Sur un marché de quelque 600 M€ en France, la responsabilité civile médicale, aussi bien des professionnels de santé que des établissements, est historiquement sous pression. La crise sanitaire est venue encore raviver les tensions.
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Sham (groupe Relyens) n’entrevoit pas le bout du tunnel ! Pour la deuxième année consécutive, le mutualiste européen spécialiste en RC médicale des établissements de santé enregistre en 2020 un résultat net négatif -2,9 M€, contre -5,7 M€ en 2019. La faute notamment à l’augmentation des charges de sinistres bruts, qui s’établissent à 477,4 M€ (+ 6 % par rapport à 2019). Un montant qui se répartit entre les provisions pour sinistres et rentes (219,3 M€) en nette augmentation par rapport à 2019, et le montant des sinistres réglés, qui se maintient à un niveau élevé en dépit d’une légère baisse (-5.5 % à 258,1 M€ en 2020). Bien qu’en hausse de 8,5 %, à 69,8 M€, les résultats financiers n’ont pas suffi à compenser la sinistralité de l’exercice 2020. Pour Dominique Godet, directeur général du groupe Relyens : « 2020 a été difficile. Nous continuons à subir la dégradation de la sinistralité sur la RC des établissements de santé en France, et la Covid-19 nous pousse à être prudents sur les provisions. »
La majoration de l’indemnisation des préjudices corporels est un autre facteur explicatif de cette hausse de la sinistralité, comme l’explique Philippe Auzimour, directeur général du cabinet Branchet (dans le giron du courtier Verspieren), et spécialiste des plateaux techniques lourds : « Nous observons une hausse de l’intensité des sinistres sur 2020 de l’ordre de 6,6 %. Nous constatons également une hausse des réclamations vis-à-vis des anesthésistes réanimateurs. C'était prévisible, ce sont ces professionnels qui sont sur le pont depuis plus d’un an, pour faire du programmé, et pour prêter secours en réanimation. »
En revanche, sur d’autres spécialités médicales, les professionnels observent une baisse de la sinistralité de fréquence. C’est notamment le cas pour les chirurgiens-dentistes, comme le souligne Nicolas Gombault, directeur général délégué de la MACSF : « Pour les soins dentaires, le conseil de l’ordre avait notamment demandé aux chirurgiens-dentistes de fermer leurs cabinets durant le premier confinement. Cela a contribué à faire baisser la sinistralité en fréquence. » Une tendance confirmée par Philippe Auzimour sur son portefeuille de chirurgiens : « Durant le premier semestre 2020, les chirurgiens ont pratiquement arrêté d’opérer pendant trois mois. En parallèle, la vie judiciaire s’est pratiquement arrêtée durant cette période, les expertises contradictoires n’ont pas eu lieu. Ces deux facteurs ont conduit à une baisse de fréquence des sinistres de l’ordre de 16 %. »
Chronique d’un déficit
« Le marché de la RC médicale des établissements de santé en France ne peut pas durablement faire perdre de l’argent aux assureurs, la rationalité et le bon sens doivent revenir à l’ordre du jour », observe Dominique Godet. L’organisme qu’il préside a en effet perdu, ou laissé filer, des marchés ces dernières années sur les établissements de santé face à une concurrence féroce, orchestrée notamment par quelques assureurs anglo-saxons. Face à cette concurrence, combinée à la hausse de la sinistralité d’intensité, Relyens assume le choix de la diversification du portefeuille : « À partir de 2019, et face à la poursuite de la baisse des tarifs lors des appels d’offres marché public, nous avons décidé de sortir de cette spirale baissière, de redresser un certain nombre de contrats souscrits, et d’en résilier d’autres lorsque même les revalorisations ne correspondent pas au risque encouru. Cela représente 30 M€ de chiffre d’affaires en moins sur les établissements publics entre 2019 et 2020. Nous avons aussi repositionné notre politique de souscription, exigeante en matière de prévention et très rigoureuse sur le plan tarifaire, une politique renouvelée en 2021. Enfin, nous travaillons au rééquilibrage de notre portefeuille, avec un intérêt accru pour la couverture des agents de la fonction publique territoriale. »
Conséquence de la hausse de la sinistralité et de la discipline de fer des grands opérateurs du marché, le marché de la RC médicale des établissements se redresse sur le plan tarifaire. « Nous observons un redressement, avec des majorations dictées par la réassurance, indique Philippe Auzimour. Longtemps, les assureurs ont sous-tarifé le risque des établissements en le mutualisant avec celui des praticiens. Ce n’est plus envisageable aujourd’hui. »
Le mur des déprogrammations
À côté de la hausse des sinistres d’intensité, les porteurs de risque s’attendent à une augmentation significative des mises en cause des professionnels de santé ou de leurs établissements dans le cadre de la déprogrammation des actes de soin en vue de libérer de la place aux patients Covid. « Nous avons une forte tension sur ce risque de perte de chance, avec des chirurgiens qui nous sollicitent de plus en plus pour les guider sur les démarches administratives à faire en cas de non-disponibilité du bloc opératoire. Face à cela, Branchet a lancé une offre d’assistance médico légale 24h/7j », souligne à cet égard Philippe Auzimour.
Spécialiste de la RC médicale, l’avocat Alexandre Regniault (Simmons and Simmons) s’attend lui aussi à la multiplication du contentieux lié aux déprogrammations d’actes médicaux et met en garde : « Ce n’est pas parce que vous avez un contexte général qui impose de déprogrammer un certain nombre de choses qu’il faut déprogrammer de manière aléatoire. Il est nécessaire de respecter les recommandations nationales, notamment établies par la Conférence nationale de santé en 2020, qui détaille en quatre pages des points de vigilance, des modalités de mise en œuvre de la déprogrammation et ses conséquences en termes de pertes de chance des patients. En définitive, la déprogrammation est un contexte de renforcement de l’obligation d’information du professionnel vis-à-vis de son patient. »