En matière de gouvernance, l’année 2020 a été celle du changement à la tête de plusieurs grands groupes d’assurance. Une évolution qui s’inscrit dans le sillage des recommandations publiées l’été dernier par l’ACPR et plus largement dans une tendance clairement observée en entreprise.
journaliste
Le PDG deviendrait-il une espèce en voie de disparition ? Ces derniers temps, le vent du changement a en tout cas soufflé dans ce sens au sein de certains grands états-majors de l’assurance. Une évolution préconisée par l’ACPR en juillet 2020 à l’occasion de la présentation des conclusions d’un examen thématique des cadres de gouvernance et d’appétence pour le risque des institutions du secteur de l’assurance. Cinq ans après la mise en place de Solvabilité II, le superviseur s’est tout particulièrement penché sur le fonctionnement du pouvoir au sein des grands groupes.
Les groupes complexes aux premières loges
« Si la réglementation et les bonnes pratiques de gouvernance concernent tous les organismes, elles revêtent une importance particulière dans les groupes complexes ou de grande taille. C’est pourquoi l’ACPR demande que les groupes les plus importants, qu’ils appartiennent au secteur capitaliste, au secteur mutualiste ou à celui des institutions de prévoyance, se réfèrent dans le choix de leur système de gouvernance aux standards les plus exigeants », écrivait ainsi l’ACPR en recommandant explicitement la séparation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général aux organismes qu’elle supervise. « La dissociation des fonctions exécutives et de surveillance est un principe de bonne gouvernance. Elle doit être privilégiée ; à l’inverse, la non-dissociation (PCA-DE ou PDG) doit être l’exception et l’organisme doit justifier des raisons pour lesquelles ce choix est fait », exposait le superviseur qui voulait alors que cette organisation devienne la norme dans les sociétés cotées en Bourse et dans les groupes de grande taille quelle que soit leur forme juridique : société anonyme (SA), société d’assurance mutuelle (SAM), union mutualiste de groupe (UMG), société de groupe d’assurance de protection sociale (SGAPS) ou société de groupe d’assurance mutuelle (SGAM). Cette recommandation fait écho à un mouvement plus large, observé dans le monde de l’entreprise, avec un mode de gouvernance séparée qui tend à devenir la norme dans les grands groupes cotés en Bourse. Installée au Royaume-Uni et courante aux États-Unis, elle se propage en France. À la tête des entreprises du CAC 40, les PDG ne sont d’ailleurs plus majoritaires suite à des évolutions constatées l’an passé. « La séparation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général de l’entreprise est une bonne pratique de gouvernance de plus en plus répandue dans les grandes entreprises », note ainsi l’ACPR qui souhaite donc que le secteur de l’assurance s’en inspire.
Cependant, si la séparation est obligatoire dans le secteur bancaire européen, il n’existe pas de règle formelle qui interdise le cumul des fonctions de président de l’organe de surveillance et de celles de directeur général dans l’assurance. « Même si le principe de la séparation est inscrit dans les orientations internationales et européennes, tous les pays membres de l’UE, comme la France, n’en ont pas fait une obligation réglementaire », constate le superviseur. Le code Afep-Medef de gouvernement des entreprises cotées laisse également le champ libre aux sociétés en stipulant que « la loi ne privilégie aucune formule et donne compétence au conseil d’administration pour choisir entre les deux modalités d’exercice de la direction générale. Il appartient au conseil de se prononcer et d’expliquer sa décision ».
S’inspirer des meilleures pratiques
En l’absence de textes contraignants, l’ACPR veut donc ériger la séparation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général en bonne pratique dans l’assurance. Fin 2018, sur les 279 organismes relevant du Code des assurances, l’ACPR en recensait 116, dont une proportion significative de taille moyenne ou importante, avec un chiffre d’affaires supérieur à 50 M€, qui cumulaient la fonction de dirigeant effectif avec la présidence de l’organe de surveillance. Ce recensement couvrait à la fois les cumuls de dirigeant effectif et de président du conseil d’administration (53 %) ou président-directeur général (47 %). Dans le détail, le superviseur notait en juillet 2020 que « la dissociation n’est pas effectuée au sein de huit têtes de groupe qui ne peuvent pas bénéficier du principe de proportionnalité compte tenu de leur taille ». Il remarquait également qu’au sein des groupes dans lesquels la gouvernance de la tête de groupe n’est elle-même pas dissociée, « environ cinquante organismes filiales ou organismes affiliés présentent un cumul d’une fonction de dirigeant effectif avec la présidence de l’organe de surveillance, dont cinq organismes dépassent un milliard de chiffre d’affaires ». Enfin, au sein des groupes dans lesquels la gouvernance de tête de groupe respecte la dissociation des fonctions exécutives et celles de surveillance, « environ dix entités avec un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros présentent un cumul d’une fonction de dirigeant effectif avec la présidence de l’organe de surveillance ». Des chiffres qui auront nettement évolué en 2020.
Message reçu ?
Chez de nombreux acteurs, le timing pour répondre favorablement aux recommandations de l’ACPR était bon dans la mesure où les questions successorales, liées à l’âge des dirigeants, étaient de toutes façons déjà sur la table.
Peu de temps après la publication des recommandations du superviseur, Allianz France annonçait du changement au sommet de son organisation. PDG de la filiale française d’Allianz depuis 2008, Jacques Richier a pris le 1er janvier dernier les fonctions de président du conseil d’administration de la société et laissé dans le même temps le fauteuil de directeur général à Fabien Wathlé, qui dirigeait jusque-là l’unité ressources et performances opérationnelles. « Cette évolution se rapproche du mode de gouvernance déjà en place au sein du groupe et est en ligne avec les préconisations émises en juillet dernier par l’ACPR », soulignait alors l’assureur. Une évolution douce, Jacques Richier et Fabien Wathlé se connaissent très bien pour avoir longtemps travaillé ensemble. Au même moment, une histoire similaire s’écrit chez Swiss Life France. Agé de 67 ans et PDG de la compagnie depuis douze ans, Charles Relecom est nommé président du conseil d’administration à compter du 1er mars 2021, date à laquelle les activités opérationnelles sont transférées à Tanguy Polet, qui occupait auparavant les fonctions de directeur de la division clients et transformation digitale. « En séparant les fonctions de président non exécutif et de directeur général exécutif, Swiss Life est en ligne avec les préconisations émises en juillet dernier par l’ACPR », commentait alors le groupe.
Gouvernance séparée chez le leader
Axa France a également pris le même pli. Il faut dire qu’à l’étage supérieur du groupe, l’assureur respecte le principe de gouvernance séparée depuis le départ d’Henri de Castries en 2016 et la nomination, pour lui succéder, d’un tandem formé par Thomas Buberl à la direction générale et Denis Duverne comme président non-exécutif du conseil d’administration. En avril 2022, ce dernier cédera d’ailleurs la présidence à Antoine Gosset-Grainville, ancien directeur adjoint du cabinet du Premier ministre François Fillon également passé à la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations. Au sommet d’Axa France, la récente nomination de Patrick Cohen, appelé d’Axa Italie pour succéder à Jacques de Peretti, collera donc à la philosophie de tête. PDG d’Axa France depuis 2016, Jacques de Peretti n’a transmis que ses fonctions de directeur général à Patrick Cohen. La présidence du conseil d’administration a ainsi été confiée à Gérald Harlin, figure historique d’un groupe Axa où il est entré en 1990 et dont il a été directeur financier de 2003 à 2019. Au sein des filiales françaises de grands groupes internationaux, Generali France reste la seule société à conserver un PDG à sa tête, Aviva France ayant pour sa part adopté la gouvernance dissociée depuis près de dix ans. Et même si l’ACPR a précisé que ses recommandations concernaient les filiales de groupes importants « même lorsque la tête de groupe fait l’objet d’une dissociation des fonctions exécutives et de surveillance », la position de PDG aujourd’hui occupée par Jean-Laurent Granier ne semble pas menacée. « La différenciation des pouvoirs entre président et directeur général est bien effective à la tête du groupe Generali mais n’est pas aujourd’hui envisagée en France. Une telle mesure aurait un effet tout relatif, Generali France étant filiale à 100 % d’Assicurazioni Generali qui est majoritairement représentée au sein du conseil d’administration de Generali France », indiquait ainsi un porte-parole de l’assureur à La Tribune de l’assurance. L’avenir dira si le régulateur s’en satisfera.
Rebondissement chez Scor
La réassurance n’a pas échappé à la mode impulsée par l’ACPR. Après dix-neuf ans de règne chez Scor, le PDG Denis Kessler, qui sera atteint par la limite d’âge statutaire de 70 ans pour exercer la fonction de président en 2022, avait orchestré sa succession. C’est Benoît Ribadeau-Dumas, ancien directeur de cabinet du Premier ministre édouard Philippe, qui avait été choisi à l’automne dernier par le conseil d’administration pour reprendre le flambeau comme directeur général, Denis Kessler s’installant pour sa part dans le fauteuil de président non exécutif du groupe. Mais le choix de Benoît Ribadeau-Dumas s’est heurté au « fit and proper » de Solvabilité II : sans expérience passée dans l’assurance, l’ACPR n’a pas approuvé sa nomination comme dirigeant effectif. La parade avait été trouvée avec une arrivée comme directeur général délégué pour lui laisser le temps d’acquérir les compétences nécessaires pour satisfaire aux exigences réglementaires. L’histoire aurait pu en rester là sans le rebondissement surprise proposé par Scor en mai dernier. À la surprise générale et évoquant des « raisons personnelles », Denis Kessler a décidé d’abandonner la direction générale en juin 2021. Il doit en principe toujours prendre la présidence du CA. Un changement de calendrier qui enterre la nomination programmée de Benoît Ribadeau-Dumas. Favorisant une solution immédiatement opérationnelle et décidant de dissocier les fonctions de président du conseil et de DG, Scor a souhaité porter Laurent Rousseau, directeur général adjoint de Scor GlobalP&C à la direction générale. Âgé de 43 ans, celui qui était entré dans le groupe en 2010 comme conseiller du PDG, incarnera le renouveau dans la stabilité.
Le cas des mutualistes
Scrutée de près par l’ACPR, la gouvernance de Covéa a également connu des aménagements l’an passé. Le groupe n’a cependant pas souhaité s’inscrire pleinement dans le cadre des préconisations du superviseur. À l’issue d’une réorganisation entérinant notamment la nomination de Paul Esmein comme directeur général délégué et dirigeant effectif, Thierry Derez a conservé ses fonctions de président-directeur général du groupe mutualiste. « Je reste président-directeur général de la Sgam et président de Covéa comme auparavant. En l’état, le conseil d’administration considère qu’il faut garder l’unité entre la présidence et la direction générale », avait commenté l’intéressé lors d’une rencontre avec l’Association nationale des journalistes de l’assurance (Anja). Pour donner des gages à une ACPR soucieuse d’une trop forte concentration des pouvoirs au sein de Covéa, le groupe mutualiste a fait entrer du sang neuf dans son conseil d’administration avec les nominations, en avril dernier, d’André Martinez, ancien président du conseil d’administration d’Icade, et surtout de Jean-Pierre Jouyet. L’ancien directeur général de la Caisse des dépôts, secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de François Hollande, devrait en principe endosser le rôle d’administrateur référent à l’occasion de l’assemblée générale du groupe. Cette pratique, importée du modèle capitaliste anglo-saxon, est largement répandue à travers les sociétés du CAC 40 et du SBF 120. Recommandée par le code Afep-Medef, elle vise à associer un contre-pouvoir indépendant au sein des conseils d’administration.
Autre assureur également sur les radars de l’ACPR pour des questions de gouvernance, le Groupe Monceau a pour sa part programmé la succession à venir de l’actuel PDG Gilles Dupin. Après avoir longtemps cherché le candidat idéal en interne et en externe, la mutuelle a récemment fait le choix de Jérôme Sennelier. Arrivé en février dernier en provenance du comité exécutif de Klésia, où il était en charge des systèmes d’information et des grands programmes de transformation, il est entré au Groupe Monceau en tant que directeur des opérations pour, dans quelques années, reprendre la direction générale. Il sera alors temps pour la compagnie de revenir à un mode de gouvernance séparée. « Le principal chantier qui s’ouvre porte sur l’évolution de ses modes de gouvernement, avec le départ, imposé par les limites d’âge prévues par les statuts pour l’exercice de la direction générale, de son actuel titulaire. Elle passe par une dissociation des fonctions de président et de directeur général qui avaient été réunies en 2015 lorsque la société de réassurance mutuelle Monceau assurances dut être liquidée sous la pression de l’autorité de contrôle, supposant d’adapter en conséquence les règles de gouvernement de l’entreprise », nous confirme ainsi le Groupe Monceau.
La séparation des pouvoirs a également trouvé son chemin à la Maif, où le conseil d’administration de la mutuelle a décidé le 16 juin dernier de dissocier les fonctions de présidence (orientation et contrôle) de celles de dirigeant effectif (fonctions exécutives). Une mesure de clarification des rôles qui consacre la mise en place d’une direction effective avec, aux côtés du directeur général Pascal Demurger, la nomination de Nicolas Boudinet comme directeur général délégué et « deuxième paire d’yeux » au sens de Solvabilité II. Une qualité qui ne sera donc plus l’apanage du président du conseil d’administration.
Au revoir PDG…
La « vague » de dissociation des pouvoirs a également touché des sociétés de tailles plus moyennes. C’est le cas d’Albingia qui, en septembre dernier, a confié sa direction générale à Valentine de Lasteyrie. PDG de la compagnie depuis 2003, Bruno Chamoin, a comme dans la plupart des cas évoqués précédemment, pris la présidence du conseil d’administration.
Au final, au sein des compagnies d’assurance de bonne taille, ils ne sont plus qu’une poignée, comme Jean-Laurent Granier ou encore Patricia Lacoste, PDG de Groupe Prévoir, à porter les vestiges d’un mode de gouvernance en voie de disparition.