Florence Lustman, présidente, et Franck Le Vallois, directeur général de France assureurs

« La hausse du taux de surprime va dans le sens de la pérennité du régime Cat Nat »

Publié le 8 février 2024 à 9h00

Mehdi ElAouni    Temps de lecture 7 minutes

France assureurs, représentée par sa présidente, Florence Lustman, et Franck Le Vallois, son directeur général, dresse le bilan de l’année passée et esquisse les défis à venir pour la fédération et le secteur en 2024. Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le numéro de février de La Tribune de l’assurance.

Les émeutes de l’été ont remis sur le devant de la scène le sujet de l’assurabilité des collectivités : quel est l’enjeu principal ?

Florence Lustman : Pour les collectivités territoriales, le problème d’assurabilité a des causes multiples. Un exemple parmi d’autres : le mode de souscription de l’assurance via la procédure d’appels d’offres pour les marchés publics paraît peu adapté. Dans cette procédure, très différente de la souscription d’un risque d’entreprise, les assureurs ne peuvent pas dialoguer directement avec les collectivités locales pour adapter leur réponse à leurs besoins ou pour évoquer les mesures de prévention pourtant indispensables. Certains assureurs nous disent même que dans certains cas ils ne peuvent pas visiter les locaux qu’on leur demande de couvrir.

Faut-il revoir la procédure d’achat d’assurances des collectivités ?

Florence Lustman : Le lancement de la mission sur l’assurabilité des collectivités, pilotée par Alain Chrétien [maire de Vesoul, NDLR] et Jean-Yves Dagès [ancien président de Groupama, NDLR] est une initiative très pertinente. Il faut pouvoir examiner toutes les spécificités des risques auxquels sont confrontées les collectivités territoriales pour adapter la réponse. La procédure d’achat d’assurance des collectivités locales doit donc être analysée dans le cadre de cette mission et faire l’objet vraisemblablement de recommandations pour créer les conditions d’un dialogue constructif entre assureurs et assurés, notamment en matière de prévention.

Quelle est votre évaluation du risque RGA sur le bâti existant ?

Franck Le Vallois : Les constructions neuves ne représentent par an que 1 % du parc immobilier. Même si la loi Elan constitue une réelle avancée, en généralisant les études géotechniques préalables à la construction, la part des nouvelles constructions est bien trop faible pour miser uniquement sur le rythme de renouvellement du parc immobilier.

Il faudra donc du temps pour apporter des solutions à l’ensemble des maisons concernées par le phénomène de RGA. On sait que les constructions des années 1970, plus légères et plus rapidement construites, sont les plus menacées. Cela étant, on constate que des constructions plus anciennes, du début du 20e siècle, sont parfois concernées.

Quelles sont vos pistes pour pérenniser le régime Cat Nat ?

Florence Lustman : La priorité est de pouvoir continuer à protéger les Français face aux catastrophes naturelles, y compris la sécheresse. Pour cela, nous proposons une réponse en deux temps.

D’abord, le court terme : il fallait absolument augmenter le taux de la surprime Cat Nat pour pérenniser l’équilibre financier du régime, déficitaire depuis 2015. Les pouvoirs publics ont pris cette décision à la fin du mois de décembre dernier. Ensuite, le moyen et long terme avec la prévention : nous avons dans ce domaine des marges de progression significatives, au niveau des particuliers comme des collectivités et des entreprises. Nous nous réjouissons par exemple de l’instauration d’une Journée nationale de la résilience, votée l’été dernier au Parlement. Il va maintenant falloir la décliner localement car les risques sont différents dans chaque territoire.

Franck Le Vallois : Nous avions calculé que pour ramener immédiatement à l’équilibre le régime Cat Nat, le taux de surprime devait passer de 12 % à au moins 18 % pour les contrats multirisques habitation et professionnel. Pour anticiper les effets futurs de la dérive de la sinistralité climatique, il fallait même aller au-delà. C’est ce que le gouvernement a décidé fin décembre, en rehaussant ce taux sur les contrats d’assurance de dommages aux biens habitation et professionnel de 12 à 20 % et de 6 à 9 % en assurance auto dès le 1er janvier 2025. Cette décision va dans le bon sens pour assurer la pérennité du régime.

Après le vote du budget 2024 de la Sécurité sociale, le ministre de la Santé a demandé aux assureurs de modérer les hausses tarifaires et d’accélérer la prévention. Qu’en avez-vous pensé ?

Franck Le Vallois : Lors de la dernière réunion du CDOC [le 15 décembre dernier, NDLR], le ministre nous a parlé uniquement des tarifs, alors que nous ne connaissons pas les évolutions tarifaires pour 2024. En ce qui nous concerne, en tant que fédération, notre rôle n’est pas de discuter des tarifs avec les pouvoirs publics. Certains commentateurs ont avancé leurs propres chiffres mais ce sont des estimations, pas des mesures statistiques. En revanche, les statistiques que nous parvenons à consolider grâce aux données de nos membres prouvent que la dynamique des prestations est plus forte que celle des cotisations.

Florence Lustman : Effectivement, les chiffres sont têtus. Les dépenses de santé et les prestations ne cessent de progresser au fil des années. Dans ces conditions, les tarifs qui reflètent directement le coût du risque ne peuvent que progresser. L’assurance, c’est le thermomètre des risques et rien ne sert de casser le thermomètre quand le patient a de la fièvre ! Notre réponse en tant que complémentaires santé c’est la maîtrise du risque et la prévention. Nous sommes déjà très actifs dans ce domaine, en particulier en assurance collective parce que l’entreprise est un superbe territoire de prévention en matière de santé mais des espaces restent encore à défricher. Nous savons que la prévention la plus efficace est celle qui est personnalisée. Nous sommes prêts à nous y investir davantage, encore faudrait-il que nous ayons accès à des données supplémentaires pour que nos actions de prévention soient encore plus efficaces. L’accès aux données de santé est un sujet sensible mais compte tenu des enjeux nous devons en discuter avec l’ensemble des parties prenantes.

Quelles sont vos autres pistes de travail sur la santé ?

Florence Lustman : Nous travaillons également sur la lutte contre la fraude. Notre association de lutte contre la fraude à l’assurance, Alfa, intervient sur l’ensemble des risques souscrits par les assureurs. Mais elle détecte relativement moins de fraude en santé-prévoyance, faute d’accès aux données et de partage de l’information entre les différents acteurs. Par exemple, nous avons appris par les médias la fraude dont ont été victimes certains établissements de soins dentaires. La Cnam ne nous en a pas informés. Or, ceux qui fraudent la Cnam fraudent les complémentaires, et réciproquement.

L’autre grande piste d’amélioration du système de santé à laquelle les assureurs contribuent c’est l’innovation. Les assureurs investissent dans l’innovation en santé et intègrent ensuite le produit de cette innovation dans leurs contrats, à l’instar de ce qui s’est passé avec la téléconsultation médicale. C’est un cercle vertueux puisque nous sommes ainsi des passeurs d’innovation qui faisons profiter la communauté des assurés des investissements réalisés dans le cadre du placement des actifs. Je rappelle que dans le cadre du programme d’investissement commun des assureurs et de la Caisse des dépôts « Relance Durable France », les assureurs se sont engagés à hauteur de 800 M€ pour financer le secteur de la santé. Ceci démontre s’il en était besoin que nous sommes des partenaires incontournables pour relever, aux côtés des pouvoirs publics, les grands défis en matière de santé que sont la prévention, l’accès aux soins, la fluidité des parcours de prise en charge et le financement.

Franck Le Vallois : Rappelons que les Ocam sont aujourd’hui tout juste à l’équilibre alors que les dépenses de soins ne font qu’augmenter. À son lancement, la réforme du 100 % santé a été présentée comme une réforme utile en matière d’accessibilité aux soins, objectif que nous partageons, mais aussi comme une réforme équilibrée sur le plan économique. Force est de constater que ce n’est pas le cas : au total, pour les membres de France assureurs, l’impact de cette réforme représente un surcoût de 360 M€ en 2022 et le chiffre évoluera sans doute à la hausse en 2023. Quant à toute extension du 100 % santé, le bon sens commanderait d’abord de faire un bilan d’étape et de mesurer l’impact potentiel des évolutions envisagées.

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