Directeur de l’actuariat groupe chez Scor,Eric Lecoeur revient sur l’importance du métier d’actuaire pour le réassureur etdéfend une profession parfois moquée, mais toujours synonyme d’excellence dansle secteur.
Quelle place occupe l’actuariat au sein du groupe Scor ?
Aujourd’hui, 10 % des 2 300 salariés du groupe Scor sont des actuaires.On les retrouve dans de nombreux départements : en tarification etprovisionnement, mais également en souscription, en risk management, enrétrocession, en modélisation, en gestion d’actifs. En outre, trois membres du comitéexécutif du groupe sont des actuaires. Autre illustration de la montée enpuissance de l’actuariat dans le groupe : le département "actuariat groupe"était composé de 3 personnes en 1995, nous sommes à présent 20 !
Scor a très tôt pris la mesure de cette profession et souhaité soutenirla science actuarielle. C’est dans cette perspective que le réassureur a créé,en 1996, le prix de l’actuariat en France afin de récompenser les étudiants quiproposent des idées et des projets innovants dans la gestion du risque. Ce prixa été décliné par la suite dans plusieurs pays d’Europe et dans la régionAsie-Pacifique. Cet attachement à la science actuarielle s’inscrit dans lecadre plus large de l’engagement du groupe pour la recherche scientifique, quia conduit à la création de la Fondation Scor pour la science qui œuvre enfaveur de la recherche et de la diffusion de la connaissance sur les risques.
L’image de la profession est assez austère…
Il est vrai que l’actuaire a longtemps été perçu comme un "mathématicienfou", peu loquace et employant un langage ésotérique. Les actuaireseux-mêmes s’en amusent ; il existe même des sites dédiés aux blaguesd’actuaires ! Par exemple : « Connaissez-vous la différenceentre un actuaire introverti et un actuaire extraverti ? L’introverti,lorsqu’il vous parle, regarde ses chaussures, l’extraverti, lui, regarde leschaussures de ses interlocuteurs… »
Mais cette image ne correspond plus à la réalité du métier aujourd’hui.L’actuaire utilise des méthodes de plus en plus complexes et ses interlocuteursont une sensibilité quantitative accrue. L’actuaire ne peut plus se retrancherderrière ses formules et se doit de détailler son raisonnement, lesincertitudes liées au choix des méthodes et paramètres. L’actuaire doitdésormais être également un "communicant", capable d’expliquersimplement des modélisations complexes.
Le niveau de formation des actuaires en France est-il suffisant ?
Grâce à ses études, l’actuaire est très bien placé pour travailler ausein des compagnies d’assurance et dans le domaine de la finance. Le coresyllabus des écoles d’actuariat est étendu et couvre les mathématiques, lastatistique et les probabilités, mais également l’économie, la comptabilité,les questions juridiques, la programmation, l’anglais, l’expression orale. Lesactuaires sont donc armés pour travailler dans quasiment tous les départementsd’une entreprise d’assurance.
En France, nous avons une réputation supérieure à nos collèguesanglo-saxons en termes de connaissances théoriques. Au Royaume-Uni, laformation d’actuaire – bien souventaprès un passage par l’université (bac + 3 ou bac + 4) – se fait au fil de la vie professionnelle etpeut durer plusieurs années, alors qu’en France une fois sa classepréparatoire effectuée, on devient actuaire après trois ans d’études. Le jeunediplômé français dispose en revanche d’une expérience professionnelle plusréduite. L’actuaire anglo-saxon, lui, jouit de facto d’une expériencepratique solide. Les actuaires français et anglo-saxons sont donc trèscomplémentaires. C’est pourquoi nous avons recruté des actuaires provenant deces deux cursus.
Mais être actuaire n’est pas une fin en soi : il faut lerester ! C’est pourquoi les Instituts d’actuaire du monde entier ont renduobligatoire la formation continue. En France, il y a une distinction entrel’actuaire certifié qui remplit les conditions de formation continue etl’actuaire qualifié qui ne les remplit pas.
L’évolution informatique et le digital ont-ils bouleversé votre métierces dernières années ?
Il est certainque les dernières évolutions technologiques ont eu des répercussions sur letravail de l’actuaire. Nous sommes passés en quelques dizaines d’années descartes perforées à des ordinateurs excessivement puissants. On a réellementchangé de paradigme. Même si nos modèles ne sont qu’une représentation de laréalité, les progrès informatiques sont tels (et notamment la rapidité decalcul) qu’ils nous permettent de nous rapprocher de cette réalité enmodélisant de façon de plus en plus poussée toutes les interactions entre lesrisques. Je suis toujours fasciné par le fait que sur Apollo 11, il y avait deux ordinateurs embarqués de 32 kg chacun avec 4 ko demémoire vive alors, qu’aujourd’hui, une simple clé USB suffirait à embarquer leniveau de mémoire nécessaire !