Catherine Bourland, directrice générale d’Aon Reinsurance Solutions France, et Emmanuel Le Floc’h, directeur technique
journaliste
Les deux dirigeants du courtier de réassurance font le point sur la réassurance alternative et traditionnelle en France.
Maintenant que CCR Re a créé un side-car à Paris, la France peut-elle devenir une nouvelle place pour la réassurance alternative ?
Catherine Bourland : CCR Re est un réassureur français dont le siège est en France. Il a ouvert la voie de la diversification d’accès au capital et a pu créer un side-car en travaillant sur l’évolution de l’environnement réglementaire français pour ce genre d’opérations. La France est donc aujourd’hui en capacité d’attirer des investisseurs mais nous n'en sommes pas encore à un phénomène de place nouvelle pour la réassurance alternative.
Emmanuel Le Floc’h : Il y a une question de juridiction puisqu’à la fois le régulateur français et le régulateur anglais ont mis en place un certain nombre de législations permettant la création de véhicules supportant les Cat Bonds ou les side-cars. Ces législations sont relativement récentes d’un côté ou de l’autre de la Manche avec la volonté de redynamiser et mettre en avant la place.
Cependant, ce n’est pas parce qu’on met en avant la faculté d’une place à avoir le cadre législatif permettant d’accueillir un véhicule de ce type que ça permet de créer du besoin.
Les ILS accusent-ils le coup après deux années difficiles ?
C.B. : Là encore, il faut regarder différemment le cadre global du cadre local. Les ILS ont une part importante de certains marchés de la réassurance, notamment celui de la rétrocession, et ils ont dû faire face à un certain nombre de difficultés principalement occasionnées par les sinistres enregistrés en 2017 et 2018. De ce fait, une partie du capital est verrouillée parce que sinistrée, et suite à cette sinistralité élevée, les ILS ont mis un frein à l’apport de capital nouveau.
En revanche, localement, l’empreinte de ces opérateurs sur le marché français n’a pas encore atteint l’ampleur qu’ils ont aux Etats-Unis ou sur les marchés de rétrocessions. Les variations sur ces acteurs-là n’ont pas la même influence localement que globalement. Par ailleurs, l’Europe permet de diversifier les portefeuilles, les ILS sont donc plus tentés d’ajouter des capacités en Europe – où ils sont peu présents – plutôt que de réduire cette partie-là.
Il est important de noter qu’avant 2017 et 2018, il y avait un grand point d’interrogation sur la résilience de la réassurance alternative après sinistre. Il me semble que ce point-là est acquis maintenant. Les ILS ont répondu à la sinistralité de façon satisfaisante et ont reconduit pour partie la capacité disponible. Il n’y a pas eu pour nous de différence notable. Ces ILS sont toujours actifs en termes de prospection sur le marché et ont gardé une vision et une empreinte très similaire à ce qu’ils pouvaient avoir auparavant.
E.L.F. : L’Europe et la France sont des terrains de diversification pour la plupart des réassureurs. Les années précédentes, la place avait connu une réduction partielle des capacités de certains grands réassureurs pour le marché français, au bénéfice d’acteurs de taille moins importante, notamment les ILS. Or aujourd’hui, ces grands réassureurs essaient de revenir aux positions qu’ils avaient précédemment et, dans un mouvement de balancier, cherchent à accroître leur empreinte au niveau local. Je ne pense néanmoins pas qu’il faille considérer ces tendances comme une généralité.
Qu’en est-il de la réassurance alternative sur le dommage non-CAT ?
E.L.F. : Elle est clairement moins présente pour ne pas dire inexistante. Ce marché des grands risques reste détenu par les opérateurs traditionnels, les acteurs continentaux, le Lloyd’s et dans une moindre mesure les réassureurs bermudiens... Les ILS ne se sont pas encore intéressés à ces risques-là, notamment parce que les ILS ont un mandat d’investissement sur le marché de la réassurance qui s’inscrit surtout sur des risques mesurables aisément avec des logiciels « de marché ». Or, sur celui du grand risque, il n’y a pas de logiciel qui fasse foi dans l’appréciation du risque et par voie de conséquence, il est plus difficile de mettre en avant une bonne ou une mauvaise souscription vis-à-vis des investisseurs sous-jacents. Pour l’instant, ils se cantonnent à ce qui est finalement le plus communément mesurable. Il y a besoin d'un développement technologique important pour que cela change.
Les grands risques repartent-ils à la hausse ? Quid du cyber ?
C.B. : Probablement, la RC auto ou la RC générale sont des branches très largement surveillées par les réassureurs. En France, il y a un projet de réforme de la RC qui met les réassureurs en attente et en surveillance par rapport à la capacité qu’ils offrent à leurs cédantes. Les résultats sur les sinistres d’intensité sont souvent là aussi difficiles et il n’y a pas clairement de vision baissière.
Ces programmes sont regardés sur leur mérite propre. Il est donc difficile de tirer une tendance dès aujourd’hui sur la vision globale du marché. En revanche, la capacité existe, elle n’est pas non plus très largement surcapacitaire contrairement aux CAT, mais les réassureurs traditionnels sont présents. Il est fort possible qu’il y ait des attentions particulières pour des changements de structures de réassurance sur des tarifications stables ou peut-être un petit peu en augmentation.
Sur la partie dommages non événementiels, il est difficile de dégager une tendance. La capacité est là, les réassureurs traditionnels tiennent à ce marché et à leur présence. Les programmes sont vus selon leur mérite propre et non pas comme en CAT selon la vision globale de la capacité disponible. Les réassureurs sont proches de leurs risques. Il y a sur le marché direct une remontée et une tension.
E.L.F. : Sur la partie risque d’entreprise et notamment en dommages, le marché semble se tendre notamment pour les risques les plus importants et/ou les plus sinistrés. On ne voit pas le même changement sur la partie réassurance et les réassureurs sont dans l’optique de continuer à récompenser les assureurs qui ont eu de bons résultats et de faire augmenter les tarifs pour les autres.
En ce qui concerne le cyber, il y a deux sujets qui sont prédominants : la question des garanties silencieuses sur des contrats RC, dommages… qui fait l’objet de beaucoup de travaux de la part des assureurs et peut être aussi d’une demande d’information de la part d’autres intervenants (réassureurs, régulateurs...). Et celui de la création des offres d’assurance, le marché continu d’être dynamique de ce point de vue.
En réponse à cela, les réassureurs font évoluer leur offre. Historiquement, l’offre de réassurance était majoritairement proportionnelle. Dorénavant, de plus en plus de réassureurs proposent autre chose et accompagnent les cédantes sur des solutions non-proportionnelles à la fois sur les garanties dites « affirmatives » que sur les garanties silencieuses lorsque celles-ci estiment avoir un problème.