Les émeutes en Nouvelle-Calédonie ont généré des préjudices évalués à plus de deux milliards d’euros. Alors que l’état d’urgence vient d’être définitivement levé, c’est l’heure du bilan après six mois. Du côté des assureurs, Generali et Allianz France, bien représentés sur le territoire, sont susceptibles de rechercher la responsabilité de l’État au civil. La jurisprudence administrative est pourtant restrictive en matière d’émeutes.
« Il faut une aide financière importante et rapide pour permettre à la Nouvelle-Calédonie de faire face aux destructions massives d’emplois, aux problématiques sanitaires et sécuritaires », a déclaré le 18 novembre sur France Inter, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, de retour d’un déplacement dans l’archipel avec le président du Sénat, Gérard Larcher. Six mois après le début des émeutes qui ont fait 13 morts et des milliards d’euros de dégâts matériels, la situation est toujours catastrophique. Outre une aide d’urgence de l’ordre de 850 M€ programmée dans le PLF 2025, les Calédoniens ont besoin d’un retour de la confiance, de perspectives et de stabilité politique. En octobre, 3 440 déclarations de sinistres ont été recensées par le comité des sociétés d’assurance (Cosoda) dont celles de 1 700 entreprises qui représentent 49 % des sinistres mais 96 % du montant global des indemnisations. Sur les 120 milliards de francs Pacifique d’indemnités estimés au global par les assureurs, 8,5 milliards de francs Pacifique avaient été distribués au 20 août (soit 65 M€). Le processus est loin d’être terminé d’autant que 70 % seulement des pré-rapports d’experts, nécessaires pour verser un acompte, ont été traités à ce jour. Allianz, qui a supporté 260 M€ de dommages consécutifs aux violences sur l’archipel, a évoqué durant l’été la possibilité de poursuivre l’État français pour négligence, estimant que certains dégâts avaient eu lieu dans des endroits que l’État (police, armée, pompiers…) avait désertés. Generali France veut se retourner également contre les pouvoirs publics ; l’assureur déposera des recours au civil contre l’État pour être remboursé des sommes versées aux assurés sinistrés. « Il nous est resté 50 M€ à notre charge. Le maintien de l’ordre, ce n’est pas la responsabilité des assureurs, mais de l’État », a déclaré à l’AFP son président Jean-Laurent Granier.
Pression sur l’État
« Generali et Allianz font pression sur l’État français pour qu’il prenne en charge une partie des indemnisations, décrypte Jérôme Goy, avocat spécialisé en droit des assurances, associé chez Enthémis. S’agissant des émeutes, les assureurs appliquent des franchises élevées pour le "bas" du risque et des sous-limites des montants garantis pour le "haut". » Leur politique de souscription vis-à-vis des émeutes consiste à assurer à hauteur de quelques centaines de milliers d’euros par événement. « Au-delà, les assureurs peuvent laisser les entreprises s’auto-assurer. Il y a une forme de pression de leur part, poursuit Jérôme Goy. Dans l’absolu, les assureurs français ne sont pas obligés de rester en Nouvelle-Calédonie. S’ils quittaient le territoire, le terrain serait libre pour les compagnies chinoises ou australiennes pour les remplacer en Nouvelle-Calédonie. Il y a un enjeu de souveraineté nationale. » Dans les faits, les assureurs ont augmenté drastiquement les franchises sur la garantie « émeutes », parfois jusqu’à 100 000 ou 200 000 €. « En cas d’émeute isolée sur un lieu, ils n’interviennent donc presque pas. Ils assureront s’il y a une série d’émeutes, précise l’avocat associé chez Enthémis. En outre, les conséquences de la guerre civile sont exclues du contrat d’assurance ; or, des émeutes généralisées sont à la limite d’une guerre civile. » En réalité, la jurisprudence administrative est assez restrictive. Pour l’État, il s’agit de « démontrer que les émeutes n’étaient pas prévisibles. Les premiers jours des émeutes ne l’étaient vraisemblablement pas, donc l’État ne serait pas en faute. En revanche, trois semaines d’émeutes non maîtrisées pourraient engager sa responsabilité », résume Jérôme Goy.
Crédit image : Barricade à Koutio-Koueta (Nouvelle-Calédonie) le 14 mai 2024, Siciliathisma, Creative Commons
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La responsabilité sans faute de l’État
L’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure stipule que « l’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ». Ce régime de responsabilité sans faute de l’État, précisé par la jurisprudence du Conseil d’État suite aux émeutes de 2005 et confirmé par le juge administratif lors du mouvement des « Gilets jaunes » en 2018, s’applique aux dégradations commises dans le cadre de manifestations, qui dégénèrent de façon spontanée. En revanche, le régime de responsabilité sans faute de l’État ne s’applique pas à des dégradations commises de manière préméditée et organisée en dehors de toute manifestation et sans lien direct avec l’événement déclencheur.