Concentration des acteurs, saturation du marché et innovation techonolgique. Tout pousse les assureurs à changer de positionnement publicitaire et de mode d'expression.
La baisse des investissements publicitaires marque le pas. Entre janvier et septembre 2014, le secteur de l'assurance a dépensé 421,2 M€ bruts, tous médias traditionnels confondus (presse, radio, télévision, publicité extérieure et cinéma), selon l'Observatoire publicitaire banque-assurance de Kantar Media. C'est 4,2 % de moins qu'en 2013. Mais simultanément, les assureurs ont massivement investi dans la publicité en ligne (ou display) : 106,7 M€, un montant que Kantar Media mesure pour la première fois en 2014.
« Les investissements sont globalement repartis à la hausse, commente Isabelle Duvernay, directrice de la marque d'Axa France. En 2014, ils ont augmenté de 21 % (hors achat de mots clés et affiliation) sur le secteur banque, assurance et comparateurs. En un an, les banques ont fait progresser leurs achats de 30 % ; les assureurs de 9 %. » Le secteur financier au sens large serait même le plus dépensier actuellement en publicité. « Ce sont les secteurs de la banque et de l'assurance qui ont le plus investi au cours de ces dernières années », estime ainsi le consultant André Marot, directeur associé de l'agence The Links.
Coup de pouce réglementaire
A quoi tient cette dynamique ? Tout d'abord au contexte réglementaire propre à l'Hexagone. Concrètement, la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés, de même que la loi Hamon permettant aux consommateurs de résilier leurs contrats auto et habitation sans attendre la date d'échéance de leurs polices, ont obligé les assureurs à communiquer. Un choix opéré par Axa : « Fin 2014, nous devrions être le premier assureur en part de voix publicitaire », prévoit Isabelle Duvernay. Il lui aura fallu dépenser pour cela de l'ordre de 45 M€, pour atteindre 3,3 % de part de voix. « Le marché est ardu, poursuit-elle. Plus de 400 assureurs, bancassureurs et comparateurs se le disputent. »
Cœur de métier
Cette concurrence pousse les assureurs à communiquer sur leur cœur de métier. Bruno Lacoste, directeur marketing et communication de Maaf, assiste, lui aussi, à une suractivité du marché publicitaire largement due à cette concurrence échevelée : « Elle se traduit par le retour des assureurs vers le marché professionnel et la santé. L'approche de la mise en œuvre de l'ANI ne l'explique qu'en partie. Il faut tenir compte d'un autre phénomène, qui est l'ultra-concurrence sur l'Iard du particulier. En effet, sur ce secteur, les bancassureurs ont pris un point de part de marché par an depuis 15 ans, alors que le parc automobile et le nombre de logement ont peu augmenté sur la période. Le marché est saturé. » Après avoir grignoté près de 15 % de l'offre d'assurance sur ces segments, les banques attaqueront inévitablement, selon lui, le marché de la santé.
Ce nouvel élan en matière d'investissement publicitaire tient également aux fusions et aux rapprochements entre assureurs qui se sont accentués depuis 2009. Et ce, en réaction à la directive Solvabilité II. Mais comme les réorganisations ne sont pas encore toutes stabilisées, les compagnies prennent la parole. « Quand les mutuelles A et B fusionnent, elles trouvent assez logique de se baptiser mutuelle AB. Mais lorsqu'elles sont rejointes l'année suivante par la mutuelle C, il faut inventer une nouvelle marque et lui créer une valeur refuge vers laquelle le consommateur pourra se tourner », analyse André Marot. Conséquence, « les stratégies publicitaires de marque sont de plus en plus tendues. Chacun veut garder ses axes de développement secrets, tant que la plate-forme de marque n'est pas prête », ajoute-t-il.
L'influence du numérique
Cette discrétion est renforcée par un phénomène difficile à maîtriser : l'irrépressible influence des usages numériques sur la vie quotidienne. Il est temps de s'adresser autrement au consommateur connecté et suréquipé d'outils de mobilité. « Le secteur de l'assurance est entré dans une phase de transition, affirme Sylvain Burel, directeur de la communication de Groupe Groupama. Les assureurs sont nombreux à passer des appels d'offres pour renouveler leur plate-forme de marque. »
Renouveler sa plate-forme de marque, c'est changer de positionnement publicitaire et de mode d'expression. On a vu Allianz se relancer avec une nouvelle égérie et une nouvelle approche de l'assurance plus émotionnelle que sa précédente campagne incarnant la raison. Parmi les mutuelles, les acteurs de taille intermédiaire cherchent également à se démarquer : Apreva a adopté des peluches rose framboise bienveillantes pour distiller des messages sécurisants, tandis que la MNH a adopté le dispositif de la saga, façon roman-feuilleton, pour afficher la symbiose entre l'univers hospitalier et les services de la mutuelle.
Moderniser ses marqueurs
« Les groupes révisent leurs stratégies de marque dans leur ensemble : image d'employeur, d'institution, image des produits, et des services. Compte tenu de la multiplicité des cibles et de la porosité qu'elles ont les unes vis-à-vis des autres, il faut savoir articuler les différents canaux de communication, qu'ils soient publicitaires ou propriétaires. La question est de savoir comment dépenser mieux, comment avoir plus d'impact à moyens équivalents », poursuit Sylvain Burel. Pour lui, la tendance est à un repli des achats orientés sur la télévision, sinon à une renégociation des contrats publicitaires, au profit des campagnes digitales.
L'année 2015 sera marquée par le renouvellement des stratégies. Groupama est dans ce cas : « Nous travaillons sur la digitalisation de notre communication et la modernisation de nos marqueurs (c'est-à-dire les caractéristiques d'une publicité : égérie, jingles, logos...), explique le dircom de l'assureur vert. L'idée est de proposer une communication plus horizontale et contributive, donc moins descendante. La construction de nos contenus va se faire avec nos clients. L'égérie doit accompagner ces nouvelles formes d'expression entre l'assureur et son client. »
Résultat, un avatar de plus pour Cerise ! Personnage créé en 2005, Cerise aura été tour à tour une cliente de Groupama dans les premières publicités, puis un emblème de la marque, avant d'endosser le costume de l'idéal type de la conseillère, au gré des modifications que les publicitaires ont fait porter sur son apparence physique.
La Macif, elle aussi, s'apprête à remanier sa plate-forme de communication. Son emblème, la chaîne humaine, et sa signature, "La solidarité est une force", avaient été installés en 2006. Son parti pris intergénérationnel n'est plus suffisant pour séduire la clientèle de jeunes actifs "biberonnés" aux objets mobiles et connectés. « Les nouveaux usages numériques ont révisé la hiérarchie des prises de parole, analyse Catherine Antonetti, directrice de la communication du groupe Macif. L'assureur ne peut plus se contenter de s'exprimer face au journaliste et à son média. Il doit tenir compte du fait que le consommateur prend aussi la parole. Nous devons raisonner en termes de proximité, de segmentation de nos publics et de prise en compte du numérique au sens large. » De plus, ses succès de sponsor en voile lui ont fait découvrir des possibilités de rayonnement inédites sur les réseaux sociaux : « Du 20 octobre au 30 novembre, la participation de François Gabart sur la Route du Rhum a généré plus de 2 500 posts sur les réseaux sociaux, dont 2 000 sur Twitter. »
Martingale
Même si la digitalisation s'impose dans les dispositifs de communication, elle n'est tout de même pas la martingale. Et l'enjeu d'adhésion de l'opinion vis-à-vis des assureurs reste entier. « Malgré tous les efforts accomplis ces dernières années en matière de qualité de service, on n'a pas fondamentalement modifié la relation du client aux institutions - je veux parler des banques et des assureurs, estime Philippe Hassel, directeur de la communication du groupe Apicil. Cette difficulté persiste : le produit d'assurance reste assez peu désiré et c'est ce qui fait la complexité du sujet. Au-delà des choix pour le digital ou les canaux traditionnels, je suis frappé de constater que les Français continuent de marquer une forte défiance vis-à-vis des acteurs en place comme des nouveaux entrants de l'assurance en ligne. Cela doit nous interroger sur les messages à faire passer. » Apicil a fait le choix de centrer ses messages sur l'utilité sociale de ses dispositifs de protection sociale.
Autre obstacle récurrent : l'affichage n'a pas d'impact direct sur les comportements des consommateurs d'assurance, à l'inverse de l'automobile ou des produits de grande consommation. « L'assurance est l'un des secteurs pour lequel le retour sur investissement est le plus difficile à réaliser, car il existe toujours un décalage entre le moment de la diffusion du message et celui de l'acte d'achat », analyse Isabelle Duvernay.
« Comme les offres sont indifférenciées, le consommateur se raccroche inévitablement au prix », rappelle André Marot. Pour lui, une communication publicitaire doit être « identifiante et différenciante » pour être efficace. Exit les photos d'agence, il ne croit qu'aux créations sur-mesure. Quitte à déplaire. « Dans tous ses choix de communication, une marque doit éviter absolument le consensus mou auquel s'exposent les prises de décision collégiales. Les acteurs qui ont osé créer un territoire créatif fort, c'est-à-dire différent et suffisamment mémorisable pour susciter de l'empathie, ont pu donner à leurs publicités plus de constance et d'impact. Cela demande une grande ténacité du management, car tout pousse à changer d'une année sur l'autre. »
Connu, apprécié et choisi
Maaf a réussi ce pari. Et sa saga Palace, installée dans le paysage médiatique depuis dix ans, est toujours première dans le palmarès TNS Sofres de la mémorisation des publicités, devant MMA, Groupama, Axa, Macif et Matmut. En terme de notoriété spontanée, la marque est deuxième, après Axa, mais devant la Macif, MMA, Groupama et Matmut. « Notre but est bien sûr de nous maintenir, sourit Bruno Lacoste. Il est important d'être connu, mais il faut aussi être apprécié et choisi. Pour le rester, nous avons corrigé quelques éléments de notre saga. Par exemple, nous avons atténué le côté théâtral des spots et l'équipe Maaf se déplace désormais chez les clients, un commerçant ou sur un chantier du bâtiment par exemple. Les professionnels nous reconnaissaient déjà bien pour notre marque, ils se sentent maintenant davantage concernés par nos offres pour leur activité. »
La marque suit ses scores de mémorisation et de notoriété tous les mois. Elle confie des études deux fois par an à Ipsos pour comprendre la perception de ses spots sur le fond, la forme, l'agrément de lecture, la compréhension des offres et l'impact commercial.
À l'heure des réseaux sociaux
Les assureurs dont la cote de popularité est moins bien installée, ou ceux qui n'ont pas une puissance de feu aussi significative, peuvent malgré tout tirer leur épingle du jeu. « Il faut prendre en considération le parcours de conviction de la marque, explique François Pelletier, directeur de l'agence Carat (Dentsu Aegis Network). Pour bâtir une stratégie publicitaire, nous partons du principe que le consommateur ne connaît pas l'assureur. Il s'agit de lui faire considérer la marque pour ses valeurs. Ensuite, on traite la phase d'évaluation de l'offre par le consommateur, en lui suggérant ses avantages concurrentiels. La quatrième phase est celle de l'achat du produit : à ce stade, on a amené le client jusqu'à son chargé de clientèle. »
Dernière étape, la phase de recommandation sur les réseaux sociaux. « Nous l'avons fait pour Apicil. Nous avons partagé son livre blanc de la bonne santé en entreprise sur les réseaux sociaux. Coût quasi nul, puisque le document existait déjà, mais cette démarche est utile pour donner à la marque une image de capacité d'anticipation et de rayonnement, même en one to few ». Faire du bruit n'est toutefois pas le but recherché. « Il est toujours préférable de faire parler les marques à travers du contenu, sur leurs valeurs et leur métier, puis de choisir ensuite les bons haut-parleurs en fonction des messages », conclut François Pelletier.
" L'assureur ne peut plus se contenter de s'exprimer face au journaliste et à son média. Il doit tenir compte du fait que le consommateur prend aussi la parole. Les nouveaux usages numériques ont révisé la hiérarchie de leurs prises de parole. "
Catherine Antonetti
Macif
C'est Alice Gingembre qui incarne aujourd'hui le personnage de Cerise, l'égérie de Groupama et la cinquième du genre. Porte-parole de la marque, Cerise évolue désormais dans une agence ; elle engage un dialogue tout en conseils avec des clients qui témoignent ainsi de façon simple et concrète de l'utilité des solutions Groupama dans leur vie quotidienne.
TOP 10 des investissements publicitaires * (en M€)
La Maaf toujours en tête
* De janvier à septembre 2014 vs 2013
Si la saga Palace impose, depuis 2004, la marque Maaf dans l'esprit des consommateurs, Axa pourrait devancer la mutuelle en termes d'investissement publicitaire dès la fin de l'année 2014.
" Les acteurs qui ont osé créer un territoire créatif fort, c'est-à -dire différent et suffisamment mémorisable pour susciter de l'empathie, ont pu donner à leurs publicités plus de constance et d'impact. "
André Marot
The Links