Interview de la semaine

« Sans le régime Cat Nat, rester aux Antilles serait difficile pour un assureur »

Publié le 25 octobre 2018 à 8h00

Marie-Caroline Carrère

Jean-Louis Charluteau, directeur de la réassurance et risques naturels et du pilotage des projets techniques chez Generali France

Marie-Caroline Carrère
Journaliste

Jean-Louis Charluteau fait le bilan des indemnisations à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l’occasion de revenir sur les particularités du régime Cat Nat dans les outre-mer et d’évoquer sa réforme à venir.

Plus d’un an après le cyclone Irma qui a frappé Saint-Barth et Saint-Martin, le taux d’indemnisation versé par les assureurs ne dépasse pas les 67 % du coût total estimé à 2 Md€ selon la FFA, alors que le taux d’indemnisation des hôtels était de 91 % le 3

A Saint-Martin et Saint-Barthélemy, le coût final du cyclone Irma est estimé à plus de 2 Md€. L’île de Saint-Martin a été la plus touchée en raison du nombre d’habitants, de la typologie des bâtiments, et des taux de destruction mais aussi en termes de taux d’assurance. En effet, on estime que seul 40 % de la population était assurée. Generali a une part de marché substantielle de l’ordre de 30 % à Saint-Martin et de 15 % à Saint-Barthélemy. Le niveau de l’indemnisation que nous avons versé sous forme d’acompte à nos assurés, à fin septembre, au titre de cet événement s’élève à 68 % du montant total estimé. La deuxième partie de l’indemnité sera versée dans l’immense majorité des cas sur présentation des factures de réparation. Nous ne pouvons donc pas débloquer les fonds avant que les travaux ne soient finalisés.

Comment expliquez ces délais particulièrement longs ?

Nous avons déclenché les opérations d’indemnisation très tôt. Dès qu’il nous a été possible de nous rendre sur place nos équipes se sont mobilisées, nous avons ouvert une permanence et mené dans les meilleures conditions possibles les missions d’expertises qui sont indispensables. Nous avons versé les acomptes aussi rapidement que nous le pouvions (98 % de nos assurés ont reçu au moins un versement). L’indemnisation prend du temps pour des raisons qui tiennent à la fois à des particularités et à l’insularité.

L’insularité des territoires a soulevé plusieurs problématiques dans les mois qui ont suivi la catastrophe. Tout d’abord, nous avons eu une pression assez forte des autorités locales pour que les travaux de réparations soient menés par les entreprises saint-martinoises. Cette décision appliquée au contexte d’insularité de Saint-Martin a été lourde de conséquences et il a fallu quelques mois pour que les autorités reconnaissent qu’à elles seules les entreprises artisanales de Saint-Martin ne pourraient mener l’ensemble des travaux de reconstruction. Les autorités ont donc finalement élargi l’accès aux entreprises des Antilles pour intervenir sur les chantiers de réparation de constructions. Par ailleurs, il a fallu tout importer, le ciment, les matériaux de construction, l’outillage, les machines…

Le deuxième phénomène qui a retardé l’indemnisation a été les débats d’ordre technique qui relevaient de deux domaines : les titres de propriétés du bâti n’étaient pas toujours disponibles. Nous avons eu un souci d’authentification et d’identification.

Il y a eu aussi le fait qu’un certain nombre de propriétaires dans des copropriétés n’étaient pas connus. Il a fallu attendre qu’ils se manifestent ou que l’on puisse les identifier pour instruire les dossiers relatifs aux copropriétés qui sont nombreuses et qui, pour partie, ont été construites à des fins d’optimisation fiscales.

Vous avez là des raisons objectives qui tiennent à l’insularité et des difficultés d’ordre concrètes à instruire des dossiers.

Ensuite, bien évidemment, il y a les délais dus au processus d’indemnisation qui repose sur l’accord des parties et des expertises contradictoires. Cette recherche de consensus dans le règlement des dossiers à l’amiable s’est faite dans un cadre inflationniste notable puisqu'on estime que le coût de la réparation a enregistré un facteur d’inflation post catastrophe de l’ordre de 20 % par rapport à des coûts qui étaient déjà élevés.

Est-ce que Generali compte rester à Saint-Martin et Saint-Barthélemy ?

La réponse est oui. Nous opérons à Saint-Martin et Saint-Barthélemy via notre filiale locale GFA Caraïbes implantée sur ces territoires depuis de longues années. Tant que les modalités de réassurance nous permettront de poursuivre nos opérations d’assurance selon les règles de bon sens nous resterons à Saint-Martin et Saint-Barth. De façon générale, certains territoires d’outre-mer sont plus exposés aux éléments catastrophiques majeurs. Aux Antilles, il y a un risque cyclonique important, un risque sismique et un risque volcanique. Ces territoires concentrent un certain nombre d’aléas qui sans le recours à la solidarité nationale organisée par le régime des catastrophes naturelles seraient difficiles et de nature à remettre en cause la présence d’un assureur.

Si on devait recourir exclusivement à la réassurance des marchés libres de la réassurance internationale cela poserait aux compagnies d’assurance des problèmes de plusieurs natures, notamment un problème de prix et de capacité disponible. Il n’est pas sûr que l’on trouve suffisamment de capacités pour faire face aux engagements qui sont pris. En tout cas, il y a de fortes chances que ces capacités soient orientées à la hausse en termes de prix.

Le taux de non assurance en zone Antilles est évalué à 50 %. Si nous devions enchérir encore le prix de nos garanties d’assurance sous l’effet de l’augmentation des prix de la réassurance, il y a fort à craindre qu’un certain nombre d’Antillais ne puissent plus supporter l’effort financier de souscrire et surtout conserver un contrat d’assurance de dommages.

Le régime catastrophes naturelles tel que nous le connaissons en France métropolitaine s’applique-t-il à l’ensemble des outre-mer ?

Non. Le régime de catastrophes naturelles ne s’applique pas dans les pays d’outre mer, ainsi ce régime ne s’applique ni en Polynésie française, ni en Nouvelle-Calédonie. Il n’y a pas le prélèvement de la surprime de 12 % sur les primes dommages donc il n’y a pas de garantie du régime de catastrophes naturelles au sens de la loi française. Sur ces territoires, Generali délivre des garanties événements climatiques contractuelles et limitées dans leur étendue.

Aux Antilles, en Guyane, et à La Réunion et Mayotte qui sont des départements français, le régime des catastrophes naturelles s’applique naturellement et spécialement depuis la réforme de juillet 2001 qui inclut les vents cycloniques dans la couverture des catastrophes naturelles. Ce qui a constitué une avancée considérable dans ce mécanisme de solidarité nationale

Avant 2001, les vents cycloniques n’étaient pas garantis au titre des catastrophes naturelles dans les territoires d’outre-mer. En France métropolitaine, les tempêtes et vents forts ne sont toujours pas garantis par les catastrophes naturelles. Ce sont des garanties contractuelles.

Est-ce que la réforme du régime de catastrophes naturelles à venir va remettre en cause ces spécificités pour les Outre-mer ?

A ma connaissance, les réformes du régime Cat Nat envisagées sont plutôt des réformes en vue de faire disparaître quelques injustices, introduire un peu plus de prévention dans le dispositif, responsabiliser davantage les entreprises et les communes. Il n’est pas question de dissocier le sort de nos concitoyens d’outre mer de celui des métropolitains. Si cela était, cela relèverait du pouvoir politique.

Quels sont les changements principaux qui sont prévus par la réforme du régime de catastrophes naturelles ?

Le régime des catastrophes naturelles dépasse la sphère concurrentielle. Au niveau de la FFA, les assureurs ont partagé leurs réflexions, se sont appuyés sur les travaux de la Mission des risques naturels notamment et ont été en mesure de faire un certain nombre de propositions étayées et chiffrées aux pouvoirs publics. Ce sont des améliorations du régime afin qu’il conserve son efficacité, mais qu’il encourage davantage les assurés à mettre en œuvre des mesures de prévention.

Ces réformes répondent à plusieurs objectifs : supprimer quelques inégalités devant la loi (la franchise qui pesait sur les artisans, commerçants et prestataires de service a pu avoir pour conséquence de laisser à la charge de ces professionnels une partie trop importante du sinistre qu’ils ne pouvaient pas supporter) ; donner plus d’importance à la prévention (avec par exemple, la possibilité pour les grandes entreprise et les collectivités locales de déterminer elles-mêmes le niveau de franchise qu’elles sont prêtes à supporter en cas de Cat Nat), on veut encourager ces acteurs à prendre des mesures de précautions en relation avec la part de risques qu’ils sont prêts à conserver.

Nous demandons la prise en compte des frais de relogement. Ils sont par définition exclus de la garantie légale. Il y avait une sorte d’inégalité des assurés à ce niveau-là. En effet, lorsque la catastrophe se réalise, certains contrats MRH comprennent la couverture de frais de relogement, tandis que d’autres contrats non. Nous proposons d’investir collectivement, la Caisse centrale de réassurance et nous dans un dispositif qui reconnaisse l’éligibilité des frais de relogement, de les prendre en charge au titre du régime Cat Nat et ainsi de mettre les victimes sur un même pied d’égalité.

Dans le cadre de ces réformes, la FFA propose de modifier le rôle du Bureau central de tarification.

Nous souhaitons également donner un rôle de régulateur au Bureau central de tarification chargé de trouver une solution pour les assurés qui font l’objet de refus d’assurance en raison de leur trop grande exposition aux risques. Le BCT, aujourd’hui, était peu saisi parce que les assureurs savent très bien que s’ils refusent un risque et que l’assuré s’adresse au BCT ce risque leur reviendra dans des conditions techniques qui ne sont pas adaptées à la réalité de l’exposition. Nous demandons à ce que le BCT dispose d’une liberté de fixer le taux de sur cotisation, le montant de la franchise et les mesures de prévention et de protection. Si le législateur nous suit, le BCT pourrait devenir un organe de régulation des risques de pointe.

Mais plus généralement, au-delà du rôle du BCT, Il faut que les pouvoirs publics, les assureurs, les assurés soient des acteurs de la prévention de leur patrimoine.

Justement, quelles sont vos propositions pour développer la prévention ?

Pour renforcer la prévention, nous voudrions faire du fond Barnier un outil d’aide à la prévention individuelle des risques. Le fond Barnier est alimenté par un prélèvement de 12 % sur les primes Cat Nat des assurés. Or, ces ressources ne sont pas assez mobilisées pour financer les travaux de prévention. Nous souhaitons modifier son régime de fonctionnement afin d’en faire un outil capable d’aider les assurés exposés soit à faire des travaux de mise en conformité ou de prévention, soit à financer des mesures d’expropriation en cas de classement en zone noire. Nous voudrions quelque chose de plus concret, de plus individuel que le financement de mesures collectives

La FFA fait également des propositions en dehors du cadre de la réforme du régime des catastrophes naturelles…

Dans la loi Elan, une analyse du sol avant construction sera obligatoire dans les terrains argileux qui sont naturellement exposés au risque de sécheresse géotechnique et ses conséquences sur les bâtiments qui ne sont pas construits sur un socle de fondation approprié à la nature du terrain. Nous ne demandons que des mesures de bon sens. La sécheresse pourrait représenter à terme jusqu’à 60 % de la charge des catastrophes naturelle dans un contexte où leurs coûts devraient doubler par rapport à la charge que nous avons connue ces vingt-cinq dernières années.

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