Confrontés à l’impact durable de la baisse des taux obligataires de ces dix dernières années sur leurs fonds en euros classiques, les assureurs misent sur des offres censées conjuguer sur un mode novateur rentabilité et sécurité. Mais les marges de manœuvre restent serrées.
Fidèles à des convictions déjà clairement énoncées il y a deux ans, Generali France a repris son bâton de pèlerin en septembre dernier pour réaffirmer à travers la voix de son PDG Jean-Laurent Granier, interrogé par le journal Les Échos, sa volonté de clore l’ère du fonds euros roi en lançant l’an prochain des offres exemptes de ces supports garantis traditionnels. « Ces produits miracles « tout-en-un » arrivent en bout de course. Nous le disions avant la crise sanitaire et à l’aune d’une pandémie qui a secoué le marché de l’épargne nous persistons : la transformation du modèle de l’assurance vie continue et continuera de passer par la diversification des supports d’investissement et par une nouvelle génération de produits au service d’une relance durable et de l’économie réelle », abonde Hugues Aubry, membre du comité exécutif de Generali France, en charge du marché de l’épargne et de la gestion de patrimoine.
Nouvelle équation
Cette compagnie, qui figure en septième position dans le top 10 des assureurs vie en France, est loin d’être isolée dans cette position. Cela fait plusieurs années déjà que des acteurs comme Spirica (Crédit agricole assurances), Suravenir, Apicil, AG2R La Mondiale ou encore Oradéa vie (Société générale assurances) planchent sur des solutions alternatives aux fonds en euros dont la martingale ne fonctionne plus. « Le triptyque originel de ces supports, qui combine garantie en capital, performance et liquidité à tout moment, n’est plus viable par simple équation financière », estime Renaud Célié, directeur général associé des métiers épargne et services financiers d’Apicil. « Le fond en euros n’en demeure pas moins un élément essentiel de l’adéquation des investissements par rapport au profil de risque des prospects et des assurés », tempère toutefois Olivier Sentis, directeur général de la MIF. « Chaque compagnie, chaque réseau, chaque fonds en euros a ses propres enjeux et caractéristiques et certains acteurs, comme Axa ou Swiss Life, pilotent efficacement depuis plusieurs années leur collecte et devraient s’affranchir des discours alarmistes et des mesures brutales », observe Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du site indépendant Good Value for Money (GVfM).
À l’heure où le marché de l’assurance vie post-Covid reprend des couleurs et où les fonds en euros, même en nette perte de vitesse, représentent toujours 77 % des 1 796,5 Md€ du marché comptabilisés fin 2020 par la Fédération française de l’assurance (FFA), l’équation du renouveau s’annonce en effet complexe et quelques repères s’imposent pour mieux en circonscrire le cadre.
Des rendements plombés
Majoritairement investis en obligations d’État et d’entreprises, les fonds en euros n’ont pas fini de payer leur tribut à la chute historique des taux longs qui a poussé à plusieurs reprises l’OAT dix ans (indice de référence du secteur) en territoire négatif. « Quand bien même la collecte nette en fonds en euros serait nulle, les investissements obligataires qui ont une durée moyenne de dix ans doivent être replacés dans des conditions nettement moins favorables », rappelle Benoît Courmont, membre du comité de direction groupe d’AG2R La Mondiale, en charge de l’épargne et de la clientèle patrimoniale. L’effet paquebot dont ont longtemps profité les fonds en euros joue en effet désormais contre eux. Certes, la donne pourrait de nouveau changer si la « repentification » de la courbe des taux se confirmait au gré de la modification de cap progressive des politiques monétaires des banques centrales. « La dynamique de repli des taux longs qui a conduit à des points bas historiques semble s’inverser, mais la question de l’amplitude de ce mouvement et du point où il va nous conduire reste posée », note Cyrille Chartier-Kastler. Une hausse trop brutale aurait pour impact immédiat de dévaloriser les fonds en euros et pourrait déclencher l’article 49 de la loi Sapin II du 10 décembre 2016 qui octroie au Haut conseil de stabilité financière (HCSF) la possibilité de bloquer temporairement les mouvements de retraits massifs en cas de crise systémique.
Un changement graduel
Pour l’heure, ce scénario catastrophe semble écarté et c’est plutôt celui d’une remontée des taux sous contrôle des autorités monétaires qui prédomine. A priori, cette perspective favorise les assureurs qui progressivement vont pouvoir réinjecter des actifs obligataires plus rémunérateurs dans leurs portefeuilles tout en lâchant davantage de lest sur la provision pour participation aux bénéfices (PPB) mise en réserve ces dernières années pour lisser la performance des fonds en euros dans la durée. Mais le processus prendra du temps. « Même si la diminution de l’intervention des banques centrales est devant nous, l’effet sur les taux sera graduel », anticipe Florent Combes, directeur du département risques investissements de la mutuelle Garance. « Il est possible que 2021 constitue le point bas du niveau des taux servis », avance Cyrille Chartier-Kastler. Il anticipe un rendement moyen de 0,9 % pour les fonds en euros classiques des contrats d’assurance vie individuels, un plancher qui paraît bien mince au regard de la reprise de l’inflation.
Très chère garantie du capital
Afin d’assurer quotidiennement la garantie en capital de leurs fonds en euros, les assureurs doivent respecter de strictes normes de solvabilité qui, chute des taux oblige, sont devenues fort coûteuses en fonds propres. Ceux-ci doivent couvrir a minima 100 % du SCR (Solvency Capital Requirement), le montant de capital qu’exigent les engagements des compagnies. Or, la baisse des taux a un effet ciseau sur ce ratio : elle joue à la fois sur le SCR qui augmente et les fonds propres économiques qui baissent. Depuis fin 2019, les compagnies ont toutefois obtenu la possibilité d’intégrer sur le plan comptable une partie de leur PPB dans leurs calculs prudentiels, ce qui conforte leurs marges compte tenu de la bonne tenue de ces provisions. Fin 2020, les fonds propres des entreprises vie et mixte atteignaient ainsi 202,3 Md€ contre 155,3 Md€ en 2018 et leur marge de solvabilité était de 224 %, contre 211 % en 2018 et 188 % en 2016.
Essoufflement des eurodynamiques
Conçus il y a plusieurs années déjà par un cercle relativement restreint d’assureurs pour certains réseaux patrimoniaux (Primonial, UAF Life patrimoine, Nortia, etc.) et courtiers en ligne, ces fonds au capital garanti à tout moment ont pour dénominateur commun d’injecter d’autres actifs que l’obligataire dans leur portefeuille pour le rentabiliser. Certains comme les « europierres » privilégient l’immobilier (bureaux, commerces, crèches, Ehpad, etc.), tandis que d’autres, les « euroactifs », misent sur les marchés actions pour alimenter leur poche de diversification (on parle de budget de risque). Généralement soumises à de strictes conditions de souscription et réservées aux contrats fortement diversifiés en UC, ces offres tendent néanmoins à atteindre leur limite. « Ces fonds n’ayant pas vocation à avoir des encours significatifs, nous avons décidé de suspendre les versements sur plusieurs d’entre eux afin de les préserver », relève Hugues Aubry. « Les fonds europierres, déjà fort coûteux en fonds propres, pâtissent des conditions plus tendues de l’immobilier tertiaire et s’annoncent trop pénalisants pour les assureurs au regard de la nouvelle norme comptable IFRS 17 qui entrera en vigueur en janvier 2023 », précise Bernard Le Bras, président du directoire de Suravenir, pourtant longtemps en pointe sur ce créneau. « On peut en effet considérer que Solvabilité II a tué les supports euros immobiliers qui, dans leur quasi totalité, sont désormais fermés à la souscription », constate Cyrille Chartier Kastler.
Des alternatives ciblées
Certains fonds euroactifs comme Sécurité Target Euro (Oradéa vie) ou €uro actif sélection (La Mondiale partenaire) dont le moteur de performance repose sur des prises d’option annuelles sur les marchés, restent toutefois dans la course. « Sur une longue période, l’épargnant peut espérer trouver un rendement annuel moyen supérieur de + 0,20 % à celui des supports en euros classiques », remarque Cyrille Chartier-Kastler. Dans la même veine, quelques offres « thématiques » se concentrent sur un champ d’investissement précis, comme l’infrastructure. « Notre fonds Sécurité Infra Euro soutient des projets de développement concrets dans les secteurs d’activités dynamiques, tels que la construction d’autoroutes, d’écoles, la distribution des eaux et les transports d’énergies. Il ouvre de nouvelles opportunités d’investissement et son rendement a été de 2,10 % pour l’année 2020 », se félicite-t-on chez Oradéa vie. Quelle que soit leur déclinaison, les euroactifs ont l’avantage « de proposer une alternative garantie avec un rendement potentiellement boosté, mais c’est moyennant une volatilité plus importante que celle du fonds en euros dont le rendement, même s’il baisse, demeure régulier », conclut Benoît Courmont.
Des primes de fidélité
C’est le levier qu’actionne Allianz France avec « Allianz vie fidélité », une offre déclinée fin septembre en version associative (contrat Gaipare Fidelissimo). « Dans un environnement de taux bas dominé par la volatilité et la complexité des marchés financiers, ce nouveau moteur de performance permet à la fois de dynamiser l’épargne et de récompenser la fidélité tout en protégeant les clients des aléas de la vie », résume Marion Dewagenaere, directrice d’Allianz patrimoine et leader de l’écosystème Mon avenir au sein d’Allianz France. L’idée ici est de flécher le rendement du support en euros vers une UC dédiée bloquée cinq ans. Passé cette échéance, les adhérents récupèrent les capitaux bonifiés a minima de 10 % « et se partagent les parts abandonnées du fait d’éventuels rachats effectués par les adhérents ayant souscrit la même année », détaille Marion Dewagenaere. « Ce système astucieux de redistribution de la participation aux bénéfices s’apparente à un mécanisme tontinier. Il a l’avantage de garantir le capital mais l’épargnant doit être sûr et certain de pouvoir bloquer son investissement cinq ans durant sous peine de ne percevoir aucune participation aux bénéfices en cas de sortie prématurée, ce qui finalement le conduira à perdre de l’argent en raison des frais prélevés », analyse Cyrille Chartier-Kastler. Privilégiant également le ressort de la fidélité, La France mutualiste propose quant à elle une variante avec son offre Passerelle « Gestion quiétude 2031 ». Placé à hauteur de 65 % en fonds en euros et de 35 % dans un support actions, ce contrat à prime unique promet, moyennant des frais annuels de 0,12 %, une garantie de 100 % du capital à terme (le 2 janvier 2031), voire avant en cas de décès.
Une protection réduite
De plus en plus de contrats sont assortis d’une garantie en capital non plus nette mais brute de frais de gestion, donc amputée de ces coûts. Certaines compagnies comme Apicil, Spirica, AG2R La Mondiale (et sans doute bientôt Suravenir) vont même plus loin en proposant d’emblée une garantie à 98 % par exemple. « L’assureur retrouve ainsi de la marge de manœuvre pour maintenir le rendement et peut viser une rentabilité supérieure de 0,30 % à 0,40 % à celle d’un fonds euros classique », explique Daniel Collignon, directeur général de Spirica. Cette réduction de voilure s’avère être, pour nombre d’observateurs, la meilleure option pour pérenniser les fonds en euros dans un contexte de taux faibles. « Le fonctionnement des fonds en euros à garantie partielle est assez proche de celui des fonds en euros dynamiques, à la différence près que le gérant financier a encore plus de latitude en termes de diversification de ses actifs », note Cyrille Chartier-Kastler. « Nous positionnons ce type d’offres en débordement du fonds en euros afin d’augmenter la capacité des contrats pour lesquels nous pilotons la collecte », détaille Benoît Courmont. Fabrice Bagne, directeur général adjoint de BNP Paribas, indique quant à lui le lancement pas sa compagnie d'un montage associant « un fonds en euros avec du non côté en contrepartie d’une garantie partielle en capital et d’une détention minimum d’UC ». En tout état de cause, afin d’informer l’assuré des conséquences d’une réduction de garantie dont il ne prend pas forcément la mesure, l’ACPR rappelle que cette disposition « doit figurer explicitement dans l’encadré synthétique d’informations obligatoires sur le contrat et [que] les valeurs de rachat communiquées à l’assuré doivent être nettes de frais ».
Zoom sur
L’eurocroissance, toujours dans les starting-blocks
En partie refondu par la loi Pacte, l’eurocroissance constitue selon Youmna Hamze, directrice adjointe du marché épargne et prévoyance d’Axa France, « la véritable alternative au support en euros ». Affichant d’alléchantes performances en 2020 (2,42 % pour le fonds de l’Afer, 2,60 % pour celui d’Axa, 3,7 % pour celui de Generali…), ces fonds « permettent de desserrer les contraintes de garantie en capital à tout instant au bénéfice d’une gestion d’actifs plus dynamique et flexible. Ils méritent leur place dans la stratégie patrimoniale des assurés », explique Hugues Aubry, membre du comité exécutif de Generali France, dont l’offre G Croissance a été ajustée au nouveau cadre législatif de la loi Pacte : rendement plus lisible, performances susceptibles d’être bonifiées en fonction de la durée d’engagement et du niveau de garantie choisi. « Aujourd’hui, ces fonds sont à considérer comme une UC à valeur garantie plutôt que comme un fonds en euros alternatif », estime pour sa part Daniel Collignon, directeur général de Spirica. Garantissant selon les cas de 80 % à 100 % du capital à échéance (huit ans minimum), l’eurocroissance permet en effet à l’assureur de dynamiser la gestion de ses actifs tout en protégeant à terme les avoirs qui lui sont confiés. Mais ce séduisant principe masque une réalité plus morose d’offres parfois opaques et chargées en frais dont les performances ne peuvent être comparées à celles définitivement captées chaque année des fonds en euros garantis à tout moment. Pesant fin 2020 3,3 Md€ d’encours, soit l’équivalent de 0,23 % des sommes mobilisées par les supports en euros classiques, l’eurocroissance peine donc toujours à trouver son public. « Ces fonds s’inscrivent dans une perspective de long terme et c’est plutôt dans l’univers des plans d’épargne retraite individuels ou catégoriels qu’ils devraient se développer », avance Cyrille Chartier-Kastler. Mais pour Bernard Le Bras, président du directoire de Suravenir, « les conditions de taux restent insuffisantes pour que ces formules démontrent leur valeur ajoutée ».
Trois questions à Gildas Robert, partner chez Optimind, société de conseil en gestion des risques
Pensez-vous que la remontée des taux soit une bonne chose pour les fonds en euros classiques ?
Même si le contexte économico-financier toujours très incertain du moment pousse à la plus grande prudence en matière de prospective, la reprise économique associée à un système de production sous tension qui prévaut depuis plusieurs mois se révèle favorable au retour de l’inflation et en toute logique à la remontée des taux directeurs des banques centrales. Toute la question est de savoir à quel rythme se fera cet ajustement. Plusieurs facteurs plaident en faveur d’une « repentification » douce et progressive des taux. Dans ce scénario, la remontée des rendements des fonds en euros ne sera toutefois pas immédiate du fait de l’effet d’inertie qu’induisent les importants volumes d’actifs placés à des taux obligataires très bas contenus dans les portefeuilles des compagnies. On peut donc s’attendre à une rentabilité durablement faible de ces supports.
Le processus de « revoyure » de Solavibilité II qui est en cours peut-il se solder par un allègement du coût de la garantie des fonds en euros ?
Tout d’abord, rappelons que le processus est loin d’être abouti et nous tablons sur une mise en application des modifications qui seront actées par les instances européennes à l’horizon 2025 ! Pour l’heure, nous nous dirigeons, dans le meilleur des cas, vers un jeu à somme nulle et une révision qui se ferait finalement à un coût en capital constant du fait de la conjonction de mesures aux effets opposés. D’un côté, la Commission européenne propose des évolutions favorables au ratio de couverture des assureurs : réduction de la valorisation des engagements et allègement du coût d’une partie des actifs risqués investis à long terme, avec une exigence de fonds propres qui passerait à 22 % pour le « choc » actions contre 39 % actuellement. Mais par ailleurs, la directive Solvabilité II va être revue pour mieux prendre en compte l’environnement de taux bas et négatifs, ce qui va fortement impacter les ratios de couverture des assureurs à la baisse.
L’eurocroissance vous paraît-il un relais d’avenir pour le marché ?
Cette solution est très pertinente sur le plan patrimonial, mais le contexte financier continue de nuire à l’efficacité de sa mise en œuvre et nous estimons qu’il faudrait que les taux de l’OAT dix ans remontent vers 2 % pour que ces supports creusent vraiment leur différence avec les fonds euros classiques. De manière générale, nous sommes convaincus que des solutions cherchant à maintenir un bon équilibre rendement sécurité en jouant sur le levier d’un capital garanti partiel à un certain horizon constituent les meilleures options pour l’avenir du modèle de l’épargne-vie.