Séverine Salgado, directrice générale de la Fédération nationale de la Mutualité française

«Il faut renforcer notre démocratie sociale»

Publié le 2 octobre 2025 à 9h00

Sarah Noufi    Temps de lecture 8 minutes

Séverine Salgado, directrice générale de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) depuis 2021, revient sur les défis majeurs du secteur : financement de la santé, fraude sociale, modèle mutualiste, digitalisation et mutations réglementaires.

Propos recueillis par Sarah Noufi

Votre Carnet de santé de la France 2025 met en évidence les fragilités de notre système : selon vous, quelles tendances exigent une réponse politique urgente ?

Cette publication, éditée par la Mutualité française, est une boussole qui dresse des constats et identifie les actions prioritaires au plus près des attentes exprimées par les Français. Cette année, la lutte contre la fraude sociale ressort comme une préoccupation majeure. Elle s’inscrit en miroir des difficultés économiques rencontrées par notre système de protection sociale et de son financement. Les Français, dans notre sondage, nous disent être inquiets et à juste titre : 84 % d’entre eux pensent que le déficit actuel de la Sécurité sociale peut remettre en cause son avenir, en hausse de plus de 10 points par rapport à 2017. La fraude sociale est estimée chaque année à 13 Md€, dont 4 Md€ dans la santé. Elle consiste en un détournement de prestations sociales par des professionnels de santé ou des assurés sociaux – et près de 70 % du montant des fraudes évitées ou stoppées relèvent des professionnels de santé en ville. S’attaquer à juguler ce phénomène massif, c’est renforcer notre démocratie sociale et apporter une solution concrète au déficit. Alors que 72 % des Français estiment qu’il faut totalement réorganiser notre système de santé, commençons par le sécuriser en limitant ses failles. Au-delà du constat, il faut répondre à l’urgence par des moyens concrets et adaptés, et nous portons avec beaucoup de convictions un projet de loi qui doit absolument aboutir.

Dans la perspective du PLFSS 2026, quelles mesures clés la Mutualité française défend-elle pour enrayer la hausse des restes à charge et sécuriser le financement de la santé ?

Parce qu’il intervient dans un contexte politique extrêmement perturbé, nous sommes plus que jamais déterminés à contribuer à ce PLFSS dans la continuité de notre engagement. Nous sommes bien sûr en attente des priorités fixées par le gouvernement mais, quelles qu’elles soient, l’enjeu, alors que nous allons fêter les 80 ans de la Sécurité sociale, est la pérennisation d’un système malmené par une approche court-termiste et purement comptable. Nous l’avons signalé à la ministre Catherine Vautrin avec notre demande d’abandon de la taxe injuste sur les complémentaires santé. Et sans attendre une réforme plus profonde, il est possible d’avancer lors des débats budgétaires de l’automne avec la mise en œuvre de la pluriannualité et d’une plus grande efficience. Nous soutenons aussi des mesures très concrètes : l’accès aux soins sur tout le territoire via les équipes de soins traitantes, l’accès à la couverture complémentaire via la baisse de la fiscalité et l’adaptation des contrats responsables.

Le modèle mutualiste se dit protecteur et solidaire, mais il est en difficulté : quelles réponses apportez-vous pour le pérenniser ?

La Mutualité a toujours su innover et anticiper les besoins des personnes assurées, tout en restant fidèle à ses fondements. C’est d’ailleurs ce qui fait que notre rôle ne se limite pas à celui d’un « guichet payeur » et que l’on ne peut pas se satisfaire d’une augmentation par principe de la surface assurable. Nous souhaitons mettre en place des couvertures qui aient du sens, à l’instar de la couverture dépendance qui lie à la fois réponse à un besoin social et outil de financement des situations de perte d’autonomie. Notre valeur ajoutée, c’est la capacité de réfléchir aux besoins et aux services de demain et, pour y répondre, d’imaginer le développement de services innovants tout en assurant notre équilibre en bons gestionnaires. L’ancrage du réseau mutualiste au sein des territoires est une source de différenciation et d’innovation. C’est cette proximité avec les assurés de tous horizons qui a permis le développement d’innovations pour la protection sociale, comme la prise en charge des séances de psychologues au premier euro dans le cadre de la prévention en santé mentale ou celui des engagements pour la santé des femmes.

Certaines contraintes réglementaires désavantagent-elles les opérateurs aujourd’hui ?

Nous avons assisté ces dix dernières années à une accélération de la dynamique réglementaire, notamment européenne. Cette accumulation oblige les assureurs et les mutuelles à des investissements lourds et à une mise en conformité quasi permanente. Cependant, l’Union européenne tend désormais à simplifier les choses (paquet Omnibus) ou à prendre en compte les spécificités de l’assurance. Pour les mutuelles, des avancées existent sur la proportionnalité, mais elles ne reflètent pas totalement la réalité du marché, notamment sur les seuils S2 (Solvabilité II). L’enjeu est la rentabilité suffisante pour assurer la pérennité de nos structures et maintenir une offre non lucrative, capable de répondre aux besoins présents et futurs tout en continuant à investir, innover et se développer.

Le contrat responsable répond-il encore aux besoins ou doit-il être repensé ?

Le contrat solidaire et responsable est un élément majeur de notre système de protection sociale qu’il faut absolument préserver : aujourd’hui, 96 % des personnes sont couvertes par une complémentaire santé et 98 % de ces contrats sont solidaires et responsables. Pour autant, il est devenu tellement inflationniste qu’il pourrait devenir insoutenable pour les retraités, les jeunes et les inactifs. Il ne faut pas l’enterrer mais lui redonner tout son sens. Nous proposons de recentrer le socle mutualisé, de stopper les extensions automatiques sans étude d’impact ou concertation, de clarifier les niveaux de prise en charge, de renforcer notre capacité à gérer le risque et de responsabiliser les adhérents, par exemple avec des délais de carence ou des ententes préalables, et les professionnels de santé avec l’interdiction de la publicité ou la suppression du tiers payant en cas de fraude.

Les regroupements via des appels d’offres accélèrent la concentration du marché : où placer la limite entre rationalisation et perte de diversité ?

Les appels d’offres massifiés ne sont pas la seule clé du marché. Les mutuelles, parce qu’elles sont implantées localement, jouent un rôle dans la protection en proximité pour l’ensemble de la population. Nous avons également la conviction que la dynamique territoriale est essentielle pour les solidarités de demain, notamment dans la gestion des parcours préventifs, sanitaires et sociaux. Le mode d’entreprendre des mutuelles leur permet également de maintenir une offre non lucrative et de lutter contre la financiarisation.

L’essor des AssurTech redessine-t-il le paysage ?

Les AssurTech ont amélioré les parcours clients et les solutions de gestion grâce à la technologie, ce qui a été vertueux. De nombreuses mutuelles innovent et font évoluer leurs modèles opérationnels et relationnels, parfois en partenariat avec ces AssurTech. En revanche, leur robustesse économique peut questionner. Elles n’ont pas démontré leur capacité à gérer le risque et à faire face aux situations complexes (retraités, ayants droit, publics fragiles). Les mutuelles conservent de nombreux atouts : expertise sur toutes les dimensions de la gestion du risque, approche différenciante sur l’épargne-retraite, vision solidaire dans un contexte de fragilisation de l’assurabilité.

La digitalisation et l’arrivée de l’IA exigent des investissements massifs : quel est votre rôle dans cette transition ?

La digitalisation et l’IA sont incontournables pour répondre aux attentes des assurés et lutter contre la fraude. Elles optimisent le suivi des dépenses, les remboursements et les parcours de soins, et offrent des opportunités sur l’ensemble de la chaîne de valeur des mutuelles. Les mutuelles disposent d’une agilité opérationnelle pour monter rapidement des solutions innovantes, tout en garantissant un accompagnement humain et éthique. Notre fonds Mutuelles impact investit en capital-développement et dans des start-up à impact pour favoriser l’émergence de nouvelles solutions au bénéfice des adhérents.

Les données de santé ouvrent de nouvelles perspectives : quelle place la Mutualité entend-elle occuper ?

Nous défendons l’usage des données d’assurance de personnes pour gérer efficacement le risque, lutter contre la fraude et agir en prévention secondaire et tertiaire. Or, ces données d’assurance de personnes sont sensibles et nécessitent un traitement encadré dans un cadre souverain. C’est pourquoi nous dialoguons avec l’État et nos partenaires pour améliorer les pratiques et la législation dans le respect de l’éthique, mais un consensus est nécessaire : sans partage des données, notre mission est freinée au détriment des adhérents.

Quelles priorités stratégiques souhaitez-vous activer dès aujourd’hui pour préparer les mutations nécessaires du système ?

Notre ambition est un système de santé et de protection sociale protecteur, juste et solidaire. Pour le rendre soutenable, il faut un pilotage pluriannuel et une démarche collective. Nous porterons ces discussions à travers les États généraux de la santé et de la protection sociale, pour remettre la citoyenneté sociale et la responsabilité au cœur de son fonctionnement.

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