Interview de la semaine

« Nos dirigeants pratiquent la “politique du chien crevé au fil de l’eau” »

Publié le 8 avril 2021 à 8h00    Mis à jour le 8 avril 2021 à 10h07

Elisabeth Torres

Hubert Rodarie, président de l’Association française des investisseurs institutionnels (af2i)

Elisabeth Torres
journaliste

L’auteur de l’ouvrage « Effacer les dettes publiques, c’est possible et c’est nécessaire », paru en novembre 2020 chez MA-éditions ESKA*, dévoile quelques aspects de son plaidoyer sur ce thème brûlant et sujet à controverses. L'actuel président de l'af2i et ex-dirigeant du groupe SMA, qui s'exprime ici à titre personnel, expose à La Tribune de l'assurance sa vision iconoclaste du problème contemporain de « surendettement » des Etats.

Le sujet ne manque pas de diviser : alors que les Etats se sont plus que jamais endettés face à la crise sanitaire, quel sort réserver à la dette publique ? Le 5 février dernier, une centaine d’économistes lancaient un appel à son annulation mais avec une

Nous assistons à une accumulation de dettes publiques, mais en réalité c’est une tendance lourde, déjà à l’œuvre depuis longtemps, et qui se traduit par une hausse constante des dettes en nominal et en pourcentage des PIB de tous les pays occidentaux depuis plus de quarante ans. Le choc du confinement de mars 2020 n’a fait qu’accélérer cette tendance. Le phénomène est si peu nouveau que dès 2011, dans un essai intitulé Dettes et monnaie de singe, un système économique à renouveler, j’analysais la crise financière de 2008 en pointant le dérapage de l’économie réelle, avec son lot de déséquilibres, la montée des dettes et les crises à répétition.

Quel constat faites-vous de la situation actuelle ?

Les dirigeants agissent actuellement sans toucher la structure de l’organisation économique et monétaire. Ils interviennent mais ne réforment pas, selon une expression, ils pratiquent la « politique du chien crevé au fil de l’eau ». Est-ce par manque d’idées, un constat d’impuissance ou attendent-ils une autre crise encore plus forte ? Je ne sais pas. C’est dans ce contexte qu’un groupe d’universitaires a émergé à l’automne 2020, comme vous l’évoquiez précédemment, en faveur d’un effacement de la dette publique. Leur discours a été entendu par l’opinion. Mais les différentes autorités ont réagi assez brutalement. Olivier Blanchard, ex-FMI, a dit que c’était « idiot », Christine Lagarde a ajouté que « ce n’était pas sérieux ». Ce serait, selon la présidente de la BCE, il est vrai juriste, une violation du traité européen. En fait, il semble que les autorités préfèrent rester sur l’alternative actuelle, l’inflation ou la rigueur, pour gérer la situation. Mais cette alternative, de mon point de vue, est dangereuse et porteuse de maux très graves pour les populations.

En effet, l’inflation est socialement terrible, c’est un transfert massif de richesse au détriment des épargnants et des entreprises dont elle rogne les économies et les fonds propres. Et, surtout elle affecte principalement les conditions de vie des plus pauvres. De plus, elle risque d’altérer la confiance dans la seule institution stable aujourd’hui : la monnaie, et par là de déséquilibrer la société.

De même, la rigueur budgétaire et la maîtrise des dépenses publiques ne sont pas non plus une solution à la hauteur des endettements actuels. L’Italie les a appliquées depuis 2008, ce qui ne l’a pas empêchée de s’enfoncer. C’est une vision trop comptable et, au final, superficielle de la situation. Elle a pour effet d’affaiblir toutes les institutions du pays, on a vu le résultat pour le secteur hospitalier.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il faut revenir à la nature des choses. Nos économies sont malades d’avoir débranché tous les systèmes d’équilibrage internes et internationaux. Et, comme toujours, il y a le fond et les formes.

Le fond est lié au fait que la capacité à créer de la dette n’est tenable que s’il y a suffisamment de création de valeur ajoutée liée à la production de biens ou de services aisément reproductibles. En Europe, l’Allemagne a conservé cette capacité et a maîtrisé sa dette depuis 2008, la France et l’Italie non. Inspirons-nous de cette expérience récente.

Les formes sont liées à la gestion de la monnaie d’une part et à l’organisation des échanges internationaux d’autre part. Ce sont eux qui ont perdu leur rôle d’équilibrage. Ainsi, les systèmes monétaires occidentaux relèvent tous d’un même modèle élaboré dans l’après guerre. Ce modèle est directement inspiré de la cybernétique, cette science du commandement, initiée pendant les années 1940 par Norbert Wiener, qui permet de piloter de vastes ensembles à partir d’un nombre réduit de commandes. C’est ce qui a permis de donner pour le pilotage économique un rôle central aux taux appelés justement directeurs et à la quantité de monnaie créée. Or, ce dispositif était censé écarter les interventions discrétionnaires des politiques dans la création monétaire, et laisser aux banques le rôle de créer la monnaie nécessaire, toutefois pilotées par la banque centrale. Le tout avait pour but de maîtriser le crédit et d’avoir des taux de marché permettant de faire des calculs économiques. Force est de constater qu’il a échoué, les taux de marché sont à zéro et la dette énorme. Il faut donc réformer et purger le passé. Toutefois, les réformes dans un cadre cybernétique sont difficiles à concevoir et à faire accepter car ce type d’organisation confère un caractère évident et naturel à ses principes fondateurs ; les gens qui se trouvent à l’intérieur d’un tel système n’ont plus conscience que les défauts ressentis sont liés à la déficience de ces principes et non à celle de l’organisation. Ils sont face à des « nœuds gordiens » que les experts ne peuvent dénouer car leur cadre de réflexion n’est plus adapté.

Parmi ces principes, il y a l’idée que la dette d’Etat est une dette identique à celle d’un particulier. C’est parfois vrai, mais cela ne l’est plus en Occident où la monnaie et la dette publique sont deux expressions d’une même réalité : un crédit collectif que se donne un pays pour fonctionner. Mais cette conception a été pérennisée pour contrôler la création monétaire des Etats. Annuler cette dette publique est donc possible sans problème, si on la transforme en monnaie supplémentaire, ce que peut faire toute Banque centrale, la BCE en particulier. Mais pour être efficace il faut le faire en réinstallant une régulation au sens physique, pour contrôler la création monétaire, et tendre à l’équilibre des échanges entre zones monétaires. De fait, il n’est bien évidemment pas question du seul budget français, mais des zones monétaires européenne, asiatique, anglo-saxonne, en bref le problème est mondial.

Justement, comment faire à l’échelle mondiale ?

Il faut redonner au système international des changes un rôle d’équilibrage qu’il a perdu dans les années 1980/1990 avec l’acceptation d’accords de change trop durables. Pour ce faire, il faut réduire très fortement voire interdire les réserves de change des pays exportateurs de biens et de services au-delà d’un certain montant. En effet, les réserves de change ont été le moyen de figer les parités de changes et ont eu pour effet de faciliter l’endettement des pays importateurs selon un processus bien mis en évidence dans les années 1930. Et au total de pérenniser des déficits commerciaux aboutissant à la concentration de la production des biens. Si on veut être au service des populations, il faut inverser ce mouvement de concentration et répartir les activités. La délocalisation est la conséquence de la concentration de l’activité. En résumé, s’il faut annuler la dette, il est encore plus nécessaire de réinstaller les dispositifs de rééquilibrage, aussi bien dans le système monétaire que dans le système international des changes.

* l’édition anglaise a paru en avril 2021 sous le titre : A Great reset for the financial system.

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