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Bilan de l’assurance française : après la crise, la relance !

Publié le 20 mai 2022 à 9h00

Louis Johen    Temps de lecture 12 minutes

Présentés par France assureurs, les résultats 2021 de l’assurance témoignent d’un vif rebond du secteur après le trou d’air de 2020. Si l’activité commerciale retrouve le rythme d’avant-crise, les assureurs continuent de surveiller de près des tendances de fond, tant en assurance de personnes qu’en dommages, qui s’inscrivent dans un nouveau contexte macroéconomique.

Les résultats annoncés ces derniers mois par la plupart des assureurs ne laissaient planer aucun doute : le millésime 2021 allait, pour le secteur, être à ranger aux côtés des très grands crus. Sur une base de comparaison 2020 au ras des pâquerettes car lourdement impactée par les effets de la crise sanitaire, l’assurance a profité du rebond économique et de la croissance de 7 % du PIB constatée l’an passé. Sur le plan macroéconomique, les planètes étaient ainsi alignées pour faire de 2021 un exercice florissant pour le secteur financier en général et l’assurance en particulier. « 2021 a marqué le vif rebond de l’économie après la mise à l’arrêt de pans entiers de notre économie en 2020. 2021, c’est aussi une année de grande performance des marchés avec une progression de près de 30 % du CAC 40 mais également une énorme inflexion sur le front des taux d’intérêt qui remontent après deux décennies de baisse », a résumé Florence Lustman, présidente de France assureurs à l’occasion de la présentation des résultats 2021 de l’assurance.

Difficile de ne pas performer dans un tel contexte. Et même si les pourcentages de progression de chiffre d’affaires bénéficient d’un effet d’optique favorable du fait de la crise de 2020, ils traduisent également des hausses observées dans toutes les branches par rapport à l’activité 2019. Ainsi, en assurance vie et capitalisation, 151,1 Md€ ont été encaissés en 2021, en hausse de 29,9 % sur un an. En 2019, le chiffre d’affaires de la branche s’était établi à 144,6 Md€, ce qui traduit une croissance de 4,5 % sur base comparable. En assurance santé et prévoyance, 26,5 Md€ ont été totalisés contre 25,4 Md€ en 2020 et 24,8·Md€ en 2019. Enfin, en assurances de biens et de responsabilité, les assureurs ont généré 62,4 Md€ de primes contre 60,1 Md€ en 2020 et 58,7 Md€ en 2019.

Un rebond global que les assureurs ne tiennent cependant pas pour acquis. « Cette année 2021, par certains aspects, nous paraît déjà lointaine », a ainsi tempéré Florence Lustman. Avec la guerre en Ukraine, une « nouvelle crise est venue se rajouter à ce temps de crises qui n’en finissent pas », a-t-elle poursuivi en soulignant la volatilité des marchés et l’émergence d’une inflation devenue galopante avec le conflit russo-ukrainien.

L’assurance vie à la relance

Mise au régime sec par la crise sanitaire, l’assurance vie fait mieux que de retrouver son poids de forme. Avec une hausse de presque 30 % de son activité, c’est elle qui tire la croissance de l’assurance en 2021. Il faut dire que l’exercice 2020 avait été particulièrement difficile pour une collecte qui avait souffert du confinement et de la mise à l’arrêt des réseaux commerciaux. « Cela démontre bien que l’assurance vie est un produit qui se vend et non qui s’achète. Pour souscrire un contrat, l’épargnant a besoin de conseil et cette mission est exercée par les intermédiaires », a souligné Florence Lustman. Placement préféré des Français, l’assurance vie a donc profité de son statut de « couteau suisse » pour faire revenir toute l’épargne forcée accumulée par les assurés en 2020. Et offrir au secteur un niveau de collecte record, au-delà du seuil symbolique des 150 Md€. Profitant d’une hausse moins dynamique des prestations de 7,3 % à 127,4 Md€, la branche s’offre une belle collecte nette positive qui a contribué à alimenter la lente mais certaine transformation de l’assurance vie. Avec des cotisations réparties à 61 % en euros, mais en collecte nette négative de 11 Md€, et à 39 % en unités de comptes pour une collecte en solde positif de 34,7 Md€, le stock assurance vie continue de se désensibiliser aux fonds garantis. En dix ans, la part des unités de compte dans les encours est ainsi passée de 16 % à 27 %. Un phénomène qui devrait se poursuivre, notamment du fait du dynamisme des PER, lancés en 2019 et qui ont recueillis 15,4 Md€ l’an passé, venus doper un encours qui totalise 29,6 Md€ au 31 décembre 2021. Sans compter l’eurocroissance, qui pointe le bout de son nez après des débuts compliqués. Favorable, comme le PER, aux unités de compte, le produit n’est certes pas distribué par l’ensemble des opérateurs d’assurance, mais a quand même fait progresser ses encours de 37 % l’an passé à 4,6 Md€.

Repartie sur des bases dynamiques en 2021, l’assurance vie a continué sur le même chemin en 2022 avec une collecte nette de 5,9 Md€ enregistrée sur les deux premiers mois de l’année qui continue de faire un peu plus la part belle aux unités de compte.

Attention à la casse en dommage du particulier

Si les chiffres de l’activité de l’assurance de biens et responsabilité restent bien orientés du fait de la reprise de l’économie, France assureurs continue d’observer une tendance de fond qui, depuis dix ans, fait que le coût des sinistres augmente plus vite que ne diminuent les fréquences. Une réalité masquée par un exercice 2020 atypique où les confinements avaient, en automobile, drastiquement fait baisser la fréquence des accidents corporels et matériels. D’un ratio combiné de 94,7 % en 2020, l’auto est ainsi revenue à 98,9 % en 2021. La courbe des coûts moyen n’avait, elle, pas connu le même trou d’air. « Pour les accidents corporels, la hausse annuelle moyenne depuis dix ans tourne autour de 6 % et reflète les barèmes qui résultent des décisions des cours d’appel », a indiqué Florence Lustman. Pour les dommages matériels, c’est essentiellement le coût des pièces détachées qui est responsable de l’inflation du coût des sinistres. « Les pièces détachées ont encore augmenté de 4,6 % en 2021 après avoir progressé de 5,6 % en 2020 et de 6,5 % en 2019. C’est un phénomène que nous dénonçons depuis des années », a insisté la présidente de France assureurs. Une avancée en la matière a été obtenue l’an passé par les assureurs avec la réduction à dix ans du monopole des constructeurs automobiles sur les pièces de carrosserie et d’optique. Mais cette réforme, qui entrera en vigueur en 2023, est jugée insuffisante par la profession qui demande de raccourcir le délai à cinq ans. « Le plus souvent, les véhicules de plus de dix ans sont assurés au tiers », justifie-t-on du côté de la fédération. Pour conjuguer baisse du coût des réparations et transition écologique, les assureurs ont aussi, à l’occasion de la COP 26, pris des engagements pour promouvoir la réparation durable, l’usage des pièces de réemploi et le soutien aux filières de l’économie circulaire.

Une démarche similaire a été entreprise dans la branche habitation, pour laquelle la profession s’est engagée sur le principe de « réparer plutôt que remplacer ». Car les tendances de fond en MRH suivent une route similaire en matière de dérive des coûts moyens des sinistres qui augmentent de 3,7 % en incendie et de 2 % en dégâts des eaux. Problème : la fréquence des sinistres dégâts des eaux est aussi orientée à la hausse (13 % en 2021). Au total, le ratio combiné (y compris Cat Nat) de l’habitation est passé de 98,1 % à 99,8 % sur un an.

Le risque professionnel revient au vert

Après une année 2020 marquée par une sinistralité élevée en risques professionnels du fait de la crise sanitaire, les assureurs sont revenus aux fondamentaux techniques et enregistrent un ratio combiné qui passe de 114,3 % à 97,3 %. Alimentés par les sinistres en pertes d’exploitation et en assurance annulation, les 8,8 Md€ de prestations versées en 2020 par la branche se sont réduits à 6,9 Md€ l’an passé. Un niveau qui reste toutefois plus de 10 % supérieur aux 6,2 Md€ de 2019. Du fait de la progression constante des coûts moyens depuis cinq ans, les tarifs ont continué d’évoluer à la hausse l’an passé.

Au total sur la branche IARD et pour la sixième année consécutive, les événements naturels ont occasionné un coût des sinistres supérieur à 3 Md€. « Les scientifiques et les économistes que nous avons réunis ont chiffré à 143 Md€ le coût des sinistres climatiques sur les trente prochaines années. C’est deux fois plus que le coût constaté sur ces trente dernières années », s’est alarmé la présidente de France assureurs en insistant sur le lourd travail qui reste à mener en matière d’éducation des populations, des collectivités locales et des entreprises à la prévention. Dans ce cadre, la fédération s’est félicitée de l’adoption dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur de sa proposition d’instaurer une journée nationale de la prévention.

Santé-prévoyance : les prestations grimpent plus vite que les cotisations

Même si cela ne se reflète pas dans la case chiffre d’affaires, qui continue d’afficher des croissances régulières depuis plusieurs années, le secteur de la santé-prévoyance a continué de subir les effets de la crise sanitaire en 2021. Ainsi en santé, les prestations ont bondi de 10 % pour s’établir à 12 Md€ quand les cotisations n’augmentaient « que » de 3,6 % dans le même temps. Un effet report de soins mais aussi 100 % santé. « 2021 a été la première année pleine de déploiement du 100 %. Cette réforme est un succès qui facilite l’accès aux soins pour les citoyens, mais elle coûte cher aux assureurs », a relevé Florence Lustman qui chiffre le coût additionnel de la réforme à 346 M€ pour les membres de la fédération. Un surcoût de 393 M€ en dentaire et de 70 M€ en audiologie que ne comble pas les 117 M€ d’économies réalisées sur l’optique. « Contrairement à ce qu’avait prédit le ministère de la Santé, il n’y a pas eu de compensation des impacts entre les trois postes », a fait remarquer la présidente de France assureurs.

En prévoyance enfin, les prestations qui avaient augmenté de 12 % à 9,2 Md€ en 2020 se sont maintenues à 9,3 Md€ l’an passé.

Quant à la dépendance, France assureurs semble bel et bien avoir abandonné toute ambition sur le marché des contrats de capitalisation. La fédération ne fait même plus l’effort de donner les chiffres d’un marché à l’encéphalogramme plus que plat depuis des années. « Nous avons manifestement atteint un palier sur la commercialisation de ces produits », a constaté Florence Lustman pour expliquer le changement de braquet de la fédération qui, l’an passé, s’est associée à la FNMF pour proposer une solution commune. « C’est une solution qui ne requiert aucun fonds public et qui peut se mettre en place très simplement en incorporant une garantie dépendance dans les complémentaires santé. On pourrait alors imaginer un nouveau type de contrat moins taxé », a détaillé la présidente de France assureurs. à la veille de l’élection présidentielle et dans un contexte de campagne où les questions sur le pouvoir d’achat ont largement pris le pas sur celles liées à la protection sociale, la mesure ne semblait pas encore avoir trouvé d’oreille attentive du côté des candidats à la présidence de la République.

Zoom sur

France assureurs, France employeurs !

Avec 250 000 collaborateurs employés dans 55 400 établissements, l’assurance est « un secteur dynamique, qui recrute, en pointe sur le dialogue social, et qui prépare l’avenir », juge France assureurs en mettant en avant une part des jeunes de moins de trente ans qui représentent 50 % des recrutements. Du côté de l’emploi salarié, la profession compte 153 000 personnes dont 93 % titulaires d’un CDI. De l’aveu de France assureurs, la profession doit cependant faire face au défi du développement de son vivier de compétences scientifiques et ingénieures. « Ce sont des compétences dont nous allons avoir encore plus besoin demain. Il en va de notre compétitivité nationale et nous constatons aujourd’hui un fossé grandissant entre les profils qui sortent du système éducatif et les besoins de nos entreprises », a ainsi alerté Florence Lustman, présidente de la fédération.

Trois questions à Florence Lustman, présidente de France assureurs

« L’évolution de l’activité est liée à la croissance de l’économie française, mais également à la montée des risques »

En santé et en prévoyance, les assureurs avaient, en 2020, beaucoup alerté sur les problématiques à venir du rattrapage des soins et des arrêts de travail. Ces rattrapages ont-ils eu lieu en 2021 ?

Ces craintes se sont matérialisées. La progression des prestations est restée très dynamique, surtout si on se focalise en santé où l’impact de la réforme du 100 % santé s’est doublé d’un effet de rattrapage de soins. Nous observons le phénomène sur l’audiologie et le dentaire, de nombreuses prises en charge ont été décalées dans le temps à cause de la situation sanitaire, malheureusement parfois avec une aggravation du risque parce que les personnes n’ont pas pu être suivies ou traitées à temps.

En assurance automobile, les consommateurs et les pouvoirs publics acceptent mal que les tarifs augmentent alors que la sinistralité baisse. Faut-il s’attendre à une communication plus poussée des assureurs sur l’inflation des coûts moyens des dommages ?

Il nous appartient en effet de mieux expliquer ces phénomènes. En assurance automobile, la fréquence des sinistres baisse continuellement depuis dix ans mais le coût moyen des sinistres augmente plus vite que cette baisse de la fréquence, qu’il s’agisse du coût moyen des sinistres corporels ou du coût des sinistres matériels avec l’inflation du prix des pièces détachées. Sur ce sujet, ce que nous disons depuis des années a d’ailleurs été entendu avec le raccourcissement de vingt-cinq à dix ans du monopole des constructeurs sur les pièces visibles. Nous pensons que c’est encore insuffisant mais cela va dans la bonne direction. Nous allons en mesurer l’impact et reprendre ensuite notre bâton de pèlerin pour convaincre qu’il faut aller plus loin et plus fort.

En assurance des professionnels, est-ce que le rebond des primes est uniquement imputable au rebond de la croissance ?

L’évolution du chiffre d’affaires est évidemment liée à la croissance de l’économie française, mais également à la montée des risques. Après quinze années de « soft market », c’est-à-dire d’augmentation des capacités et de baisse du coût de l’assurance, le marché a commencé à se retourner en 2019. On assiste à un retour aux fondamentaux techniques et à une prise en compte prospective des risques, notamment pour le cyber et les aléas climatiques.

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