Directrice générale d’Harmonie mutuelle, Catherine Touvrey dresse un premier bilan du 100•% santé, réagit au projet de grande Sécu, et commente les grandes lignes du PFLSS.
Quel bilan dressez-vous du 100•% santé deux ans après son entrée en vigueur ?
Nous avons très tôt fait la promotion de la réforme du 100•% santé car nous souscrivons à son objectif de renforcer l’accès aux soins pour les Français fragiles financièrement. C’est pourquoi nous l’avons introduite près de deux ans à l’avance. En audioprothèse par exemple, la mesure a permis de solvabiliser un vrai besoin puisque les Français se sont largement emparés des dispositifs à prix modérés. Mais le frein peut aussi être psychologique car s’équiper constitue généralement un premier pas vers le troisième âge. En termes d’accès aux soins, nous tirons un bilan assez positif sur le 100•% santé pour l’audioprothèse et le dentaire.
Sur le plan financier, la réforme a induit davantage de dépenses que ce qui a été anticipé. Nous observons des niveaux de remboursements conformes à nos anticipations sur l’audioprothèse mais pour les soins dentaires les remboursements augmentent davantage que prévu. Les taux de recours aux différents paniers de soins, c’est-à-dire aux dispositifs sans reste à charge, à reste à charge modéré ou à tarif libres, s’avèrent conformes à nos prévisions. Néanmoins, le coût moyen se révèle être beaucoup plus élevé car nos adhérents ont consommé davantage de soins prothétiques qu’auparavant et moins de soins conservateurs, comme les détartrages ou le traitement des caries. Or, les prothèses sont plus onéreuses. Mécaniquement, les remboursements augmentent, à tel point que le dentaire devient le premier poste de remboursement à l’échelle du groupe Vyv.
Et sur l’optique ?
Sur l’optique, nous constatons l’augmentation du coût moyen, avec une attention particulière portée sur la complexité des verres, dont le prix augmente constamment. Sur le panier RAC 0, nous constatons un taux de recours très inférieur aux prévisions puisqu’on avait collectivement avec les pouvoirs publics anticipé un taux de recours à 20•%, et nous sommes à moins de 5•%. Par voie de conséquence, les économies prévues en optique ne sont pas au rendez-vous.
En définitive, la réforme va s’avérer plus douloureuse sur le plan tarifaire que ce qu’on avait imaginé, puisqu’elle a induit une hausse des remboursements supérieure aux attentes. La neutralité en termes de financement mise en avant par le gouvernement n’est pas constatée, loin de là.
En résumé, cette réforme a atteint ses objectifs de promotion de l’accès aux soins sur le dentaire et sur l’audio. Sur l’optique, où les résultats sont décevants, nous n’étions déjà pas convaincus par l’utilité de la réforme à l’origine : avant le 100•% santé, le réseau de soins Kalixia permettait déjà de limiter fortement le reste à charge pour nos adhérents, qui étaient nombreux à le fréquenter puisque le taux de recours était de 77•%. La plus-value de la réforme par rapport à ce que nous pouvions offrir à nos adhérents ne saute pas aux yeux.
Quelle est votre réaction par rapport au projet de la grande Sécu ?
La complexité du système est dénoncée et nous partageons le constat. Ce n’est pas pour autant qu’une illusion de simplification serait la solution de tous les problèmes. Ce que je note, c’est que cela irait à rebours de la direction donnée dans beaucoup d’autres secteurs d’activités comme les télécommunications, pour lequel l’État a accordé progressivement une place plus importante à des opérateurs privés pour le bénéfice des consommateurs. Si on se dit que l’enjeu de la santé en France, c’est basculer vers davantage de prévention plutôt que d’appréhender la santé publique uniquement par le prisme du soin, ce qui est le cas aujourd’hui, l’innovation est un facteur clé pour y parvenir. Or, le monopole est rarement le système permettant d’abriter des écosystèmes favorables à l’innovation.
Concernant la hausse des cotisations qui soulève régulièrement des critiques, les mutuelles constituent en réalité un thermomètre. On voit des cotisations qui augmentent, mais cela n’est que le reflet du fait que la consommation de soins augmente. Faut-il « casser » ce thermomètre, notamment pour les entreprises qui peuvent agir sur la santé de leurs salariés ?
Ce qui précède n’exonère pas de se poser des questions : est-ce que la Cnam pourrait utilement centraliser davantage de remboursements au détriment des organismes dits complémentaires ? Peut-être, mais quel serait alors le niveau du panier pris en charge ? Est-ce que chacun serait mieux couvert dans un tel système ou au contraire cela achèverait de créer une médecine à deux vitesses ? Il nous faut tous travailler main dans la main avec la Cnam, dont personne ne conteste le rôle déterminant, mais je ne suis pas convaincue que lui confier de manière exclusive tous les leviers serait une solution à la hauteur des défis posés par la dynamique de consommation des soins que nous observons.
Comment réagissez-vous aux dispositions du PLFSS, notamment sur le financement de la dépendance ?
Il y a quelques mesures qui vont dans le bon sens dans le PLFSS mais nous sommes vraiment loin du compte au regard des besoins. Le tarif horaire plancher à 22 € pour les services d’aide à domicile, cela va dans le bon sens mais qui va financer cette hausse ? Est-ce que ce sont les familles qui vont payer ? Les départements, qui financent en partie ces services, vont-ils pouvoir suivre ? En ce qui concerne l’augmentation des postes en Ehpad, on parle de 10 000 postes en cinq ans pour 7•200 établissements. C’est très loin de ce dont les Ehpad ont besoin pour délivrer une qualité de service à la hauteur des attentes des familles.
Nous avons besoin d’une grande loi de programmation pluriannuelle sur ces sujets-là. On souhaite tous un virage domiciliaire sur la prise en charge et les professionnels du secteur de l’aide à domicile sont des acteurs déterminants en termes de prévention : nous savons bien qu’un certain volume d’heures et d’interventions de qualité à domicile permet de retarder les phases de désocialisation et de placement. Nous avons encore besoin d’investir en France au-delà de ce que le PLFSS prévoit, clairement.
Avez-vous chiffré l’effet rebond dans les prestations sur le premier semestre 2021 ?
Par rapport à 2020, nous sommes à ce stade sur des hausses des prestations de l’ordre de 11•% en individuel et de 13•% en collectif. Nous sommes sur du rattrapage de soins non consommés mais aussi des changements de comportement. Est-ce que ces derniers sont tous vertueux, c’est-à-dire que les adhérents prennent davantage et mieux en charge leur santé aujourd’hui et que les dépenses associées permettront de limiter le recours aux soins futurs, ce qui induira un équilibre financier à terme ? On l’espère tous.
S’agissant du premier semestre 2020 qui sert de base de comparaison pour la dynamique commentée précédemment, si le confinement a conduit à une diminution des remboursements de soins de santé, il a induit une charge supplémentaire de prestations d’arrêts de travail de 23•M€ pour Harmonie mutuelle. En effet, de manière exceptionnelle et dérogatoire au regard des dispositions contractuelles, nous avons indemnisé les personnes qui ont subi du chômage partiel pour cause de garde d’enfants jusqu’à la fin du mois d’avril comme si elles avaient continué leur activité. C’était un geste fort de solidarité.