La crise sanitaire qui a frappé le monde en 2020 a été l’occasion de davantage de retenue pour les salaires des dirigeants d’entreprises. Et dans ce contexte, les patrons des grands groupes d’assurance et de réassurance n’ont pas échappé à la tendance baissière des rémunérations, observée au sein des sociétés françaises et européennes. Un mouvement dont il est cependant difficile de savoir s’il découle du volontariat ou de la mécanique d’indexation sur les résultats des compagnies d’assurance.
journaliste
On prend les mêmes et on recommence ! Comme depuis plusieurs années maintenant, ce sont toujours les patrons du grand courtage américain qui trustent le podium des dirigeants les mieux payés de l’assurance mondiale (téléchargez au format PDF notre classement de la rémunération des dirigeants de l'assurance). Mais avec, cette année, un changement de numéro 1 puisque Aon a repris le leadership à Marsh en 2020. Totalisant près de 17 M€ de revenus annuels, Gregory C. Case passe donc devant les 16,5 M€ de Daniel S. Glaser grâce à la valorisation théorique de ses stock-options et au versement de 1,8 M€ en actions de performance. Pourtant, Aon avait soufflé le froid sur les rémunérations de ses employés l’an passé. Devant les incertitudes liées à la Covid-19, le courtier américain avait décidé une réduction des salaires d’environ 70 % de ses effectifs, prévoyant même une coupe sèche de 50 % des salaires des membres du comité de direction entre les mois de mai et novembre 2020. Une mesure finalement abandonnée par le groupe qui, considérant l’impact financier limité de la pandémie, a finalement remboursé les montants initialement amputés à ses salariés.
La troisième marche du podium reste occupée par John Haley, aux manettes de Willis Towers Watson jusque cet été, avec des émoluments qui ont tutoyé les 14 M$ en 2020. L’abandon, du fait des réticences de l’administration américaine, du projet de rapprochement dans lequel s’étaient engagés Aon et Willis Towers Watson, dira l’an prochain comment cela impactera le podium bien installé des patrons du grand courtage américain.
Modération
Le contexte sanitaire de l’année 2020 a, de manière assez claire, influé à la baisse les rémunérations des patrons de l’assurance européenne. Un mouvement certes volontaire, mais aussi largement incité par les autorités de régulation. En France, dans le sillage de l’EIOPA, l’ACPR avait ainsi appelé les entreprises qu’elle contrôle à faire preuve de « modération », notamment en ce qui concernait la part variable du salaire des dirigeants. Un message qui a été reçu par le marché. En mai 2020, Denis Kessler a montré l’exemple en annonçant une coupe de 30 % de la part variable de son salaire. Une promesse actée par le rapport annuel de l’entreprise qui indique que le gros million d’euros perçu en 2019 par le patron de Scor a effectivement laissé la place à un paiement d’un peu moins de 750 000 € l’an passé. Comme c’est le cas depuis plusieurs années, l’emblématique patron du réassureur français a encore vu les questions autour de sa rémunération susciter le débat à l’occasion de l’assemblée générale du groupe. Notamment décriée par le fonds activiste Ciam, elle a été approuvée sur le fil à un peu plus de 55 % des voix. Mais les choses changeront l’an prochain pour Denis Kessler. Désormais président non exécutif du conseil d’administration, il percevra un salaire fixe de 600 000 € qui ne sera plus assorti d’une part variable ou de bonus à long terme. Son successeur à la direction générale, Laurent Rousseau, recevra pour sa part un salaire fixe de 800 000 € avec une variable conditionnée à des objectifs de performance, et plafonné à 800 000 €. Il se voit également attribuer 70 000 actions de performance et 60 000 stock-options.
Chez Axa, le président Denis Duverne avait, dans le contexte de la crise sanitaire et par solidarité avec les équipes exécutives du groupe, annoncé l’an passé qu’il renonçait à 25 % de son salaire. Cette rémunération non attribuée, ainsi que les charges correspondantes, ont été reversées par Axa à des œuvres caritatives. Quant à la rémunération du directeur général Thomas Buberl, elle s’inscrit également en baisse par rapport à 2019. Logique : avec un salaire variable en grande partie indexé sur les résultats de la compagnie, le dirigeant « paye » une facture Covid qui est venue impacter les bénéfices d’Axa à hauteur de 1,5 Md€ l’an passé. À la Macif, le duo de tête composé d’Adrien Couret et de Jean-Philippe Dogneton a purement et simplement renoncé à toute forme de salaire variable en 2020. En 2019, les deux dirigeants avaient pris leurs fonctions en cours d’année. Ils avaient respectivement touché 36 371 et 46 599 € au titre de cette rémunération.
La tendance a également été à la modération en Italie où Generali a tenu les engagements pris l’an passé dans le feu de la crise sanitaire. En 2020, le PDG Philippe Donnet a ainsi enregistré une baisse de plus de 30 % des sommes additionnées de son salaire fixe et variable. En Allemagne, le patron d’Allianz Oliver Bäte a consenti à une baisse d’environ 25 % de son salaire variable tandis que le président du réassureur Munich Re, Joachim Wenning, a mis les compteurs à zéro dans cette colonne.
Les coupes franches dans les salaires des dirigeants auront presque été la norme dans le monde des grandes entreprises. En France, elles sont nombreuses à avoir acté des décisions en ce sens en 2019 et 2020. Une manière de répondre à l’incertitude du début de la pandémie lorsque les marchés financiers dévissaient, mais aussi d’afficher un soutien solidaire à l’heure où les pouvoirs publics ouvraient les vannes du « quoi qu’il en coûte ». Parmi les annonces les plus marquantes, celle du PDG de l’Oréal, Jean-Paul Agon, qui a réduit son salaire variable de 30 % en 2020 où celle de Bernard Arnault, PDG de LVMH, qui a renoncé à toute rémunération variable l’an passé. Des entreprises comme Carrefour, Renault mais également le secteur bancaire à l’image de Crédit agricole, Société générale ou Crédit mutuel, ont également embrassé la tendance en faisant preuve de retenue sur les salaires de leurs dirigeants.
Un mouvement clairement observé par le millésime 2021 du baromètre annuel « Rémunération globale et avantages sociaux du CAC 40 » proposé par Galea & associés. Selon les données étudiées par le cabinet d’actuariat, trois groupes du CAC 40 sur quatre ont baissé la rémunération de leurs dirigeants l’an passé. Ce sont ainsi plus de 60 mandataires sociaux des principales entreprises françaises qui ont vu leurs émoluments se réduire du fait de la crise sanitaire. Des baisses qui se matérialisent à 57 % sous la forme d’une baisse du fixe et d’une baisse du couple fixe/variable, à 29 % par une baisse du salaire variable uniquement, à 7 % par la renonciation à augmentation et à 7 % par la diminution du quantum d’actions de la rémunération long terme. « Certains rapports indiquent un report de paiement de la rémunération, et le reversement de ces économies à des fonds de solidarité luttant contre la Covid-19 ou à d’autres dispositifs en lien avec la crise », indique le baromètre de Galea & associés. En 2020, les rémunérations fixes des patrons du CAC 40 se sont étalées de 100 000 € à 2,8 M€. Plus de la moitié d’entre eux ont perçu un salaire fixe compris entre 500 000 € et 1 M€ et 22 % n’ont été gratifiés d’aucune rémunération variable.
Le variable prend cher !
Selon les chiffres recueillis par Galea & associés, le salaire fixe moyen des mandataires sociaux présents en 2019 et 2020 s’est ainsi établi à 962 000 € l’an passé, contre 996 000 € en 2019. Sur l’ensemble du CAC 40, la masse des salaires fixes des dirigeants a représenté 68 M€ en 2020 contre 71 M€ en 2019. Et la baisse est encore plus sensible sur la partie variable du salaire. L’an passé, la rémunération variable annuelle était de 872 000 €, contre 1,02 M€ en 2019. Sur l’ensemble du CAC 40, la somme des salaires variables des dirigeants s’est ainsi élevée à 62 M€ en 2020, contre 72 M€ en 2019. Une baisse de près de 14 % sur un an. Dans le secteur de l’assurance, où les résultats ont été très impactés par la crise sanitaire, la baisse des rémunérations variables des dirigeants des grands groupes européens s’explique également et mécaniquement par la baisse des résultats. Compte tenu de la bonne reprise d’activité en 2021, ils devraient être orientés à la hausse pour l’exercice en cours.
La RSE monte en puissance
« Les critères de rémunération variable ont sensiblement bougé. À côté des critères financiers et quantifiables, des critères qualitatifs prennent une part de plus en plus significative pour évaluer et rétribuer la performance des dirigeants. Il s’agit d’objectifs de RSE – en particulier la santé et la sécurité des collaborateurs – de ressources humaines (politique de diversité, éthique, gestion et développement des talents…), de satisfaction clients ou encore d’innovation. Souvent, un critère de gestion de la crise et de l’après-crise a été ajouté dans les critères 2020 », observe Maud Vannier-Moreau, associée de Galea & associés, qui a conduit l’étude. « Les dirigeants sont financièrement intéressés à ce que leur groupe soit actif, notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique avec des critères clairement listés autour de cela », poursuit-elle en confirmant une tendance qui monte en puissance depuis quelques années.
Il est également à noter que le niveau des ratios d’équité, qui mesurent le rapport entre le niveau de rémunération de chaque dirigeant et les rémunérations moyenne et médiane des salariés à temps plein, a logiquement diminué du fait du mouvement baissier des salaires des patrons du CAC 40. Ainsi, lorsqu’un dirigeant sur dix percevait une rémunération supérieure à 60 fois la rémunération moyenne de ses salariés, ils ne sont plus que 1 sur 17 dans ce cas. En revanche, comme en 2019, ils sont plus d’un tiers à percevoir une rémunération supérieure à 20 fois la rémunération moyenne de leurs salariés. « Il faut peut-être également tenir compte du phénomène lié au soutien des bas salaires avec, depuis deux ans, la mise en place de primes exonérées de charge », ajoute Maud Vannier-Moreau. Un mécanisme de « dopage » qui pourrait gonfler à nouveau ces ratios lorsque ces mesures s’arrêteront.