Distribution

La rétrocession à nouveau sur le banc des accusés

Publié le 22 février 2022 à 17h23

Nessim Ben Gharbia    Temps de lecture 8 minutes

À la faveur d’une consultation lancée début février, l’EIOPA remet sur la table des négociations le délicat sujet de la rémunération des intermédiaires.

Les grandes manœuvres ont commencé ! Alors que la Commission européenne doit se pencher cette année sur la révision de la directive MIF II, qui sera suivie un an plus tard par celle de la DDA, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) a lancé début janvier une consultation publique sur la protection des investisseurs de détail dans le cadre de la vente de produits d’investissement fondés sur l’assurance (IBIPs). Il est à noter que les règles propres aux IBIPs sont consacrées dans un chapitre de la DDA, sous le titre d’exigences supplémentaires. Dès lors, leur révision ne peut se comprendre que comme un préalable à la refonte de la directive. Pour autant, Planète CSCA se dit très vigilante quant au périmètre de l’actuelle consultation : « Nous serons très attentifs à ne pas lier les sujets. Cette consultation ne concerne pour l’instant que les produits financiers. La révision de la DDA sur la partie IARD aura d’autres impacts », souligne Christophe Hautbourg, directeur général de Planète CSCA.

À travers cette consultation, le régulateur européen de l’assurance demande aux parties concernées par la thématique (notamment les assureurs, les intermédiaires et les associations d’épargnants) de présenter leurs remarques et propositions sur cinq thématiques à savoir la clarification et le renforcement du niveau d’informations des consommateurs, l’évaluation des risques et des opportunités présentés par les nouveaux outils et canaux numériques, la lutte contre les conflits d’intérêt pouvant survenir dans le processus de vente, le projet de création d’un devoir de conseil simplifié, et enfin une réflexion sur la notion de complexité des produits financiers. Si l’Anacofi a d’ores et déjà envoyé ses remarques à l’EIOPA, Planète CSCA travaille avec le Bipar, la fédération européenne des intermédiaires d’assurance, qui se chargera d’envoyer les recommandations de plusieurs représentants nationaux d’intermédiaires.

Honoraires versus commissions

De par son importance, la question du conflit d’intérêt pouvant intervenir dans le processus de distribution devrait cristalliser les débats, tant les enjeux sont importants en matière de pérennité du modèle économique de la distribution, et les positions tranchées entre les protagonistes. Deux thèses s’affrontent. La première, défendue par The European Securities and Markets Authority (ESMA) et soutenue par les associations d’épargnants, considère que les rétrocommissions ne permettent pas de garantir des conseils impartiaux sans risque de conflits d’intérêts. La seconde, défendue par les acteurs des secteurs financiers et de l’assurance (assureurs, CGP, courtiers et agents généraux d’assurance), défend la rémunération du distributeur par le fournisseur via le mécanisme de la commission. « Les instances européennes prônent un modèle de conseil aussi objectif que possible, et qui respecte les intérêts de l’assuré ou de l’investisseur. Le fait que le distributeur soit rémunéré par le fournisseur jette, aux yeux de certains, une suspicion sur son objectivité. Ils souhaitent ainsi que celui qui délivre le conseil soit directement rémunéré par son client, via des honoraires », résume Henri Debruyne, président du Monitoring European Distribution Insurance (Medi).

Président de l’Anacofi, David Charlet met en garde : « En supprimant les rétrocessions, nous mettrions en danger les entreprises, et la population ne sera plus conseillée. Or, le modèle des rétrocessions est viable et permet d’accompagner une large population. »

Même son de cloche du côté de Christophe Hautbourg : « Actuellement, le modèle de la distribution des produits d’investissement fondés sur l’assurance fonctionne très bien, et les courtiers, de par leur statut qui leur garantit une indépendance dans l’exercice de leur devoir de conseil, sont mobilisés au service de leur client. Il ne nous semble pas opportun de remettre en cause le fonctionnement de l’ensemble de ce modèle. » Pour Pierre-Grégoire Marly, professeur de droit et directeur du master de droit des assurances du Mans, un traitement différencié selon les canaux de distribution est nécessaire pour mieux cerner la problématique des conflits d’intérêts : « Il faut adapter la solution aux différents canaux de distribution. La question des conflits d’intérêts ne se pose pas de la même façon pour un agent général, mandataire exclusif de sa compagnie, et pour un CGP. Il faudra traiter d’une façon différenciée les problématiques du modèle de la rémunération et de la transparence. »

Les autres priorités de la consultation

À côté de cette épineuse question du conflit d’intérêt, la consultation lancée par l’EIOPA vise à clarifier l’information au consommateur. Dans ce cadre, la pratique de la case à cocher semble être dans le collimateur du régulateur européen, comme le souligne Marion Camier, juriste à la direction juridique des Assurances du Crédit mutuel : « L’EIOPA pointe du doigt la pratique de la case à cocher, très répandue dans les parcours digitalisés de souscription des contrats d’assurance et souhaite y mettre fin. Elle met en avant des « lacunes » pour le test des exigences et des besoins par lequel les consommateurs sont en général invités à cocher une case confirmant que le contrat conclu est conforme à leurs exigences et à leurs besoins, ce qui transfère la responsabilité du test des exigences et des besoins du distributeur d’assurance vers le client ».

Par ailleurs, l’EIOPA encourage la promotion d’un processus de vente abordable et efficace des IBIPs.

Pour Pierre-Gregoire Marly: « L’idée est de différencier le processus du conseil selon la nature et le montant de l’investissement, ainsi que le degré d’expertise de l’investisseur. On ne va traiter de la même façon un investisseur de détail, doté d’un patrimoine conséquent qui va s’adresser à un CGP et le petit épargnant, qui cherche de la sécurité et un peu de rendement. » Pour Marion Camier, revenir sur les processus de conseil et de vente peut pourtant s’avérer improductif : « Ce concept de conseil simplifié s’oppose à un conseil complet, conforme aux exigences et besoins. Si cette distinction est adoptée, nous risquons de revenir sur des parcours de conseil sur lesquels assureurs et intermédiaires ont beaucoup investi pour répondre aux exigences de la DDA. À peine ont-ils pu capitaliser sur ces travaux qu’on nous parle désormais de conseil calibré, notamment en fonction de l’âge et de l’expérience du client, ce qui nous ferait rétropédaler ! D’autant que nous n’avons pas de certitude sur le fait que ce conseil simplifié permettrait de réduire les coûts. »

3 questions à M. David Charlet, président de l’Anacofi

« L’Anacofi est défavorable à toute logique d’interdiction d’un mode de rémunération »

Le modèle de rémunération des intermédiaires fait l’objet de discussions. Quelle est votre position ?

L’Anacofi est défavorable à toute logique d’interdiction d’un mode de rémunération. Nous venons à peine de mettre en place des protocoles de transparence. Nous avons subi l’impact des années Covid, et nous réfléchissons déjà à changer complètement de modèle ! Aujourd’hui, celui du pur honoraire ne fonctionne pas. Il est réservé à un seul type de clientèle. En supprimant les rétrocessions, nous mettrions en danger les entreprises, et la population ne sera plus conseillée. Or, le modèle des rétrocessions est viable et permet d’accompagner une large population.

Et concernant les risques et opportunités liés aux nouveaux outils et canaux numériques de distribution ?

La consultation a pour but de faire émerger des pistes pour mieux appréhender les enjeux de la digitalisation des canaux de distribution et de conseil, notamment la question des algorithmes qui orientent le client dans son choix. Pour autant, est-ce qu’il faut des lois différentes qui permettent à ces acteurs digitaux d’avoir moins de régulation que les non-digitaux ? La réponse est non. Si nous proposons les mêmes produits et revendiquons le même niveau de prestation, la réglementation qui s’applique doit être la même. Aujourd’hui, une grande partie de ces modèles en ligne est fondée sur de la rétrocession, donc très proche des modèles classiques de distribution des IBIPs. Simplement, on nous dit que c’est moins cher. C’est une question de prix. En termes de réglementation et de modèle, c’est la même chose.

La consultation vise également à clarifier et à renforcer le niveau d’information des consommateurs. Que proposez-vous ?

Nous dénonçons depuis des années la lourdeur administrative, avec une quantité importante de documents que nous devons fournir aux clients, qu’ils ne regardent même plus. À la base, PRIIPs avait pour ambition

de simplifier les procédures. Il s’agissait de permettre au client d’avoir accès à toutes les informations dont il avait besoin pour éclairer sa décision et de soulager le professionnel de ses obligations d’informations sur le produit. Aujourd’hui, PRIIPs est un prérequis obligatoire à donner, mais n’est pas suffisant. Il est devenu complexe, très compliqué au niveau de son énoncé. C’est devenu un document en plus à donner au client.

Il est nécessaire de simplifier.

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