Camille Mosse, directrice technique santé et prévoyance chez Mercer France

« Nous payons la même garantie prévoyance trois fois moins cher aujourd’hui qu’en 1947 »

Publié le 28 avril 2022 à 10h30

Juliette Lerond-Dupuy    Temps de lecture 7 minutes

Co-autrice d’un rapport sur la généralisation de la prévoyance, Camille Mosse défend la diffusion à l’ensemble des salariés d'un panier minimum de garanties.

Vous avez récemment publié un document en faveur de la modernisation de la couverture prévoyance. Jugez-vous la réglementation obsolète ?

La réglementation prévoyance actuelle compte parmi les plus anciennes et relève d’obligations et de logiques d’après-guerre. La prévoyance en entreprise est actuellement portée par la convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947 reprise par l’ANI de 2017 qui prévoit, pour tout cadre et assimilé, une obligation de cotisation à un régime de prévoyance par l’employeur. Ce financement doit être alloué pour couvrir majoritairement le risque décès.

Le point qui nous interpelle est qu’aujourd’hui rien dans la loi ne contraint les employeurs à proposer également aux salariés non-cadres une couverture prévoyance. Il existe bien des obligations prévues au niveau de certaines branches à travers les conventions collectives mais on estime que 12 % des salariés non-cadres ne bénéficient pas de garanties prévoyance en France.

Considérez-vous l’ANI de la santé comme un rendez-vous manqué pour la prévoyance ?

Une généralisation de la santé a été portée par la négociation collective avec un panier de soins minimum, il était le véhicule idéal pour inciter la mise en place d’un régime de prévoyance. Ainsi, ce texte prévoyait une poursuite des négociations sur le sujet de la prévoyance se soldant par un résultat non concluant dans les branches professionnelles ne prévoyant aucune disposition. La crise sanitaire a exacerbé ce constat d’échec, il a été observé qu’une population non-cadre – grâce à laquelle la France a pu continuer de fonctionner – n’était couverte par aucun dispositif de prévoyance en étant exposée à un risque fort de maladie et d’arrêt de travail.

La branche de la métallurgie était encore récemment concernée mais s’est emparée du sujet en signant un accord le 7 février 2022. Cependant, les conventions du commerce de détails et de gros à prédominance alimentaire en sont encore dépourvues par exemple. Aucune garantie complémentaire à la Sécurité sociale n’est prévue en matière d’incapacité de travail. Ainsi, un ouvrier arrêté pour une longue pathologie, comme le cancer, ne touchera que le maintien de salaire – 100 % de son salaire pendant trente jours, puis 90 % pendant quinze jours, puis sera limité à l’indemnité de la Sécurité sociale – soit environ 50 % de son salaire à compter du 45e jour d’arrêt de travail.

À qui destinez-vous les résultats de vos travaux ?

Nous en parlons à nos clients pour attirer leur attention là-dessus. Les entreprises sont de plus en plus attentives à la qualité de vie au travail, à la protection sociale, à la santé et au bien-être dans l’entreprise. Et notre objectif est aussi d’avoir des relais pour que, idéalement, le sujet soit repris par les législateurs à l’occasion des élections présidentielles et législatives de 2022.

Quel est le retour de vos clients ? Sont-ils prêts à adopter vos propositions ?

Cela dépend des clients et des secteurs mais certains mettent déjà en place ce régime alors qu’ils n’en ont pas l’obligation. Le secteur du commerce de détail et de gros a été mis à rude épreuve pendant la pandémie et parfois malmené par les médias. Il est concerné par des sujets d’attractivité de la profession. Nous pensons que ce secteur comme d’autres sont susceptibles de s’intéresser de près à cette proposition.

Votre portefeuille se compose-t-il majoritairement d’entreprises ?

La majorité de notre chiffre d’affaires est effectivement issue de l’assurance collective et donc d’entreprises. Mais la prévoyance nous interroge surtout d’un point de vue philosophique et il nous semble important de repenser le cadre de travail. Aujourd’hui par exemple, de nombreuses entreprises prévoient des garanties différentes selon que l’employé a le statut de cadre ou de non-cadre. Or, un écart de garantie existe déjà entre ces deux profils puisque les garanties sont proportionnelles au salaire. Comment dès lors justifier un écart additionnel de prestation en fonction du statut cadre ou non-cadre de la personne décédée ? Nous pourrions également évoquer le cas des rentes de conjoint viagères qui correspondait aux besoins des salariés à l’époque où les femmes ne travaillaient pas. En parallèle, de nouveaux besoins ont émergé autour de la parentalité ou de la dépendance, besoins non couverts aujourd’hui par la plupart des dispositifs d’entreprise.

Comment avez-vous construit le socle de garanties minimum que vous préconisez ?

Pour décider de cela, nous nous sommes réunis en nous interrogeant sur ce que pourrait etre le juste panier minimum de garantie prévoyance compte tenu de la situation personnelle des salariés et du monde actuel. Nous nous sommes inspirés de ce qui existait déjà sur le marché, nous avons établi un régime et nous l’avons tarifé à 31·€ par mois par salarié. Nous voulions faire quelque chose de réaliste et de financièrement accessible.

Ce socle de garanties s’appliquerait aux 12 % de non-cadres ou à tous ?

Pour tout le monde. À l’image de ce qui a été fait en matière de santé, notre proposition est d’offrir à l’ensemble des salariés français un panier minimum de garantie prévoyance. En outre, cette obligation du « 1,50 % tranche A » date de 1947 et à l’époque la mortalité des Français n’était pas du tout la même que maintenant. Ainsi, nous payons la même garantie, trois fois moins cher aujourd’hui qu’en 1947. Cette évolution de la mortalité nous permet de proposer aujourd’hui un panier de prestation de qualité à un tarif inférieur.

Il y aurait donc un effet de compensation entre la généralisation et la baisse de la cotisation ?

Oui, et dès lors, nous proposons de réaffecter le reliquat pour financer des garanties dépendance par exemple.

Pouvez-vous préciser votre proposition concernant la dépendance ?

L’obligation du « 1,50 % tranche A » prévue par la Convention collective nationale des cadres de 1947 contraint toute entreprise employant des cadres et assimilés cadres à verser pour chacun d’entre eux une cotisation que nous estimons en moyenne à 51·€ par mois à un régime de prévoyance. En pratique, beaucoup d’entreprises utilisent cette enveloppe pour financer également de la santé. La pratique du marché nécessitait des largesses d’interprétation non confirmées par la réglementation pour procéder à une telle utilisation mais le 30 mars dernier, une décision de la Cour de cassation est venue valider ce fonctionnement. C’est une confirmation encourageante car cette décision nous amène à dire que l’on peut utiliser cette enveloppe à des fins un peu plus larges que la stricte prévoyance, dont la dépendance.

Vous exposez trois scénarios : financement employeur à 60 % - 50 % - 35 %. Lequel vous semble le plus réaliste ?

Il est important que cette couverture soit cofinancée par le salarié et l’employeur avec les incitations fiscale et sociale pour l’employeur. La pratique majoritaire actuelle est le financement employeur à 60 % de la cotisation prévoyance. Ce qui pourrait être selon nous la meilleure option. Nous avons également étudié la possibilité d’un financement employeur à hauteur de 35 % car il s’agit de la transposition des dispositions issues de 1947, mais ce scénario ne nous paraît pas réaliste. Les dispositifs de protection sociale sont en effet largement pilotés dans les entreprises par les directions et les représentants des salariés, il convient de mettre en place une clé de répartition reflétant cette coresponsabilité.

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