Rachat de PartnerRe

La diversification de Covéa questionnée

Publié le 26 janvier 2022 à 16h16

Louis Guarino    Temps de lecture 8 minutes

Le rachat du réassureur bermudien PartnerRe, filiale de la holding Exor, par le groupe mutualiste Covéa, est acté au prix de 7,8 Md€. Une stratégie de diversification qui constitue un pari risqué, le groupe étant désormais exposé à plus de volatilité.

Au commencement, en mars 2020, il y a un pas de deux entre l’héritier de la famille Agnelli, John Elkann, propriétaire du réassureur bermudien PartnerRe depuis 2016 via la holding Exor, et Thierry Derez, le PDG du groupe mutualiste Covéa (Maaf, MMA, GMF). Le mastodonte français de l’assurance dommages, qui a généré un chiffre d’affaires de 16,4 Md€ (dont 14,7 Md€ sur le seul marché français) en 2020, cherchait à se développer dans la réassurance depuis plusieurs années. En 2018, il avait déjà voulu mettre la main sur Scor, une tentative à l’origine d’un terrible conflit médiatique et judiciaire avec Denis Kessler, finalement conclu par la signature d’un accord amiable prévoyant notamment pour Covéa l’interdiction d’acheter pendant sept ans des actions Scor. Mais début 2020, avec ParnerRe, les négociations étaient bien engagées si elles n’avaient été perturbées par la pandémie qui est venue percuter les pourparlers et générer son lot d’incertitudes sur l’économie mondiale. Pour Covéa, le rachat de PartnerRe s’imposait tant les cibles de cette taille sont rares (7,4 Md$ de chiffre d’affaires en 2020). Dans le « memorandum of understanding » signé en mars 2020, Covéa avait tenté en vain de négocier à la baisse le prix initial d’achat (9 Md$/8,2 Md€), avant de renoncer en mai 2020 en s’acquittant au passage d’une pénalité. Selon nos informations, l’échec de l’opération pour cause de pandémie s’est traduit par le versement d’une somme de 1,5 Md€ d’investissement à Exor, en lieu et place des 175 M$ de pénalités prévues dans le protocole d’accord. Depuis lors, les pourparlers entre Exor et Covéa n’ont jamais été interrompus. Le 28 octobre 2021, le rachat de PartnerRe est acté par un accord définitif qui sera officialisé dans un communiqué de presse conjoint du 16 décembre 2021 au prix de 7,8 Md€. Lequel montant sera payé en numéraire par Covéa au moment de la clôture de l’opération le 30 juin 2022, sous réserve de l’accord des autorités réglementaires et anti-trust compétentes. Voilà pour la partie émergée de l’iceberg.

Pour autant, assiste-t-on à une convergence entre les assurances dommages et la réassurance, à l’instar du groupe Talanx, propriétaire du troisième réassureur mondial Hannover Re et de l’assureur direct HDI ? « C’est plutôt le mariage de la carpe et du lapin », répond sous couvert d’anonymat, un bon connaisseur du secteur. Le rapport d’expertise comptable du cabinet Syndex, présenté en novembre 2021 au Comité social et économique central de l’UES de Covéa et du comité de groupe Covéa, fait état de conclusions moins tranchées. Le rapport constate en effet que la logique industrielle entre les deux entreprises est « potentiellement » complémentaire. « La stratégie de diversification dans la réassurance a du sens même si elle n’est pas simple, analyse Romaric Chalendard, président-fondateur de Castom, société d’analyse financière spécialisée en assurance. C’est une manière de se protéger contre la baisse de la matière assurable et d’avoir un deuxième réacteur « réassureur ». Covéa n’a pas d’actionnaires, donc pas de dividendes. Le groupe est davantage focalisé sur sa pérennité à long terme plutôt que sur la rentabilité à court terme. On peut considérer que le prix d’achat est un peu élevé mais in fine le sujet de la rentabilité est moins prégnant que celui de la pérennité. Le montant déboursé par Covéa représente environ 30 % de ses fonds propres en référentiel Solvabilité II [25 Md€, NDLR] et dix années de résultats. »

En outre, une analyse comparative entre mars 2020 et novembre 2021 montre que le prix de cession de PartnerRe est passé de 8,2 à 7,8 Md€. Selon nos informations, le taux de change a fait l’objet d’une couverture par Covéa, sachant que 50 % de la somme sera versée à Exor en dollars. « Il n’en demeure pas moins que les résultats de PartnerRe à partir de 2023 seront exprimés en dollars vis-à-vis de Covéa. Si le dollar se renchérit par rapport à l’euro, les résultats de PartnerRe seront moindres en euros. Les résultats de Covéa pourront être avantageux ou désavantageux compte tenu de cette volatilité du taux de change », insiste Romaric Chalendard. Fait marquant, la solvabilité de Covéa passerait, selon le document de Syndex, de 394 % à 211 %. Pour rappel, les ratios de solvabilité des gros acteurs européens oscille entre 212 % à fin juin 2021 pour Axa, 225 % à fin septembre 2021 pour Scor, 207 % pour Allianz ou encore 239 % pour Hannover Re. « Covéa restera au niveau de la moyenne européenne, assure Romaric Chalendard. Mais à la différence d’Axa ou d’Allianz, le groupe mutualiste n’a pas recours à des modèles internes. Le ratio de solvabilité est calculé en formule standard, la méthodologie circonscrite aux assureurs et réassureurs qui exercent en Europe. Avec un siège social aux Bermudes, PartnerRe n’est pas soumis à la réglementation européenne. »

Une nouvelle architecture

C’est la banque d’affaires Rothschild qui a été mandatée par Covéa pour réaliser la valorisation de PartnerRe. Il apparaît que l’accord de négociation prévoit un prix fluctuant en fonction du niveau réel des fonds propres de PartnerRe au 31 décembre dernier. Le financement sera réalisé intégralement sur fonds propres Covéa, au moyen de prêts intra-groupe à Covéa coopérations, filiale du géant mutualiste. La moitié du prix d’acquisition sera payable en euros, et l’autre moitié en dollars. Et compte tenu de la forme juridique de PartnerRe, le réassureur ne peut être affilié à la Société de groupe d’assurances mutuelles (SGAM) qui constitue le pacte de famille des mutuelles Covéa (Maaf, AM, MMA, GMF). Le groupe PartnerRe sera donc acquis par Covéa au cours du second trimestre 2022. Enfin, l’existence d’actions de préférence (« preferred shares ») sera maintenue, obligeant la publication à la Securities Exchange Commission (SEC) américaine, de façon à conserver la qualité d’information financière du réassureur. « Après la clôture de l’opération, Exor et Covéa vont poursuivre leur coopération dans le domaine de la réassurance, avec l’acquisition par Exor des participations détenues par Covéa dans des véhicules de réassurance gérés par PartnerRe pour un montant d’environ 725 M$», précise le communiqué conjoint du 16 décembre. À l’évidence, la stratégie de diversification du groupe interroge ses pairs, lesquels saluent l’anticipation des évolutions métiers du secteur opérée par le mutualiste. Nombre d’observateurs pointent toutefois l’expérience internationale de Covéa, rarement couronnée de succès et se soldant régulièrement par de mauvais résultats.

Trois questions à Dominique Le Chevallier, directeur technique de Verspieren et directeur de Verspieren Global Markets

« Le métier de réassureur n’est pas plus hasardeux que celui d’assureur »

Que vous inspire le rachat de PartnerRe par Covéa ?

Thierry Derez motive ce rachat par un souci de diversification et d’internationalisation. Il estime que sur le marché français il arrive à saturation. Le groupe Covéa est le premier assureur dommages, la faiblesse des taux obligataires n’est pas propice pour se renforcer en assurance vie et en santé. Augmenter sa présence et ses parts de marché dans d’autres pays mobilise beaucoup de fonds propres et c’est une stratégie risquée. Il n’y a pas eu de réussites significatives ces dernières années sauf des grands groupes qui étaient internationaux dès leur création comme Generali ou Allianz.

Peut-on parler d’une convergence entre l’assurance et la réassurance ?

Non pas réellement. PartnerRe peut très probablement optimiser le placement et le coût des différents traités de réassurance qui protègent les activités d’assurance de Covéa en France, mais cela ne va pas fondamentalement modifier ses politiques de souscription et d’acceptation des risques. Les anciennes participations croisées de 25 % – dénouées depuis – entre Allianz et Munich Re n’ont pas modifié leurs stratégies respectives et leurs positionnements sur le marché.

S’agit-il selon vous d’une diversification hasardeuse ?

Il est clair que ce sont deux métiers différents. Le groupe Axa en rachetant XL a également repris des opérations de réassurance qui représentaient une part significative du chiffre d’affaires de XL, pour un CA de 5 Md$ proche de celui de PartnerRe. Cependant, la jonction de ces métiers apporte une diversification des risques et des marchés et ce sur une base internationale. Le métier du réassureur n’est pas plus hasardeux que celui d’assureur. La réassurance peut être en outre un outil prospectif et d’analyse sur un marché et/ou un pays où Covéa n’est pas implanté. La rentabilité des opérations de réassurance sur un pays peut conduire à créer une filiale d’assurance directe en évaluant bien les charges d’exploitation versus les primes brutes.

Chiffres clés

• 7,8 Md€ : montant de la cession de PartnerRe à Covéa prévue pour mi-2022.

• Décembre 2021 : information des conseils d’administration des sociétés MMA, Maaf, AM et GMF et des filiales sollicitées pour les prêts complémentaires à Covéa coopérations, la filiale du groupe mutualiste.

Signature de la documentation contractuelle

• Janvier 2022 : notifications auprès des autorités réglementaires et des autorités anti-trust compétentes.

• 31 mars 2022 : audit ciblé confirmatoire effectué par Covéa avant l’approbation des comptes 2021 de PartnerRe.

• 2e et 3e trimestre 2022 : obtention des accords réglementaires et de l’ensemble des autorisations anti-trust. La cession devra intervenir dans un délai de un an à compter de la signature de la documentation contractuelle. Ce délai peut être étendue à quinze mois dans certaines circonstances.

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