Interview de la semaine

« La libéralisation de l'assurance emprunteur ne doit pas se faire au détriment des plus fragiles »

Publié le 6 janvier 2022 à 9h00

Nessim Ben Gharbia    Temps de lecture 5 minutes

Sous-directeur des assurances à la Direction générale du Trésor, Lionel Corre revient sur les ambitions des pouvoirs publics en matière d'assurance récolte, commente l'évolution du modèle français de l'assurance vie, et analyse les derniers développements en matière d'assurance emprunteur (retrouvez l'intégralité de cet entretien dans le numéro de janvier 2022 de La Tribune de l'assurance).

Propos recueillis par Nessim Ben Gharbia

Quels sont vos objectifs en matière de multirisque climatique ?

Aujourd’hui, seules 18·% des surfaces agricoles sont couvertes en MRC, avec des disparités extrêmement fortes selon les cultures, 32·% en moyenne pour les grandes cultures et la viticulture, 3·% pour l’arboriculture et 1·% en prairie. C’est insuffisant même si le gouvernement ne s’est pas fixé d’objectifs chiffrés en la matière. Nous ambitionnons de faire décoller cette assurance via un dispositif qui vise à mieux articuler les actions des assureurs et de l’État, avec un système d’assurance à trois étages, non obligatoire mais le plus incitatif possible. Pour ce faire, l’intervention de l’État ne doit plus être en compétition avec l’assurance, comme c’est le cas actuellement pour l’arboriculture et le fourrage. Nous visons une couverture bien plus efficace, et une protection plus forte de nos agriculteurs.

Les systèmes américain et espagnol vous inspirent-ils ?

Nous avons effectué une comparaison internationale ; pour autant, nous n’avons pas trouvé de système facilement réplicable. Le système espagnol est très administré, et il ne bénéficie pas des subventions de la PAC. Le système américain est également incompatible avec le système européen. Nous travaillons donc sur un dispositif un peu différent, avec des taux de subventionnement compatibles avec la PAC, pour une enveloppe annuelle significative de 600 M€ de soutien public lorsque le régime sera à charge pleine.

Dans leur rapport, les économistes Jean Tirole et Olivier Blanchard proposent de revenir sur la fiscalité de l’assurance vie. Bercy est-il en phase avec leurs travaux ?

Nous sommes à un moment clé de l’histoire de l’assurance vie. Nous sortons d’une période de trente ans, avec un modèle d’assurance vie basé sur le fonds euros qui offrait aux épargnants de la liquidité, de la sécurité et un rendement toujours meilleur que la courbe des taux sans risque. Avec leur baisse, parfois en territoire négatif, l’assurance vie est sommée de se repositionner. C’est en cours, de nouveaux produits ont été lancés, certains ont fait le choix de l’eurocroissance, d’autres ont lancé des PER. Notre enjeu est de contribuer à la mutation de cette épargne et à sa plus grande contribution au financement de notre économie, ce que nous avons fait avec la loi Pacte. Dans ce contexte, nous ne portons pas de projet de révision de la fiscalité de l’assurance vie. Toucher à son cadre fiscal et donc à un élément clé de son attractivité est périlleux compte tenu de la place de l'assurance vie dans l’épargne des Français, et c’est même un sujet de stabilité financière.

Bercy a soutenu la résiliation infra-annuelle de l’assurance emprunteur, n’y a-t-il pas un risque de démutualisation ?

Le texte adopté en première lecture à l’Assemblée nationale s’inscrit finalement dans le prolongement de la politique que nous avons soutenue ces dernières années, qui vise à simplifier les procédures de résiliation de l’assurance emprunteur. La libéralisation du marché est en marche, comme le montre le bilan du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) sur les dix dernières années, mais notre sentiment est que nous ne sommes pas arrivés au bout en matière de développement de la concurrence dans l’intérêt des emprunteurs. Pour autant, nous avons à cœur de veiller à ce que ces réformes ne se fassent pas au détriment des plus fragiles. Nous serons donc extrêmement vigilants, avec nos capacités et celles du CCSF, quant à la protection de ces catégories de la population. Et nous réagirons si nous constatons des dysfonctionnements.

La pandémie a renforcé les appels à davantage de partenariats avec l’État comme assureur de dernier recours face aux risques systémiques. Comment comptez-vous y répondre ?

La crise a peut-être accéléré la prise de conscience des assureurs que seuls ils ne pouvaient pas tout. Nous vivions dès avant la crise une phase de contraction des capacités du marché en grands risques, notamment en cyber. Mais la crise a aussi mis en avant la nécessité pour les assureurs d’apporter des solutions en cas de risque majeur. Lorsque les assureurs s’estiment incapables de protéger leurs clients lorsqu’un risque majeur survient, c’est la place même de l’assurance dans la société qui est remise en question. La réponse ne peut pas être de renvoyer systématiquement vers les pouvoirs publics. L’État est intervenu massivement en soutien des entreprises pendant la crise, mais nous pouvons vraisemblablement faire mieux à l’avenir en y associant davantage les assureurs, sur la base de mécanismes assurantiels calibrés ex ante.

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