Après avoir infligé une première amende au CIC Est début octobre pour avoir traité des demandes de changement d’assurance emprunteur en dehors des délais légaux, la DGCCRF a enfoncé le clou quinze jours plus tard en sanctionnant trois nouvelles banques. Une action applaudie par les assureurs alternatifs.
196 000 €. C’est le montant dont devra s’acquitter le CIC Est (banque régionale du groupe Crédit mutuel) suite à sa condamnation par la DGCCRF. Selon la direction administrative, une enquête réalisée entre août 2023 et mai 2024 a révélé « des dépassements importants du délai légal de jours ouvrés […] contraignant en conséquence parfois l’emprunteur à payer une double cotisation d’assurance et à devoir en réclamer par la suite le remboursement ». Lanceuse d’alerte sur le sujet de longue date, l’Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs (Apcade) estime que « cette sanction confirme que des comportements persistent de la part des banques, au détriment du pouvoir d’achat des Français et de la bonne application de la loi Lemoine. En 2024, l’Observatoire de l’assurance emprunteur de l’Apcade révélait que 55 % des emprunteurs immobiliers ayant opté pour un changement d’assurance ou ayant eu recours à la délégation d’assurance ont fait face à plus de deux à trois allers-retours en raison de problèmes administratifs ou liés à leur banque. Dans près de la moitié des cas, le délai d’attente pour changer d’assurance ou obtenir un accord de délégation d’assurance dépasse le délai légal de dix jours. Dans un cas sur trois, ce délai excède vingt jours et peut aller jusqu’à deux mois ».
Le 15 octobre, la DGCCRF a annoncé que trois autres établissements bancaires ont été sanctionnés pour non-respect du délai légal de traitement des demandes de substitution de contrat d’assurance emprunteur. La Bred Banque populaire écope d’une amende administrative de 298 000€, la Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France de 80 000€ et la caisse régionale du Crédit agricole de Paris Île-de-France de 323 518€.
Une avancée
L’annonce a été appréciée différemment selon les acteurs de la Place. Pour David Echevin, DG du cabinet Actélior, le fait que le délai soit difficilement atteignable n'a pas beaucoup de sens (cf. 4 questions à ci-dessous). En revanche, pour Éric Maumy, membre fondateur de l’Apcade et président d’April, « cette sanction de la DGCCRF est une avancée : elle montre que le droit des emprunteurs à choisir librement leur assurance ne peut être entravé par certaines banques au sein desquelles certaines pratiques dilatoires subsistent. Il n’est pas acceptable que des établissements bancaires continuent de détourner les règles à leur avantage. Cette sanction confirme les constats de terrain de l’Apcade : des délais excessifs, des blocages administratifs… Il est temps de lever les derniers obstacles qui empêchent les Français de faire jouer la concurrence sur leur assurance emprunteur ».
Chez Sécurimut, la nouvelle est également accueillie avec enthousiasme. « Chez Sécurimut, nous nous réjouissons que la DGCCRF s’intéresse au respect de la résiliation infra-annuelle et qu’elle sanctionne les abus lorsqu’ils existent. En pratique, ce que nous observons – puisque nous traitons chaque année des dizaines de milliers de substitutions –, c’est que, globalement, la plupart des groupes bancaires respectent la loi, en particulier le délai de dix jours pour répondre à une demande de substitution. Dans ce paysage, le groupe CIC-Crédit mutuel constitue une véritable exception. Il continue à appliquer des délais excessifs et à rencontrer des problèmes de qualité dans les réponses apportées, notamment lorsqu’il s’agit d’objecter à une substitution. Que la première sanction vise une entité régionale du CIC ne nous surprend donc pas », affirme Xavier Laneurie, responsable des études dans cette filiale de la Macif en charge de l’assurance emprunteur.
La direction administrative a-t-elle succombé à l’envie de faire un exemple ? Xavier Laneurie poursuit : « Je ne sais pas s’il s’agit réellement d’un exemple, peut-être à destination du groupe dans son ensemble, c’est possible. Ce que nous constatons, c’est que si l’on met de côté ce groupe bancaire spécifique, nos relations avec les autres établissements se sont nettement améliorées depuis trois ou quatre ans. Concrètement, nos échanges se limitent à l’envoi de demandes de substitution et à leurs réponses, mais ces réponses sont devenues plus rapides et de meilleure qualité, ce qui facilite considérablement le processus de substitution au bénéfice des emprunteurs. Ce n’est clairement pas le cas du groupe CIC-Crédit mutuel, qui reste en décalage. Il n’est donc pas surprenant que cette sanction tombe chez eux. Il est même possible – je ne parle pas au nom de la DGCCRF – que l’institution ait identifié que le problème persiste essentiellement sur ce segment de marché, et qu’elle ait choisi de concentrer son action à cet endroit. »
Le bad buzz autour de l’amende nuit plus au groupe que son montant. Certains s'amusent d'ailleurs que ce soit le Crédit mutuel, pourtant à l’origine de la suppression du questionnaire de santé, qui ne respecte pas la résiliation infra-annuelle (RIA, cœur de la loi Lemoine). « À l’origine, la suppression du questionnaire de santé avait été conçue comme une contrepartie accordée aux banques (dans l’objectif de faciliter l’accès au crédit, et de ce point de vue, c’est plutôt un échec au vu de l’état actuel du marché) en échange de l’adoption de la résiliation infra-annuelle, décidée à l’époque en commission mixte paritaire. Cela illustre bien le fait que le groupe CIC-Crédit mutuel n’a jamais réellement souhaité la loi Lemoine, en particulier sur l’aspect de la résiliation infra-annuelle, et qu’il a tenté d’y faire obstacle en proposant la suppression du questionnaire de santé. Il n’est donc pas étonnant que ce soit aujourd’hui le groupe qui rechigne le plus à appliquer la RIA telle qu’elle a été définie par la loi », observe Xavier Laneurie.
Selon lui, malgré une communication enthousiaste des assureurs alternatifs, la loi Lemoine n’a pas pleinement ouvert le marché. Malgré un pic de substitutions de septembre 2022 aux premiers mois de 2023, le monopole bancaire demeure. « Chez Sécurimut, ajoute Xavier Laneurie, historiquement positionné sur la substitution pour le compte de grands assureurs sans offre de crédit, 90 % de l’activité relève désormais de ce segment. La croissance reste réelle mais non “explosive”, portée surtout par de nouveaux partenaires et une meilleure détection des propriétaires. La substitution, libérée des dates grâce à la RIA, convertit mieux que l’“initial”, où l’emprunteur pressé privilégie la banque. Sécurimut est donc moins exposé à la conjoncture, même si l’on observe des crédits moyens en baisse (hausse des taux), une rotation des stocks historiquement faible et un léger vieillissement des emprunteurs. Le stock n’augmente plus au rythme passé. »
Crédit photo : Wikimedia Commons, Ji-Elle
Quatre questions à David Echevin, directeur général du cabinet de conseil Actélior
« Lorsque le délai est raisonnable, il devient plus logique et plus acceptable de sanctionner son non-respect »
Que pensez-vous de l’amende infligée par la DGCCRF au CIC Est ?
Selon la loi, le traitement doit être effectué sous dix jours, ce qui n’a pas été respecté ici. De ce point de vue, la DGCCRF est pleinement dans son rôle. Cependant, si l’on se souvient des travaux menés au Comité consultatif du secteur financier (CCSF) il y a un an, il avait été souligné qu’il est important de fixer un délai, mais que le fait de le rendre difficilement atteignable n’a pas forcément beaucoup de sens. C’est avant tout un problème législatif. Peut-être faudrait-il envisager un délai de quinze ou vingt jours, afin qu’il soit réellement tenable pour les réseaux bancaires et donc mieux respecté. Car lorsque le délai est raisonnable, il devient plus logique et plus acceptable de sanctionner son non-respect.
La première sanction prononcée à l’encontre du CIC Est découle de contrôles effectués en 2023 et 2024 par la DGCCRF. Selon vous, s’agit-il d’un problème technique lié à un délai trop court plutôt que d’un manquement systématique au respect des délais de réponse ?
Si l’on se réfère aux chiffres du bilan du CCSF, les taux d’acceptation de substitution sont extrêmement élevés. À mon sens, la banque dispose de très peu de leviers pour refuser. Certains ralentissements sont observés pour des questions de conformité du solde restant dû du crédit, mais le sujet des équivalences de garanties n’en est plus vraiment un. Le vrai sujet concerne surtout la signature de l’avenant du crédit. Une fois que la banque a accepté la substitution, elle doit établir l’avenant, qui est ensuite envoyé au client. Celui-ci doit alors respecter le délai minimum de onze jours avant de le signer. Or, beaucoup de clients tardent à le faire, voire ne le signent jamais et ne le renvoient pas. Tant que l’avenant n’est pas signé, la banque ne procède pas au changement. Le problème est donc, selon moi, davantage lié à la fluidité du processus.
D’après vous, quels sont les grands sujets qui émergent encore en 2025 concernant l’emprunteur et le changement d’assurance ?
Pour moi, les vraies questions ne sont pas tant réglementaires que liées à la dynamique du marché, à la capacité d’action et au devoir de conseil. On a tendance à réduire l’assurance emprunteur à une question de prix. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’économie et de compétitivité tarifaire, mais moins des garanties. Or, au-delà des différences de prix, il existe des différences de couverture importantes.
L’encadrement du conseil en cas de changement d’assurance – c’est-à-dire l’analyse du contrat précédent par rapport au nouveau contrat – reste encore insuffisant. Ce point me paraît fragile. Il y a un risque que des contentieux émergent, car un emprunteur qui change d’assurance pourrait ne pas être pleinement informé des différences contractuelles et se retrouver insatisfait de sa nouvelle couverture.
Avez-vous constaté une croissance en 2025 sur les opérations de substitution ?
Les assureurs se tournent vers la substitution non seulement parce que le marché du crédit est en berne, mais aussi parce qu’il s’agit d’un vrai relais de croissance. La délégation d’assurance intervient au moment de la mise en place du prêt, lorsqu’un emprunteur informe sa banque qu’il souhaite passer par un assureur tiers. La banque peut alors présenter une contre-offre, et le client dispose de peu de temps, car il doit finaliser la vente chez le notaire. Dans ce contexte, demander une délégation peut s’avérer compliqué et l’emprunteur a souvent intérêt à souscrire directement l’assurance proposée par la banque.
En revanche, lorsqu’il s’agit d’une substitution d’assurance en cours de prêt, c’est la banque qui dispose d’un délai pour répondre. La contrainte du temps a donc changé de camp. Cela rend l’opération plus simple pour l’assureur alternatif : il est plus facile de capter un client six mois après la souscription que de le convaincre dès l’origine du crédit, sauf pour les gros capitaux ou les emprunteurs très aisés qui ont, dès le départ, un pouvoir de négociation vis-à-vis de leur banque.
Le marché s’est déplacé : la substitution est devenue un segment à part entière. Cela dit, cette dynamique fonctionne surtout pour les crédits récents. Au cours des deux ou trois premières années, les emprunteurs ont encore le dossier en tête et il est plus simple de les convaincre de changer. Pour les prêts plus anciens, c’est plus compliqué : les emprunteurs sont moins attentifs à leur assurance, le prêt étant déjà intégré à leur budget. Comme il y a eu peu de nouveaux crédits sur les trois dernières années, il y a mécaniquement moins de crédits jeunes, ce qui complique la tâche des acteurs alternatifs. Mais le marché reste considérable. Chez certains des plus gros acteurs de l’assurance alternative, la substitution représente 70 à 80 % de l’activité : c’est véritablement leur cœur de marché.