Loïc Biver, directeur général de l'UMG Alliance mutualiste, décrypte la hausse des taxes sur les complémentaires santé. Il alerte également sur un virage durable qui fragilise la solidarité, renchérit les cotisations – surtout des seniors – et plaide pour un « pacte de confiance » avec le gouvernement français ainsi que des garanties plus modulaires pour offrir à chaque citoyen un accès aux soins qualitatif en fonction de leurs besoins.
Le gouvernement envisage d’augmenter encore la contribution sur les complémentaires santé. Pourquoi cette mesure met-elle en danger l’équilibre du modèle mutualiste ?
C’est une réponse de très court terme à un problème structurel. Taxer les cotisations ne règle aucun déséquilibre de la Sécurité sociale, qui restera déficitaire. En revanche, cela renchérit immédiatement la facture pour les adhérents – d’abord les seniors, qui cotisent le plus et consomment le plus de soins. On fragilise ainsi la solidarité et on risque de pousser des assurés hors du champ de la complémentaire. On nous présente en plus cette hausse comme une ressource affectée à la suspension de la réforme des retraites : autrement dit, on fait financer un choix budgétaire national par les complémentaires.
Est-ce une mesure conjoncturelle, ou bien un virage structurel selon vous ?
Pour moi, c’est un virage. À chaque budget (PLF/PLFSS), on «pioche» dans les complémentaires, sans programmation pluriannuelle ni cap commun. On entretient une fiscalisation durable de notre secteur au lieu de traiter les causes.
Quelles seront les conséquences concrètes de cette fiscalité accrue pour les adhérents, en termes de cotisations et de couverture ?
La taxe est mécaniquement répercutée sur les cotisations. Dans un contexte d’inflation médicale et de vieillissement, le reste à charge finit par augmenter. Cette année, nous avons tenu les hausses entre 0 et 3 % selon les contrats, mais l’empilement de taxes rend l’exercice de plus en plus intenable, surtout pour les plus âgés. Entre 55 et 80 ans, on consomme environ cinq fois plus de soins que le reste de la population, et la part des 80+ va fortement progresser d’ici 2050. Si on ajoute 200 000 entrées en ALD par an et des déficits récurrents de 15 à 20 Md€ côté Sécurité sociale, la pression globale augmente : sans réformes de fond, le renoncement aux soins progresse. Quant à la spécificité d’une mutuelle par rapport à un assureur privé, elle est liée à la mutualisation et à la gouvernance démocratique. Un euro de cotisation sert la santé des adhérents, pas des actionnaires. Notre ancrage territorial, l’accompagnement et la prévention font partie de notre ADN. C’est un modèle de solidarité non lucratif qui répond à des besoins réels.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que ce modèle est « dépassé » ?
Avec 96-97 % de la population couverte par une complémentaire et une démographie vieillissante, la solidarité organisée est plus nécessaire que jamais. Ce qui coince aujourd’hui, c’est le cadre trop uniforme du «contrat solidaire et responsable» : on nous laisse trop peu de latitude pour adapter les garanties à l’âge, au territoire, aux pathologies. Donnez-nous cette capacité d’ajustement.
Vous proposez un « pacte de confiance » à l’État et à l’Assurance maladie. Concrètement, cela se traduit par quoi ?
Cela se traduit par trois briques : une programmation pluriannuelle partagée, avec des objectifs et des transferts prévisibles, une clarification des rôles – l’Assurance maladie garantit le socle, les complémentaires prennent des périmètres définis avec de vrais leviers (prévention, lutte contre fraude et abus, orientation des parcours) et la modularité des contrats pour coller aux besoins. Nous sommes même prêts à rembourser davantage si le régime obligatoire augmente le ticket modérateur, à condition d’une programmation claire.
Qui doit reprendre quoi, ou redistribuer quelle charge ?
À l’État et au régime obligatoire : le socle universel et la régulation macro. Aux complémentaires : des périmètres complémentaires clairement transférés (par exemple un ticket modérateur modulé), programmés, et les outils pour agir efficacement – prévention, data/IA, contrôle des abus, réseaux de soins. Sans coopération réelle, chacun ajuste dans son coin et on n’équilibre jamais l’ensemble.
Vous demandez que la part des taxes figurant sur les cotisations soit rendue visible aux adhérents. Êtes-vous prêt à l’afficher systématiquement ?
Oui, rendre visible la part de taxes sur chaque appel de cotisation, c’est respecter l’adhérent et clarifier qui décide de quoi dans le prix final. Chacun doit assumer sa contribution au coût supporté par les ménages. Quand la fiscalité augmente, il faut que cela apparaisse clairement.
Vous préparez un livre blanc sur l’avenir de la protection sociale. Quelles pistes fortes pourraient s’y retrouver ?
Ce livre blanc, issu de notre conférence de plaidoyer du 23 octobre, portera : un cadre de coresponsabilité État/assurance maladie/complémentaires ; des garanties modulaires ; une offensive de prévention simple et massive (par exemple proposer une heure de marche par jour à nos adhérents, avec organisation locale) ; la lutte outillée contre fraude et abus (IA, partage de données, contrôle renforcé des postes chers : optique, dentaire, audio) ; et l’optimisation des parcours vers les soins pertinents.
Vous parlez de prévention, de lutte contre la fraude, d’optimisation des parcours. Où sont les gains les plus immédiats ?
La prévention chez les seniors a des effets rapides et peu coûteux : l’activité physique régulière améliore nettement l’état de santé. Et le contrôle des abus sur les postes à risque permet d’écrêter les dérives sans pénaliser les assurés. À notre échelle, la fraude est contenue à ≤ 1 % – soit 150 000 à 200 000 € détectés par an – grâce à des algorithmes et quize ans de retours d’expérience.