Interview de la semaine

« Un litige oppose actuellement l’autorité du canal de Suez à la société propriétaire de l’Ever Given »

Publié le 17 juin 2021 à 8h00

Elisabeth Torres

Christopher B. Kende, avocat chez Hill, Betts & Nash LLP

Elisabeth Torres
journaliste

Avocat associé du cabinet maritime Hill, Betts & Nash LLP, professeur de droit maritime et de droit des transports à la Brooklyn Law School de New York, Christopher B. Kende revient sur l’échouement de l’Ever Given et les questions que cet événement soulève en termes de responsabilité et d’assurance maritime.

Le porte-conteneurs taiwanais, l’Ever Given, affrété par la société Evergreen Maritime Corp., a bloqué fin mars le canal de Suez pendant près d’une semaine. Quels sont les types d’assurances susceptibles de jouer ?

Tout d’abord, le navire est vraisemblablement couvert par une assurance de corps et moteurs (hull and machinery) souscrite auprès d'un des syndicats des Lloyd’s. Cette garantie couvre la valeur du bateau, de sa structure, des machines dont il est équipé. Ce sont les assureursH&Mqui devront couvrir les éventuels dommages causés au navire, mais aussi les frais pour le débloquer.

Une autre police susceptible d’être actionnée est l’assurance protection and indemnity (P&I). Celle-ci couvre la responsabilité civile à l’égard des tiers de l’armateur du vaisseau, en l’occurrence la société japonaise Shoei Kisen Kaisha, sur un mode mutualiste, par le biais deP&Iclubs, au cas présent le UK Club. Si un tiers forme un recours contre le propriétaire du bateau au titre de dommages matériels qu’il prétend avoir subis ou de pertes de revenus en raison de retards liés au blocage du bateau, c’est cette assurance qui pourra jouer.

La cargaison transportée peut elle aussi subir des dommages, notamment lorsqu’il s’agit de denrées périssables, tout retard de livraison étant susceptible d’entraîner leur dégradation. Il appartient aux propriétaires des cargaisons de les assurer en souscrivant une assurance de facultés. En outre, l’affréteur du vaisseau pourrait éventuellement s’assurer contre la non-livraison des marchandises transportées.

L’ensablement de l’Ever Given a empêché quelque 422 navires de circuler. Quels recours ont-ils ?

Ces bateaux ont subi des pertes économiques du fait de leur immobilisation forcée pendant plusieurs jours. Mais en droit maritime américain, ces pertes ne peuvent en principe être indemnisées en l’absence de dommage matériel, à l’instar des pertes d’exploitation sans dommage direct, peu ou pas indemnisées par les polices standards du marché français.

Le fameux arrêt M/V Testbank de la cour d’appel du 5e circuit fédéral illustre cette règle : un bateau transportant une cargaison de produits chimiques avait eu un accident, ce qui avait entraîné la contamination de l’eau du Mississippi et la fermeture d’entreprises organisatrices de voyages touristiques sur ce fleuve. La justice américaine a jugé irrecevables leurs demandes d’indemnisation au titre d’un préjudice économique pur (leur perte de revenus), faute d’avoir subi un préjudice matériel.

Et l’autorité du canal de Suez ?

L’ensablement du navire a pu causer des dommages matériels au canal, auxquels s’ajoute la perte de revenus (taxes de passage notamment) liée au blocage de la circulation. L’assuranceP&Idu navire doit pouvoir couvrir ces divers préjudices, moyennant sans doute une limite d’exposition. Un litige oppose actuellement l’autorité du canal à la société propriétaire de l’Ever Given : la première avait d’abord réclamé 916 M$ à titre de dommages et intérêts pour les pertes subies et « la perte d’image » du canal, avant de réduire sa demande à 550 M$ fin mai (eu égard à l’estimation de la cargaison fournie par la propriétaire de l’Ever Given). Par contre, les autorités égyptiennes semblent d’accord pour accepter une garantie de 200 M$ de la part des assureurs pour libérer le bateau, selon le Chairman de l’autorité du canal de Suez. Il est courant que les assureursP&Iproposent une « lettre de garantie » à concurrence d’une somme convenue avec les réclamants pour que le navire puisse être libéré.

Quel est le droit applicable ?

C’est en principe la loi du pavillon du bateau (ici le Panama) qui s’applique pour tout événement survenant à bord. Pour s’engager dans le canal, le navire a été soumis aux conditions contractuelles édictées par l’autorité du canal de Suez : le livre des règles du canal de Suez. Or, le contrat prime sur le droit et il peut notamment prévoir une clause précisant la loi applicable, ou encore que si le navire cause des dommages aux tiers, il devra les indemniser, ce qui semble être le cas ici. En effet, le tribunal égyptien de Ismaïlia vient d’appliquer la loi égyptienne en maintenant la saisie-arrêt du navire. L'affaire a été renvoyée au 20 juin prochain.

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