure à l’augmentation attendue du PIB sur cette même période qui est de 33 %.

Au regard de tout ceci, il est difficile de dire si les hausses de primes anticipées sont raisonnables. Elles découlent naturellement de l’augmentation estimée de la sinistralité dans une logique de maintien du S/P. Mais on voit bien que tout cela repose sur des modèles très complexes et comporte donc une part d’incertitude quant aux résultats obtenus. S’il s’avère que les augmentations attendues se matérialisaient, il restera enfin à connaître le comportement des assurés face à de telles augmentations, notamment sur le niveau de leur couverture d’assurance.

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