Popularisées à la faveur de l’intégration du numérique dans l’assurance, les Digital Factories se sont propagées telle une traînée de poudre. A l’instar de la ruée vers l’or du 19 siècle, qui a bénéficié aux vendeurs de jeans bien plus qu’aux chercheurs d’or, les Digital Factories profitent-elles aux assureurs ? Quel est leur apport réel dans la production des livrables digitaux ?
journaliste
Le vent du digital qui souffle sur l’assurance introduit de nouveaux concepts opératoires et bouscule les modes de collaboration traditionnels. à la DSI toute puissante et pourvoyeuse de livrables succèdent de nouveaux modèles et structures. Des Think Tanks, labs et autres Digital Factories émergent et prennent position sur le terrain de la production des livrables afin d’en accélérer leur conception et leur réalisation. Pour Catherine Hélaine, associée chez Colombus Consulting : « Il s’agit avant tout de faciliter la production de ces livrables digitaux, de préférence en mode agile et à un travail fort sur le volet innovation en apportant des moyens aux métiers pour transformer et faire évoluer les processus. C’est une première étape que tous les acteurs du marché, quel que soit leur statut (mutuelles, compagnies, groupes de protection sociale, etc.), ont pleinement embrassée. Tous ont amorcé cette transformation à quelques exceptions près. »
Sourcer les initiatives digitales
Sur le terrain, l’observation du théâtre des opérations confirme une telle analyse. Que ce soit la Mutuelle générale en santé ou les assureurs traditionnels tels Axa ou Allianz : leur préoccupation commune est la volonté de sourcer les initiatives et passer vite du POC (proof of concept) à l’industrialisation des idées sous-jacentes. « Allianz a été le modèle achevé d’une telle démarche via son accélérateur de start-up basé à Nice pour « sourcer » les idées et la mise en place des écosystèmes, en charge de faire vivre les collaborations internes, pour déployer ces idées », observe Catherine Hélaine qui dresse le bilan : « Sur 20 POC lancés il y a deux ans et demi, 25 % ont été concrètement déployés selon Allianz France. »
Plus généralement, l’assureur indique que son « accélérateur niçois atteint aujourd’hui une belle maturité avec près de 33 M€ levés pendant la période d’accélération pour 33 start-up accélérées et plus de 130 M€ au total ». Et Sylvain Theveniaud, directeur de l’accélérateur d’Allianz France, de préciser : « Avec cette promotion, nous allons explorer des solutions innovantes dans les domaines de l’accompagnement des parcours de soin, des services et objets connectés liés à la prévention santé. La collaboration avec des start-up est un atout supplémentaire pour soutenir le développement de l’écosystème « Ma santé » d’Allianz France et aider à anticiper les besoins et usages de nos clients en santé et en prévoyance. »
De la démarche produit à la logique client
A la faveur de ce recours aux structures de digitalisation ad hoc, le porteur de risques a mis en avant un nouveau concept d’organisation regroupant les parties prenantes en transversale, indépendamment des structures organisationnelles en place. Le client devient alors la préoccupation numéro 1 : une révolution dans une industrie habituée à raisonner avant tout produit. Le concept de mutualisation est ici revisité par la logique de personnalisation encouragée par Internet.
Les Digital Factories se sont également matérialisées au sein des groupes de protection sociale à l’instar de l’expérience de Malakoff Médéric qui en a mis une en place : la direction innovation, digitale & data. Sa vocation est également de diffuser une culture de l’innovation, du digital et de la data au sein du groupe. Pour soutenir une telle démarche, l’institution a créé un Lab, structure d’accélération de l’innovation et de création de valeur pour le groupe et ses clients. Selon Catherine Hélaine : « L’ambition de Malakoff Médéric en créant la direction innovation, digitale et data était de jouer à la fois sur les hommes et la technologie. La structure a intégré à la fois 60 internes et 40 externes. Il s’est déjà traduit par le lancement de plusieurs innovations parmi lesquels un outil de gestion de la fraude à base d’intelligence artificielle. Son ambition est aussi de simplifier l’expérience client, comme Amazon, et de proposer le « one click » aux utilisateurs. Plus généralement, ces nouvelles méthodes changent le rythme de production des projets digitaux qui passe à six-huit mois, grâce à la collaboration des métiers et de la DSI. » En fait, le groupe travaille, par exemple, en mode « squad ». En clair, une équipe de 12 à 15 personnes regroupant l'ensemble des compétences, coiffée par un product owner issu d'une direction métier, s’engage sur la valeur client.
Quant à la direction digitale et data, elle est chargée de l’immersion clients, de la conception et du design de l'expérience client. Quid de la DSI dans ce montage ? Elle prend en charge la réalisation des produits digitaux et data, le tout financé par la direction digitale et data avec un budget de 100 M€ sur cinq ans. à ce jour, plus de 30 squads sont déjà en place. L’objectif du groupe est de livrer tous ses projets digitaux en six mois. Ces structures légères travaillent en mode jeunes pousses et évitent l’enlisement des chantiers comme peuvent les connaître parfois certaines DSI. Selon Djamel Souami, directeur associé, assurance et protection sociale de Micropole et tout nouvellement élu président du CTIP : « Dans l’état du marché de l’assurance, il paraît impossible de mener une transformation digitale en se reposant à 100 % sur l’interne. Certains assureurs misent ainsi sur l’innovation externe, notamment via leurs fonds d’investissement dans les start-up. Même si chacun sait que toutes les jeunes pousses ne réussiront pas ; sur dix sur lesquelles on investit, combien tiendront leurs promesses ? De manière empirique, huit en moyenne échouent, une va vivoter et la dernière va payer tout le monde… au mieux. La fertilisation ne se faisant pas seule, nous poussons à l’émergence « d’intrapreneurs ». En fait, des product-owners avec la fibre entrepreneuriale. » Faute de pouvoir impulser l’innovation seulement en interne, il faut aussi la pousser de l’extérieur.
Le dernier mot revient à Accenture, géant du conseil et de la transformation digitale, s’il en est. « À travers de multiples projets digitaux conduits dans l’assurance, nous avons effectivement assisté à l’émergence des Digital Factories et même des Digital IT Factories, pour répondre à un problème de production rapide de livrables et respecter le fameux Time to Market. Parallèlement, la volonté de mieux former les collaborateurs au digital encourage la création de ces structures. Comment créer une entité innovation à même de renforcer ce qui est fait au quotidien ? Répondre à cette attente a souvent motivé la création d’App Factories », observe Xavier Fromant, senior manager chez Accenture Digital, avant d’ajouter : « Cela peut prendre du temps et mûrir progressivement. »