Assurance-crédit

D’une crise, l’autre

Publié le 23 mars 2022 à 11h30

Nessim Ben Gharbia    Temps de lecture 6 minutes

Entre les risques de défauts de paiement de clients directement impactés par la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et la nécessaire conformité aux sanctions évolutives, les assureurs crédit se retrouvent de nouveau sous pression.

Les temps sont durs pour les assureurs-crédit ! À peine sortis de la crise Covid-19, qui a laissé des traces sur les comptes (-5,4 % de chiffre d’affaires pour Euler Hermes, -2 % pour la Coface, et -1,6 % pour Atradius en 2020), les assureurs se retrouvent de nouveau en première ligne, sommés d’accompagner (et d’indemniser le cas échéant) leurs clients, victimes indirectes de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. En effet, sur la partie export, bon nombre d’entreprises françaises s’inquiètent de potentiels défauts de paiement de leurs partenaires commerciaux présents sur les sols russe ou ukrainien. Sur le risque domestique, qui concerne les filiales qui font du business localement avec des acheteurs russes ou ukrainiens, la situation est également tendue. L’interdiction de tout traité de réassurance pour les filiales étrangères établies en Russie avec une entité provenant d’un État « hostile », le manque de liquidité ou encore l’exclusion du réseau Swift augmentent le risque d’impayé, ce que confirme Christophe Cherry, directeur régional Atradius (France-Belgique-Luxembourg) : « Le risque ukrainien est avéré car l’économie ne tourne plus depuis le 24 février. Des grands groupes français dans les cosmétiques ou dans l’agroalimentaire sont établis ou ont des relations commerciales avec l’Ukraine et nous allons recevoir des impayés, d’autant que la plupart de nos garanties n’excluent pas la guerre. »

Risque pays

Et les récentes dégradations des notes (Euler Hermes et Coface ont tour à tour dégradé la note de la Russie) ne sont pas de nature à améliorer les choses. Face à cet embrasement, Euler Hermes se veut prudent:  « Nous suivons la situation avec attention depuis 2014. De fait, nous avons fait preuve de prudence au niveau des garanties accordées sur la Russie et l’Ukraine, qui ne représentent aujourd’hui qu’une partie résiduelle de notre exposition globale », affirme un porte-parole d’Euler Hermes France. Une prudence largement partagée par d’autres porteurs de risque sur le marché russe commente Xavier De Monsaingeon, directeur de Platus (filiale de Verspieren spécialisée dans les risques politiques internationaux) : « Même avant cette dernière guerre, près de 50 % du Lloyd’s était réticent à couvrir les risques crédit et/ou politique en Russie. »

Ceux qui ont décidé de rester s’exposent aujourd’hui à un risque d’une forte intensité. À titre d’exemple et suite à la décision des autorités russes de confisquer près de 500 appareils de ligne (Boieng et Airbus), actuellement en leasing auprès de sociétés étrangères, l’agence de notation Fitch Ratings évalue le montant des sinistres auxquels sont exposés les assureurs partie prenante à cette expropriation (clause généralement dans les couvertures accordées en risques politiques) à 10 MD$. Une paille !

Euler Hermes a par ailleurs décidé de ne plus accorder de nouvelles garanties ou de garanties additionnelles sur les marchés russe et ukrainien depuis début mars. Une position qui diffère de celle d'Atradius, qui continue, sous certaines conditions strictes, de garantir des livraisons vers ces zones de conflit. « Pour l’instant, l’agroalimentaire est libre de toute sanction, nous accompagnons des exportateurs de cognac ou des produits pharmaceutiques. Depuis le 24 février, ces clients doivent toutefois obtenir notre accord préalable avant de procéder à de nouvelles livraisons », affirme Christophe Cherry.

Reste donc l’épineuse question des stocks de créances, contractualisées avant le début du conflit, mais pas encore payées. En principe, ces opérations ouvrent la voie à une indemnisation, sauf exceptions, comme le souligne un porte-parole d’Euler Hermes France « Chacun de nos contrats a des conditions qui lui sont propres, et le périmètre d’application des sanctions est très variable. Nous adoptons donc une logique de cas par cas, et évaluons chaque dossier de manière individualisée en prenant en considération les conditions du contrat et le contexte de la transaction, tout en favorisant les échanges avec nos assurés », En effet, certaines sanctions européennes sont retroactives et incluent les transactions réalisées avant la date de la sanction. Un imbroglio juridique s’annonce pour déterminer les transactions indemnisables des autres. Philippe Puigventos, membre du comité exécutif, en charge des spécialités assurance-crédit, cautions et financements chez Diot Siaci, détaille la stratégie du courtier face à cette situation « nous avons mis en place une équipe constituée par six personnes pour passer au peigne fin les différentes clauses d’exclusions dans les contrats ».

Éviter les sanctions

« Les assureurs-crédit ont les moyens financiers de faire face aux conséquences économiques de cette guerre, mais nous sommes tenus par les sanctions. Les limites à l’indemnisation seront donc fixées par les sanctions », affirme Christophe Cherry. Le directeur général régional d’Atradius évoque un niveau de complexité inédit concernant la détermination des entités concernées par les sanctions : « Nous recevons depuis le 28 février une centaine de nouvelles sanctions par jour, qui concernent soit des sociétés (détenues par des oligarques russes), soit des secteurs d’activité ou des produits. À ces contraintes européennes s’ajoutent les sanctions américaines, dont la rédaction est parfois peu claire. Sur certains secteurs d’activité, l’organisme anti-fraude aux USA nous demande de solliciter son accord avant chaque indemnisation. »

Une situation pour le moins embarrassante pour les entreprises actives dans ces pays, alerte Philippe Puigventos : « Les pouvoirs publics doivent protéger les entreprises, et clarifier la situation aux assureurs crédit par rapport à la rétroactivité des sanctions. » Et les inquiétudes du marché semblent avoir été partiellement entendues puisque les pouvoirs publics ont décidé de prolonger le dispositif Cap France export, qui devait arriver à échéance le 31 mars 2022. Mis en place durant la crise sanitaire, il permet aux entreprises exportatrices qui se verraient notifier des réductions ou des refus de garanties par leur assureur crédit, de continuer à être couvertes grâce à deux produits de réassurance garantis par l’État : la garantie complémentaire Cap France export, en cas de réduction de garanties, et qui ne peut excéder 50 % de la garantie dite primaire, émise par l’assureur crédit ; ainsi que la garantie intégrale Cap + France export, qui intervient en cas de désengagement total de l’assureur crédit.

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