Interview de la semaine

«La transformation RSE ne concerne plus seulement les investissements des assureurs mais aussi leur cœur de métier»

Publié le 10 juin 2021 à 8h00

Elisabeth Torres

Hugues Magron et Céline Peres, Deloitte France

Elisabeth Torres
journaliste

Le décret d’application de l’article 29 de la loi énergie et climat, entré en vigueur le 28 mai dernier, précise les informations à publier par les assureurs et les établissements financiers concernant les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères ESG et les moyens mis en œuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique. C’est dans ce contexte que Hugues Magron, associé Deloitte France, et Céline Peres, directrice consulting, décryptent leur vision des stratégies de déploiement de la RSE sur le marché de l’assurance.

Pourquoi la RSE monte-t-elle en puissance dans l’assurance ?

Céline Peres : Si cette prise en compte n’était pas jusqu’alors obligatoire, elle l’est devenue, notamment avec la loi Pacte du 22 mai 2019. Ce texte contraint en effet les entreprises à prendre en considération les enjeux sociétaux et environnementaux dans la gestion de leur activité et les invite à questionner leur raison d’être, voire à adopter le statut d’entreprise à mission. Mais au-delà de cette obligation légale, les assureurs ont intérêt à s’engager dans la voie de la RSE pour plusieurs raisons. A commencer par le réchauffement climatique, qui pose la question de l’assurabilité, du montant des primes... Aux Etats-Unis, par exemple, les incendies de forêts ne sont plus garantis dans certaines polices d’assurance, ce qui a provoqué une levée de boucliers des assurés. La pandémie est venue encore renforcer la nécessaire prise en compte de la RSE par le secteur en mettant en évidence les inégalités sur ces questions, selon les régions du monde, et a de ce fait actualisé ces tendances de fond.

Le grand public est lui-même demandeur, on achète de plus en plus bio, tandis que le risque de réputation augmente pour les entreprises. Une application telle que moralscore.org, de plus en plus connue, sous le slogan « découvrez les marques qui collent à votre éthique », propose aux consommateurs des classements d’entreprises, dont les assureurs, au regard de leur implication dans la RSE. Seize assureurs y sont ainsi classés. Il ne faut pas non plus négliger le risque pour une marque de se faire boycotter, en vertu du « name and shame », sans oublier l’importance des réseaux sociaux.

Les épargnants sont également soucieux de savoir si leurs placements financiers polluent. Ils orientent ainsi leur épargne vers la finance durable, or, l’ESG crée de la valeur et ces investissements performent.

Comment les assureurs peuvent-ils concrétiser leur démarche RSE ?

Hugues Magron : Cela passe par les services, en particulier par le renforcement de la prévention dans les offres. Par exemple, en prévoyant un micro-zoning pour identifier les zones inondables. Axa est précurseur en ce domaine via l’assurance paramétrique qui déclenche de manière automatique l’indemnisation de pertes liées à des phénomènes climatiques dès que sont atteints des triggers : taux d’humidité, niveau d’inondation, force du vent…

En assurance santé, la téléconsultation mise en œuvre dans le cadre de contrats collectifs, par exemple par La Mutuelle générale, peut améliorer la performance dans les entreprises, les employés n’ayant pas besoin de se déplacer pour consulter un médecin, obtenir une ordonnance…

Cela consiste aussi à mettre en place une économie circulaire, comme le fait Allianz en ayant recours à des réseaux de réparateurs qui pratiquent le recyclage des pièces détachées pour réparer les automobiles. En assurance construction, on s’efforcera de même de ne pas reconstruire un bâtiment à l’identique après un sinistre afin de réduire le risque pour l’avenir.

Et du côté de la finance durable ?

Céline Peres : Le travail porte sur l’intention, qui doit être claire et motivée : le placement visera par exemple à réduire un problème social ou environnemental, à éviter les industries polluantes. Dans un monde de taux bas, l’épargne responsable et notamment les ISR constituent un mouvement de fond qui se substitue à la gestion classique.

Vous avez identifié diverses étapes pour que les acteurs de l’assurance puissent conduire leur transformation RSE, quelles sont-elles ?

Hugues Magron : Il convient tout d’abord de définir l’ambition de cette stratégie RSE, expliquer quels moyens y seront alloués, comment la stratégie va être portée. La Maif communique très bien à cet égard.

Adopter le statut d’entreprise à mission peut être une étape supplémentaire, mais une telle décision est très engageante : elle suppose une modification des statuts de l’entreprise, l’aval des actionnaires, la mise en place d’un organisme tiers indépendant qui vérifie l’atteinte des objectifs.

Il faut aussi prioriser les enjeux à l’égard des parties prenantes (clients, salariés, partenaires…). Toutes les entreprises ont pris plus ou moins l’engagement du bas carbone à horizon 2040/2050 selon les acteurs, en ligne avec l’Accord de Paris qui vise la neutralité carbone. Le fait nouveau, c’est que la transformation RSE ne concerne plus seulement les investissements des assureurs, mais aussi leur cœur de métier.

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