Un seul être vous manque et tout est dépeuplé... Si les grands groupes ont compris depuis longtemps l'intérêt de souscrire une garantie homme-clé, qui se double d'avantages fiscaux, les petites entreprises sont désormais la cible des assureurs.
Elle n'est plus réservée aux dirigeants ou aux grands patrons qui incarnent à eux seuls leur entreprise. Ses horizons se sont élargis avec la prise en compte de nouveaux risques, pour lesquels l'assurance a bien souvent dépassé sa mission d'indemnisation des sinistres subis. La crise, les transformations du monde du travail et des sociétés expliquent dans les grandes lignes la métamorphose de l'assurance homme-clé. Mais des invariants demeurent. D'abord sa fonction première, unique et cardinale : protéger et indemniser l'entreprise, et non l'homme-clé objet du contrat, en cas d'incapacité totale, partielle, temporaire ou définitive de ce dernier à l'exercice de ses fonctions. Ensuite, son positionnement, à cheval entre l'assurance dommages ou responsabilité professionnelle et la prévoyance.
Gestion de crise
Les disparitions brutales de Christophe de Margerie, le PDG de Total, d'Edouard Michelin ou d'autres grands patrons ont mis l'accent sur l'importance à accorder aux processus de "régence" à la tête de ces géants de l'industrie (lire encadré p. 46). Des périodes cruciales au cours desquelles ces entreprises ont toutes travaillé étroitement avec leurs assureurs. Et pas seulement pour des raisons pécuniaires. « Ces assurances homme-clé sont systématiquement actionnées en cas de problème avec les cadres dirigeants ou experts critiques pour la bonne marche de l'entreprise », insiste un spécialiste de la gestion de crise. Et de poursuivre :
« Les enjeux sont trop importants pour elles. Elles doivent s'entourer d'un maximum de précautions pour éviter un vent de panique sur leur cours de Bourse. » D'où les "nuits blanches" des divers experts appelés au chevet du groupe Christian Dior après les dérapages verbaux de son styliste star John Galliano, ou le tollé suscité sur la Toile après les propos sulfureux du parfumeur Jean-Paul Guerlain.
Car l'assurance homme-clé est de plus en plus déclenchée pour se prémunir au cas où un expert ou un salarié hors pair, pas forcément dirigeant, ne pourrait plus travailler pour l'entreprise souscriptrice. Et « la tendance n'est pas nouvelle, à en croire Florence Gilles, directrice du développement produit vie chez Aviva, même si la majeure partie des contrats sont souscrits pour couvrir l'incapacité du dirigeant ». Les secteurs du luxe, de la mode et de l'automobile avaient très vite vu l'intérêt de ces polices en cas de disparition ou de handicap de leurs "nez" (l'homme ou la femme qui compose les parfums), de leurs designers, etc. De même pour l'industrie laitière qui ne peut se passer de son "sorcier", l'autre nom qu'elle donne à son fromager. Les créatifs et autres chercheurs sont bien représentés dans la gamme des personnes couvertes par ces contrats, tout comme certains chirurgiens ou médecins et même des ténors du barreau, associés de grands cabinets d'avocats. D'autres fonctions deviennent éligibles comme les "dircoms" ou les directeurs juridiques, financiers, des affaires publiques (ou du lobbying). « Ces hommes et ces femmes jouent un rôle-clé en cas de fusion-acquisition ou lorsque leur entreprise traverse une passe difficile. On appréciera leur caractère-clé ou la difficulté, voire l'impossibilité, à les remplacer au vu de leur réseau relationnel, de leur carnet d'adresses ou de leur savoir-faire pour négocier, etc. », indique un souscripteur d'une grande compagnie européenne. Là encore, la sélection des ressources stratégiques n'appartient qu'au dirigeant d'entreprise. « L'assureur n'a pas son mot à dire sur ce choix », insiste Florence Gilles.
Garanties bancaires
Car les entreprises ne veulent plus seulement se couvrir "au cas où". La finalité de l'assurance homme-clé s'est également enrichie au fil des ans. Avec la longue crise financière des dernières années, elles ont ajouté la corde des garanties bancaires à leur arc : les entreprises mettent ainsi sur la table leur garantie homme-clé lorsqu'elles négocient un crédit. Voire, selon un dirigeant, « quand ce ne sont pas les banquiers qui suggèrent, proposent ou insistent en faveur de sa souscription. » « Ils vont s'assurer que le dirigeant et les éventuelles personnes-clés sont bien couverts, que l'entreprise sera indemnisée s'il leur arrive quelque chose. Cela permet d'étoffer les garanties d'une société, d'étayer son dossier de crédit. Un dirigeant d'entreprise s'assure toujours pour lui-même avant de demander un crédit, la banque pose toujours la question au moment des négociations », précise Michel Bigot, responsable du marché des professionnels chez Allianz. « Il s'agit d'utiliser le contrat comme garantie bancaire en transférant une délégation temporaire des bénéfices à l'établissement prêteur pour ne pas avoir à passer et repasser un examen médical », rappelle Florence Gilles. Surtout, ces contrats recèlent un intérêt fiscal non négligeable. En effet, les primes versées chaque année sont déductibles des bénéfices imposables de l'entreprise... En revanche, le capital ou les indemnités reçues en cas de dommage seront taxés comme des résultats exceptionnels. Mais amortissables sur plusieurs années, dans certaines conditions. « C'est la cerise sur le gâteau », sourit Florence Gilles.
Nouveaux risques
Le spectre des risques à couvrir s'enrichit lui aussi. A première vue, l'éventail des dommages pris en charge ne varie pas : les dommages corporels causés par des accidents ou des maladies et qui peuvent entraîner l'invalidité, l'incapacité ou le décès du bénéficiaire. Certains handicaps induiront une indemnisation majorée de l'entreprise souscriptrice pour compenser les pertes d'exploitation subies ou à venir. Car ,pour leur employeur, la perte de l'odorat pour un nez ou du goût pour un sommelier aboutiront à un sinistre majeur. Idem, mais dans une moindre mesure, si ce dernier perd l'usage d'une main ou d'un bras, indispensable à l'exercice de son art. En fait, les lignes bougent à l'intérieur de ces catégories, et suivent en cela l'évolution des entreprises souscriptrices et des conditions de travail. Ainsi, les troubles musculeux squelettiques (TMS) sont désormais couverts. Tout ce qui peut affecter les vertèbres, les disques et les nerfs rachidiens, synonymes d'absences ou de capacités au travail réduites, déclenchera le versement d'indemnités journalières ou d'un capital à l'entreprise souscriptrice.
Ensuite et surtout, les affections psychologiques et psychiatriques, de plus en plus fréquentes chez les dirigeants et salariés à fortes responsabilités, sont désormais prises en compte. L'affaire Galliano a mis en exergue leur forte probabilité de survenance chez des hommes ou femmes-clés particulièrement sollicités. Et surmenés. Même le suicide peut être pris en compte, s'il survient au moins un an après la signature du contrat. Mais ces nouveaux risques supportent tout de même quelques exclusions. D'abord, la couverture souscrite exclura les dommages causés aux tiers par l'assuré, qui relèvent des polices de responsabilité civile professionnelle. Ensuite, certains faits générateurs comme la toxicomanie, l'alcoolisme ou le terrorisme ne sont pas pris en compte. Mais le rachat de ces exclusions est proposé par certains assureurs.
Le champ géographique de ces polices s'élargit aussi. Car nombre d'employeurs parcourent le monde ou y dépêchent leurs hommes et femmes de valeur afin de décrocher de nouveaux marchés. L'option internationale ne pose aucune difficulté particulière lorsque les destinations ne figurent pas parmi les pays ou zones à risque. Même en pareil cas, chez Allianz notamment, ces exclusions pour cause de guerre ou troubles géopolitiques sont rachetables. L'équation peut se compliquer lorsque ces salariés ou gérants s'installent plus ou moins longtemps dans des environnements instables. D'autant que le risque général de défaillance d'entreprise et les litiges pour mauvaise gestion demeurent hors du périmètre de l'assurance homme-clé.
Assistance et conseil
En revanche, le volet assistance de ces polices se muscle de manière conséquente. A l'accompagnement médical, s'ajoute de plus en plus le conseil, voire l'aiguillage de l'entreprise souscriptrice vers des fournisseurs d'équipements ou prestataires de services, comme pour réaménager le lieu de travail d'un salarié ou dirigeant devenu handicapé. Dans le même ordre d'idée et dans le prolongement du rôle patrimonial de ces assurances homme-clé, les compagnies investissent également le domaine de la transition professionnelle. Outre des indemnités ou un capital finançant, entre autres, la recherche ou le recrutement d'un remplaçant, Allianz proposera bientôt à ses assurés ses conseils pour sélectionner le cabinet de recrutement idoine afin de dénicher au plus vite le nouveau talent. Chez AIG et chez Aviva, ce volet "accompagnement" participe également de la personnalisation des contrats, puisque les plates-formes téléphoniques permettent de délivrer des conseils fiscaux, administratifs, notariaux ou même sociaux aux ayants droit désireux de racheter les parts sociales du dirigeant décédé.
Des nouveaux risques, un traitement fiscal très particulier et un rôle de garantie d'appoint pour décrocher une ligne de crédit : l'assurance homme-clé ne manque pas d'atouts pour séduire les chefs d'entreprise, en particulier ceux des TPE dans lesquelles le dirigeant s'apparente à un homme-orchestre. « Le marché est mature, les ETI et les grands groupes sont très bien équipés », explique un porteur de risques. Pas étonnant alors que les assureurs fassent les yeux doux aux TPE. Sur ce créneau, considérable, ils n'hésiteront pas à faire jouer une corde très sensible : celle de l'âge du dirigeant, et de sa vulnérabilité aux risques d'incapacités plus ou moins longues qui augmentent au fur et à mesure des années de carrière qui défilent.
à l'assaut des TPE
L'argument est nécessaire, mais pas suffisant pour les convaincre. Car, plus que pour d'autres, le temps de ces chefs de petites entreprises, souvent issues de l'artisanat ou du conseil, est compté. Quant à la qualité de la relation avec l'assureur, elle commande tout ou presque. Et compromet le passage au tout digital. « La demande de conseil est réelle, la souscription par écrans interposés semble impossible, car ces assurés demandent avant tout à être rassurés », insiste Fabien Vaillant, responsable risques financiers middle-market et responsable Easyace pour l'Europe continentale d'Ace. Sans oublier qu'un autre interlocuteur s'invite dans les négociations : l'expert-comptable. « Il éclairera son client pour évaluer les degrés d'indemnisation ou pour bien appréhender ce qui a trait aux garanties bancaires. L'ennui, c'est qu'il faut faire coïncider leurs emplois du temps pour éviter des déplacements inutiles », reprend-il. Car cette souscription se double aussi d'un examen médical approfondi. « Le digital peut servir ne serait-ce que pour obtenir un premier niveau d'informations sur le souscripteur et, le cas échéant, lui adresser une proposition initiale, avant de l'orienter vers l'agent général le plus proche, un courtier partenaire ou nos réseaux salariés », tempère un courtier qui attend encore l'interface idéale pour modifier les contrats au gré des souhaits des souscripteurs, sans réexamens médicaux fastidieux, voire sur simple déclaration de bonne santé.
A ce facteur temps, s'ajoute l'obligation de la clarté. Ou plutôt de la simplicité. D'où l'intérêt marqué des uns et des autres pour les packs, inspirées de ce qui se fait pour l'assurance auto ou par les opérateurs de téléphonie mobile. Pour Fabien Vaillant, ces formules correspondent au « besoin de garanties larges et à un prix abordables pour les TPE ». Ces offres peuvent aussi séduire par leur flexibilité : le socle de souscription obligatoire demeure, et les autres garanties peuvent être "cliquées" ou cochées en fonction des nécessités et des budgets. Lesquels, comme le rappelle un assureur, « ne sont pas extensibles et encore moins dans les petites entreprises ».
" Les banques vont s'assurer que le dirigeant et les éventuelles personnes-clés sont bien couverts, que l'entreprise sera indemnisée s'il leur arrive quelque chose. Cela permet d'étoffer les garanties d'une société, d'étayer son dossier de crédit. "
Michel Bigot
Allianz
PANORAMA DES PRINCIPALES OFFRES HOMME-CLE DU MARCHE
" La demande de conseil est réelle, la souscription par écrans interposés semble impossible, car ces assurés demandent avant tout à être rassurés. "
Fabien Vaillant
Ace