Présenté comme une mise à nu, l’exercice du rapport SFCR auquel doivent se livrer les assureurs depuis six ans n’est finalement pas si révélateur que cela. Alors même que l’agrégation des éléments nécessaires à sa rédaction relève du tour de force, certaines activités et données restent encore difficiles d’accès aux assurés.
Depuis le 1er janvier 2016, les compagnies d’assurance sont soumises au régime Solvabilité II et par extension à la publication annuelle d’un rapport SFCR (Solvency and financial conditions reports) rendant compte de leur solvabilité. Le rapport, à publier tous les ans, doit faire la présentation de l’activité et des résultats, du système de gouvernance, des profils de risque, de la solvabilité et des fonds propres. Initialement à destination des assurés, ces rapports sont en fait surtout scrutés par les professionnels de l’assurance.
Pour les analystes crédit, tout commence par le ratio de solvabilité qui détermine le coussin de sécurité lors d’un investissement. « Ce ratio est complexe et mérite une analyse approfondie. Beaucoup de choses nous intéressent : la composition du numérateur de ce ratio, la composition et la qualité du capital, les sensibilités au marché action », explique Simon Outin, analyste-gérant spécialiste du secteur bancaire et assurance européen chez Allianz GI.
Autre indicateur utile, les provisions techniques. « Une politique de provisionnement trop juste est un problème. Cela nécessite ensuite de provisionner de façon importante a posteriori, car les pertes ont été supérieures aux attentes. C’est ce qui définit le niveau de risque », poursuit-il. La publication de ces rapports est aussi un enjeu de communication « important et sensible », concède Grégoire de Montchalin, directeur de plan, budget, résultats et contrôle (PBRC) chez Axa groupe. Leur rédaction est surveillée comme le lait sur le feu et implique un processus lourd d’agrégation de données et de validation. « Plusieurs directions travaillent sur sa rédaction. Les pôles risques, actuariat, investissements, comptable, juridique, conformité… Tout le monde est sur le pont avec un processus de validation fort du groupe. Le rapport est ensuite soumis au comité d’audit et des risques et au conseil d’administration qui le valide », retrace Julie Gaudin, responsable gouvernance transverse des risques et reporting consolidé de CNP assurances. Les informations communiquées dans le SFCR sont donc passées au peigne fin mais également distillées avec parcimonie.
Informations sensibles
Les assureurs doivent intégrer dans ce rapport un ensemble d’informations listées par la réglementation, qui laisse toutefois une part de libre arbitre. « Les éléments à évoquer sont connus mais le niveau de détail peut différer d’un acteur à l’autre », poursuit Julie Gaudin. L’ACPR rappelle la nécessité d’intégrer toute information présentant un caractère significatif, c’est-à-dire « si son omission ou son inexactitude peut influer sur les décisions économiques que les utilisateurs prennent sur la base de l’information financière ». Certains jouent cependant plus le jeu que d’autres. « Ceux dont on pourrait se dire qu’ils y portent moins d’intérêt et qu’ils vont les négliger, comme des petites mutuelles, finalement font des rapports de qualité. Notamment sur le chapitre de l’explication de la constitution du résultat financier. Un chapitre pas facile à écrire », explique Carole Splichal, conseillère en actuariat et gestion des risques auprès du cabinet Galea & associés. Elle poursuit : « En théorie, en lisant ces rapports, on doit être en capacité de comprendre la source des profits, comment sont constitués les chiffres présentés, l’origine des évolutions, etc. En pratique cependant, il n’y a pas “l’histoire” qui va avec. »
La plupart des rapports se retrouvent ainsi dépouillés du contexte et d’explications. Ce qui devait apporter davantage de transparence auprès des assurés s’est transformé en un énième exercice de conformité, faisant l’impasse sur des éléments importants à la compréhension.
Filtre en interne
Ceci étant dit, plusieurs éléments expliquent cette situation. D’une part, les informations communiquées sont sensibles. Le SFCR étant accessible à la concurrence, chacun fait attention de ne pas donner des éléments qui pourraient nuire à l’entreprise. « Sur le marché très concurrentiel de l’épargne par exemple, tout un calcul se joue sur la communication du taux servi. Chacun attend que les concurrents aient communiqué le leur pour ensuite pouvoir calibrer au mieux le taux qu’ils vont distribuer, au vu des produits financiers et d’une éventuelle reprise sur la provision pour participation au bénéfice », partage Carole Splichal. Cela a aussi été le cas lors de la crise sanitaire lorsque certains ratios de solvabilité flirtaient avec les 100 %. « Le gouvernement avait permis aux compagnies fragilisées d’abonder leurs fonds propres avec leur provision pour participation aux bénéfices, afin d’améliorer artificiellement le ratio de solvabilité », rappelle-t-elle.
Autre raison à ces rapports quelque peu exsangues, les conditions de leur rédaction. Les données sont nombreuses et variées, et s’assurer de l’uniformité de la forme et du fond est un travail de grande ampleur en un temps limité. Les rédacteurs doivent en effet attendre que les QRT (reporting quantitatif) soient écrits pour commencer les commentaires narratifs. « Et ils sont souvent livrés très tard. Cela laisse donc très peu de temps pour écrire. En fait, la principale difficulté est la récupération d’informations en interne. Les personnes qui rédigent le rapport n’ont pas forcément reçu toutes les informations qu’elles auraient souhaité·», poursuit Carole Splichal qui ajoute qu’il est parfois difficile pour les équipes qui rédigent de commenter des chiffres qu’elles n’ont souvent pas produit ni eu le temps d’analyser finement.
Mise en cause du SFCR
Malgré ce branle-bas de combat, le SFCR semble arriver un peu après la bataille, le document d’enregistrement universel (URD) ayant déjà été publié. « Il n’y a aucune info qui n’ait pas déjà été rendue publique en février. Nous faisons donc essentiellement des renvois dans notre SFCR », lance Grégoire de Montchalin. Même son de cloche chez CNP assurances. Pourquoi alors continuer à produire au prix de tant d’efforts un rapport boudé par les assurés ? Premier élément de réponse auprès de Grégoire de Montchalin qui mentionne les sociétés d’assurance individuelle, jusqu’ici pas contraintes par la réglementation : « L’instauration de ce rapport a créé historiquement une obligation nouvelle pour ces sociétés de rendre public ces données. De même pour les filiales et entités d’un groupe coté. » Le SFCR est également important lors d’appels d’offres, «·notamment pour les assurances collectives où le ratio de solvabilité est un atout majeur », complète Carole Splichal.
Ce rapport réglementaire reste néanmoins très technique et orienté métiers de l’assurance, perdant de vue l’objectif premier : apporter plus de transparence aux assurés. « Des réflexions autour de l’évolution de ce rapport sont actuellement menées notamment par l’EIOPA (autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles) qui propose par exemple de le scinder en deux parties, l’une à destination des assurés et l’autre à destination d’un public averti sur l’assurance », informe Julie Gaudin chez CNP.
Deux rapports narratifs
Le pilier 3 de la directive Solvabilité II, dédié à la transparence de marché, exige une communication annuelle d’éléments qualitatifs et quantitatifs. Deux rapports narratifs sont imposés aux compagnies d’assurance avec un objectif de diffusion au public, le SFCR et à l’ACPR, le RSR.
Deux questions à : Grégoire de Montchalin, directeur de PBRC (plan, budget, résultats et contrôle) chez Axa groupe
« Le SFCR assure un niveau minimum et homogène d’information »
En quoi l’exercice de communication financière complète-t-il les publications réglementaires ?
En tant que groupe coté, nous sommes supervisés par l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui rend obligatoire la publication de nombreuses informations dans l’URD, dont les comptes consolidés. De la même manière, en tant qu’assureurs, nous sommes soumis à la réglementation Solvabilité II qui requiert notamment la publication du SFCR. Ces publications réglementaires assurent un niveau minimum et homogène d’information, ce qui est bien sûr nécessaire. Mais il est tout aussi indispensable d’y ajouter une dimension de communication financière, qui est un exercice en réalité très normé à travers lequel nous faisons le lien entre ces informations et les objectifs financiers que le groupe s’est fixé, ce qui nous amène aussi souvent à les compléter par des indicateurs alternatifs de profitabilité, comme le ratio combiné ou notre résultat opérationnel.
Est-ce que la nouvelle norme comptable IFRS 17 va rapprocher les comptes des assureurs de leur bilan Solvabilité II ?
Oui ! La particularité des provisions du bilan de Solvabilité II est que ce sont des provisions économiques calculées avec des modèles stochastiques pour essayer de donner la valeur la plus économique possible aux engagements d’assurance, notamment en assurance vie. Cette méthode de calcul s’est développée ces trente dernières années et Solvabilité II a été le premier cadre européen à rendre obligatoire l’utilisation de ces techniques pour mesurer les provisions. Dans le SFCR, nous expliquons le passage entre les provisions telles qu’elles sont dans les comptes et celles du bilan de Solvabilité II. L’année prochaine, cette réconciliation sera rendue plus facile, car les provisions qui seront dans les comptes IFRS – en vision IFRS 17 – seront très proches de celles de la vision Solvabilité II.