Marquée par la crise sanitaire, la branche vie et santé de Swiss Re retrouve la rentabilité grâce à un plus haut niveau de prudence, une meilleure modélisation du risque mortalité, et au passage à IFRS 17. Rencontre avec Julien Descombes, Chief Underwriting Officer Life & Health Reinsurance.
Que représente l’activité vie pour Swiss Re ?
À la fin de 2022, les activités vie et santé de Swiss Re représentaient 35 % des primes acquises et produit des commissions du groupe. Et au sein de la vie et santé, notre portefeuille se répartissait à 58 % en risque mortalité, 31 % en santé (invalidité/maladie) et 11 % en risque de longévité (rente viagère, etc.). Actuellement sous US GAAP, Swiss Re basculera en 2024 à IFRS 17. Sur ces dix dernières années, la contribution vie et santé au résultat du groupe a continué de gagner en importance, et le passage à IFRS 17 accélérera ce phénomène. Cette nouvelle norme permet d’accélérer la reconnaissance des profits futurs donc, à activité égale, nous anticipons une contribution plus importante de la branche vie et santé. Il nous faudra continuer de fournir un grand effort pour être prêts pour IFRS, comme beaucoup de nos clients l’ont déjà fait, et nous le serons.
Post-Covid, cette branche est-elle rentable ?
À mi-année, nous avons presque retrouvé notre niveau de rentabilité pré-Covid et nous pensons atteindre à la fin de l’année notre objectif de bénéfice net d’environ 900 M$ en US GAAP pour les activités vie et santé, soit un bénéfice net similaire à ce que nous faisions avant la crise sanitaire. 2023 sera donc une année importante pour nous, nous permettant de basculer sur IFRS avec des bases solides.
Comment évolue votre principal risque, la mortalité ?
Les réassureurs étant de gros détenteurs du risque de mortalité, et Swiss Re étant le leader mondial, nous avons donc intérêt à bien comprendre l’évolution de la mortalité sur le long terme, que nous estimons avec l’espérance de vie. Elle s’est toujours améliorée, année après année, jusqu’à ce que la pandémie y mette un frein. Depuis, elle redémarre doucement et continue à croître surtout dans les pays développés. Les Françaises font d’ailleurs partie des championnes de l'espérance de vie en Europe. Nous restons vigilants sur le court terme et confiants en l’avenir, et nous continuons à accepter les risques de mortalité, mais nous espérons mieux diversifier notre portefeuille en prenant davantage de risques de longévité. Outre la Covid-19, nous devons également prendre en compte les nouveaux risques futurs que peuvent être l’augmentation de la prévalence de l’obésité ou des malades du diabète par exemple, mais nous pensons que les progrès de la médecine auront un effet bénéfique plus important. C’est pourquoi nous projetons à long terme une augmentation de l’espérance de vie en France et en Europe.
Quels enseignements retirez-vous de la pandémie ?
La principale leçon que nous avons retenue est que la pandémie n’a pas été égalitaire. Nos modèles de gestion des risques prévoyaient des conséquences réparties plus également entre les pays développés et les populations alors que finalement on a vu que les régions ont été touchées différemment et que les personnes âgées ont connu une surmortalité disproportionnée. Les disparités observées pourraient s’expliquer par une combinaison de facteurs tels que les déplacements, des mesures de confinement appliquées différemment, et l’état de santé et les vulnérabilités sous-jacentes de la population générale. Nous avons donc revu nos modèles pour mieux refléter ces nouvelles variables.
Nous avons aussi augmenté notre niveau de prudence, en prévision de futures pandémies. Pendant la crise (2020-2021-2022), les pertes additionnelles sur le risque mortalité dues à la Covid-19 ont coûté plus de 3 Md$ au groupe Swiss Re. Beaucoup ont pensé que l’invalidité et la santé allaient en pâtir mais la sinistralité a finalement été contenue, notamment car les gens ont évité de se rendre dans les hôpitaux, de plein gré ou pas. C’est finalement par la suite que le risque santé s’est aggravé, notamment avec une augmentation des décès résultant de maladies cardiovasculaires constatées sur notre portefeuille global. Même si ce n’est pas directement lié à la Covid-19, c’est en fait une conséquence des reports de soins et du manque de dépistage. Sur les prochaines années, on devrait continuer à voir un rattrapage sur ces maladies, bien que ce phénomène doive diminuer avec le temps.
Enfin, nous avons également réajusté nos politiques de souscription, sans diminuer notre appétit pour souscrire des risques de mortalité. Nous avons adapté nos outils de sélection médicale pour intégrer de nouveaux critères. Un enseignement majeur est que le monde de l’assurance a su s’adapter plutôt rapidement à la réalité du home office et du télétravail. Cette adaptation rapide n’a été possible qu’en raison de la digitalisation de nos modes de communication interne avec les possibilités de réunion virtuelles partiellement exploitées avant la pandémie. Chez Swiss Re, nous allons continuer de soutenir nos clients en investissant encore plus pour digitaliser et automatiser nos outils de tarification des risques et de gestion des sinistres, et nous avons plusieurs projets pilotes en cours s’appuyant sur les nouvelles possibilités de l’intelligence artificielle.
Les renouvellements ont-ils été difficiles lors de la crise sanitaire ?
La majorité de nos risques vie et santé ont été souscrits il y a plusieurs décennies, pour des durées de vie des contrats qui s’étalent souvent de trente à cinquante ans. Nous avons donc l’obligation d’honorer nos promesses sur toute cette période, contrairement à nos homologues non-vie qui ont pu adapter leurs contrats rapidement. Notre seule marge de manœuvre est sur les affaires nouvelles mais celles-ci ne représentent qu’environ 5 à 10 % de notre portefeuille chaque année.