Paulin Palisse, responsable souscription risques maritime et transport chez Verspieren

« Faire la preuve de la maîtrise du risque »

Publié le 28 septembre 2023 à 9h00

Louis Guarino    Temps de lecture 6 minutes

Les incendies de véhicules électriques sur les cargos (« car carriers ») inquiètent transporteurs maritimes, assureurs et courtiers. En cause : les batteries électriques lithium-ion susceptibles de s’auto-combustionner. L’incendie sur le « Freemantle Highway » au large des côtes des Pays-Bas a relancé les impératifs de prévention et de réglementation. Paulin Palisse, responsable souscription risques maritime et transport chez le courtier Verspieren, décrypte les tenants et aboutissants d’un sujet complexe.

En quoi le risque incendie de véhicules électriques sur les « car carriers » constitue-t-il une problématique pour l’assurance ?

L’épisode du Felicity Ace en février 2022 a mis en lumière les risques liés à cette typologie de marchandises pour les assureurs maritime et transport. Avant le sinistre, certains opérateurs étaient victimes des téléphones/tablettes qui pouvaient s’auto-combustionner dans les avions. Résultat, les compagnies aériennes ont interdit certaines de ces marchandises en soute. Il y a un avant et un après Felicity Ace puisqu’il s’agit d’un car carrier entier qui a brûlé. Il a fallu plusieurs jours pour venir à bout de l’incendie au large des Açores. Lorsqu’il a été remorqué, le cargo a coulé avec 4000 véhicules de la marque Volkswagen (Bentley, Bugatti). Est-ce que les batteries lithium-ion sont la cause de l’incendie ? La suspicion est très forte et c’est très certainement la cause du sinistre car un nombre non négligeable de véhicules d’occasion étaient à bord. Les batteries lithium-ion sont plus à risque lorsqu’elles sont d’occasion. À la suite du naufrage du Felicity Ace, certains assureurs nous ont signifié leur désengagement en matière d’assurance transport pour les véhicules électriques mais également pour les engins de déplacements personnels motorisés (EDPM) : trottinettes, scooters électriques et gyropodes.

A-t-on une idée de l’ampleur des préjudices économiques et des dommages consécutifs ?

Les chiffres du marché font état de 400 à 500 M€ de pertes économiques pour les véhicules électriques du Felicity Ace. Il faut y ajouter l’énorme coût écologique. Un car carrier entier d’une centaine de mètres de long est rempli de fuel et les batteries lithium-ion ne sont pas des produits écologiques. Pour le Freemantle Highway qui a pris feu au large des Pays-Bas dans la nuit du 25 au 26 juillet, il a pu être remorqué jusqu’au port néerlandais d’Eemshaven le 3 août. Sept marins ont sauté par-dessus bord lorsque l’incendie s’est déclaré, et l’un d’eux est décédé. Ce cargo de 18 500 tonnes, battant pavillon panaméen, était parti du port allemand de Bremerhaven pour rejoindre Port-Saïd en Égypte avant de reprendre la route pour Singapour, sa destination finale. Il transportait 3 783 voitures neuves, dont 498 véhicules électriques – BMW, Mercedes, Volkswagen, Porsche, Audi et Lamborghini (1). Les autorités craignaient une catastrophe environnementale, le cargo ayant pris feu à proximité d’une zone écologiquement sensible [mer des Wadden et îles des Wadden, NDLR]. Dans la mesure où il est ancré dans un port, on pourra l’expertiser pour avoir le fin mot du sinistre et démontrer si une batterie électrique lithium-ion est à l’origine de l’incendie.

Quel est le décryptage établi par les experts en risques industriels ?

Les batteries lithium-ion sont la référence actuelle de l’industrie automobile. Rechargée, la batterie stocke l’énergie puis, en se déchargeant, transforme de l’énergie chimique (issue des réactions des métaux qui la composent) en énergie électrique. Elles peuvent devenir dangereuses en vieillissant et en s’échauffant (2). Une batterie neuve qui présente un défaut de fabrication est aussi un risque. Une batterie peut être abîmée suite à un choc en cours de transport. Si les électrodes se touchent, cela crée une surchauffe qui peut déclencher un feu. Les chocs ne sont pas forcément visibles de l’extérieur. La durée de vie des batteries lithium-ion est assez courte (deux ou trois ans en moyenne).

Comment accompagnez-vous vos clients au regard de ces risques ?

Nous informons nos clients que les batteries électriques lithium-ion sont une typologie de marchandises pour lesquelles les assureurs sont prudents, voire se désengagent. Pour l’assureur, c’est plus une question de prévention que de prix. Nous accompagnons nos clients transporteurs et logisticiens pour qu’ils sachent d’où viennent les marchandises. Est-ce qu’il s’agit de batteries neuves ou de batteries d’occasion ? Dans quelles conditions voyagent-elles ? En tendance, les batteries neuves chargées à 50 % de leur capacité ont moins de risques de s’auto-combustionner même si les variations de température peuvent les endommager. Il faut donc analyser les routes maritimes et aériennes empruntées par les opérateurs de transport. Plus il y a de ruptures de charge, plus la probabilité d’avoir des chocs augmente.

Qu’en est-il du risque incendie lors de l’entreposage des batteries ?

Le stockage constitue une autre problématique car le besoin d’assurance est différent. Le risque est différent en raison de l’accumulation de plusieurs milliers de batteries dans un entrepôt. On peut mentionner l’incendie qui a ravagé un entrepôt appartenant à Bolloré Logistics à Rouen en janvier dernier. Chez Verspieren, nous accompagnons nos clients en amont, de façon à avoir le plus de données possibles. Pour un assureur, l’enjeu n’est pas le même s’il s’agit du transport et de l’entreposage de 100 batteries ou de 1000 batteries. L’essentiel est d’avoir un maximum de données pour affiner le risque et trouver les solutions sur le marché. Nous connaissons les assureurs prêts à accompagner le panel varié de nos clients (industriels fabricants, loueurs de véhicules, revendeurs, grossistes). Dans ce contexte, notre mission consiste à expliquer la situation du marché de l’assurance à nos clients et prospects. Quel regard portent les assureurs sur le risque incendie ? Pourquoi ont-ils des exigences spécifiques ? Pour la partie transport comme pour les polices stockage et transit, il n’existe pas de position écrite des assureurs à ce jour. Notre rôle pédagogique vise aussi à anticiper les délais de réponse des assureurs. Lesquels vont de facto poser des questions sur les mesures de prévention en vigueur. Il faut montrer à l’assureur que le risque est maîtrisé. Plus on anticipe, plus on sera à même de répondre aux exigences des assureurs. Pour l’entreposage, il s’agira de fournir à l’assureur le lieu précis du stockage, la hauteur de stockage, le nombre de batteries stockées. Certains ajoutent des spécifications plus précises : le client devra se tourner vers son logisticien pour lui demander de modifier son plan de stockage par exemple. En cas de sinistre, le logisticien va-t-il faire un recours ou non ? Toutes ces démarches et ces exigences impliquent forcément du temps.

(1) Une perte totale susceptible de dépasser 300 M€ selon l’agence de presse néerlandaise (ANP). Une voiture électrique pourrait être à l’origine de l’incendie. Selon les médias locaux, le cargo pourrait rester sur place jusqu’au 14 octobre 2023.

(2) Le spécialiste en risques industriels, Paul Poulain, demande des « modifications réglementaires » en France pour régir les conditions de stockage et de transport des batteries lithium-ion.

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