Damien Vieillard-Baron, président de Gerep
journaliste
Alors qu'une taxe exceptionnelle sur les complémentaires santé est à l'étude, le président du cabinet Gerep apporte son éclairage sur les tendances à l'œuvre en protection sociale complémentaire au cours d'une année affectée par la crise sanitaire, mais aussi par diverses évolutions réglementaires (nouveaux dispositifs d’épargne retraite institués par la loi Pacte, résiliation infra-annuelle des complémentaires santé…).
La loi Pacte votée en mai 2019 est-elle un levier de croissance pour votre activité ?
Oui dans la mesure où cette loi permet de moderniser les dispositifs de retraite supplémentaire et d’étendre l’épargne salariale à de nouvelles entreprises qui n’y étaient pas jusqu’alors éligibles. Nous nous heurtons cependant à une difficulté : la complexité du texte. Nous avons dû ainsi faire face à un véritable enjeu de vulgarisation et de pédagogie auprès des entreprises. Et pour y répondre, nous avons pris le parti de la simplification. Plutôt que de décrire les dispositifs prévus par la loi, très complexes, nous nous appliquons à montrer aux entreprises l’intérêt qui réside pour elles dans une plus grande souplesse et une modernisation des solutions d’épargne retraite proposées par la loi et les accompagnons dans la communication à adopter auprès de leurs salariés à propos de ces dispositifs.
Avez-vous d’ores et déjà des clients sur ce segment ?
Les porteurs de risques, assureurs et bancassureurs, sont prudents : ils ont encore des questions juridiques à résoudre notamment sur la transférabilité des contrats, et leurs circuits informatiques ne sont pas forcément prêts. Mais des appels d’offres sont en cours pour quelques clients. Nous n’avons certes pas encore une grande maîtrise du transfert des anciens contrats vers les nouveaux, mais c’est normal, il nous faut nous approprier cette nouvelle réglementation et nous allons rapidement acquérir l’expérience nécessaire.
Quelles perspectives cela vous laisse-t-il entrevoir pour 2020 en épargne-retraite ?
Compte tenu du contexte de la crise sanitaire, certaines entreprises ont demandé de surseoir au paiement de leurs cotisations retraite au titre de leur régime en place. Dans ces conditions, on peut raisonnablement s’attendre à ce que le développement de l’épargne-retraite version loi Pacte soit temporairement freiné.
Justement, puisque vous évoquez la crise sanitaire, les assureurs ont-ils joué le jeu en matière de reports de paiement des primes ?
Nous travaillons avec environ trente porteurs de risques et oui, ils ont tous accordé des délais, quelle que soit leur famille. Néanmoins, un stress perceptible se fait jour concernant les reportings précis des encaissements de primes et des différés que nous leur fournissons. Gerep a perçu 89 % des cotisations au 1er trimestre, alors que le confinement n’a été effectif que pendant deux semaines au cours de cette période. Or, au 2e trimestre, le confinement aura duré un mois et demi, si bien que l’impact devrait être plus important, sans compter le risque de plans sociaux au 2e semestre.
Quelles sont les perspectives de renouvellement de vos contrats collectifs de prévoyance et santé ?
Le risque prévoyance était déjà sous tension depuis plusieurs mois sous l’effet de divers facteurs : vieillissement de la population, augmentation de l’âge moyen des salariés, taux obligataires négatifs, hausse des arrêts de travail… Les assureurs nous ont déjà sensibilisés quant à la nécessité d’augmenter les primes au 1er janvier 2021. Le risque va être d’autant plus déséquilibré avec l’augmentation des arrêts de travail liée à la crise sanitaire. En tant que courtier, nous devons être vigilants car nous devons défendre les intérêts de nos clients.
La Covid-19 devrait en revanche permettre de diminuer la pression tarifaire sur les frais de santé, compte tenu de la baisse de consommation des prestations de santé pendant le confinement. Et même en dépit du rattrapage post-confinement, les dépenses de santé 2020 seront inférieures à celles de 2019. C’est là un levier pour demander une baisse des cotisations santé, ou négocier une prime stable en prévoyance, autrement dit limiter l’augmentation souhaitée par les assureurs.
Avez-vous déjà débuté les négociations pour 2021 ?
La campagne des renouvellements intervient principalement entre septembre et décembre, mais nous avons d’ores et déjà bouclé certaines négociations pour janvier prochain. A noter que l’an prochain, les clients vont pouvoir faire jouer la résiliation infra-annuelle, introduite par la loi du 14 juillet 2019 et applicable à compter du 1er décembre 2020. Ils pourront ainsi résilier leur contrat de complémentaire santé à tout moment dans l’année, ce qui constitue une évolution structurelle significative. Ce sont surtout les TPE qui devraient mettre à profit cette nouvelle faculté, tandis que les grosses entreprises s’en tiennent généralement à des trajectoires planifiées sur plusieurs années. Cela devrait rendre le marché plus concurrentiel et pourrait modérer la volonté de certains assureurs d’augmenter les primes. Cette nouvelle possibilité aura aussi un impact en ce qui nous concerne : tout ce qui contribue à instaurer une plus grande fluidité valorise en effet le courtage et son rôle d’intermédiation.
Comment vous positionnez-vous dans cette période ?
De manière générale, le moment que nous vivons est intéressant pour les courtiers car les circonstances font ressortir la technicité de la matière et renforcent en conséquence l’importance du rôle que nous jouons en faveur de nos clients. Nous avons la connaissance du marché, des cycles, et pouvons en anticiper les évolutions. Quant au « bashing » des assureurs que nous observons, il ne me paraît pas tout à fait justifié, notamment en santé.