Marketing

Rattrapage digital

Publié le 13 janvier 2020 à 8h00

Marie-Caroline Carrère

Le rattrapage sur le digital, le réglementaire et le réchauffement de la marque sont le moteur des investissements publicitaires du secteur de l’assurance. Gage de différence, la marque prend désormais une place essentielle dans les stratégies commerciales des acteurs.

Marie-Caroline Carrère
journaliste

En 2018, les recettes nettes totales du marché publicitaire français des médias incluant le digital s’élèvent à 14,4 Md€, en progression de 4,2 % par rapport à 2017. En ce qui concerne le périmètre global (télévision, cinéma, radio, presse, publicité extérieure, Internet), le marché est en progression de 5,9 % en 2018 vs 2017. Cette croissance affirmée provient principalement de la progression d’Internet (+17 %), notamment tirée par le display social (les formes de publicité digitale utilisant des éléments graphiques ou vidéos +63 %) et le search (mots-clefs +11 %). Au 1er semestre 2019, les recettes publicitaires nettes des médias s’élèvent à 6,718 Md€, en hausse de +3,8 % par rapport au 1er semestre 2018. Elles incluent le périmètre observé par l’Institut de recherches et d’études publicitaires (télévision, cinéma, radio, presse, publicité extérieure, courrier publicitaire, imprimé sans adresse) ainsi que les recettes internet (search, display, social et autres leviers). Si, au premier semestre 2019, les chiffres de Kantar Media annoncent une hausse de 6,8 % pour le secteur de la banque et de l’assurance, celui de l’assurance apparaît en recul de 2,8 % sur les neuf premiers mois de 2019 par rapport à la même période en 2018. L’ensemble des médias (presse, radio, publicité extérieure, cinéma et internet display) à l’exception de la télévision (+5,1 %) est en retrait. La télévision représente 55,08 % des investissements publicitaires des assureurs entre janvier et septembre 2019 suivie de loin par la radio avec 21,38 % et la presse avec 11,5 %. Les assureurs n’investissent que 8,39 % de leur budget publicitaire sur l’internet display. Cependant, sans le search et les médias propriétaires, ce dernier chiffre ne reflète pas la forte croissance du secteur digital. En effet, pour une vision complète du digital, il faut regarder l’internet display, le search et l’e-mailing, ainsi que les médias propriétaires. Ainsi, le digital en 2018 représentait 47 % des dépenses nettes publicitaires des assureurs (121 197 M€) en hausse de 17 % par rapport à 2017. En 2019, les assureurs ont axé leur stratégie publicitaire sur trois moteurs : l’investissement sur le digital, la réglementation (PER, RAC 0), et le réchauffement de la marque et la définition de sa raison d’être (brand purpose).

Accélérer sur le digital

« La caractéristique essentielle de ce marché, c’est le poids croissant du digital », constate Xavier Guillon, directeur général de l’agence France pub. Longtemps fidèles au cathodique et aux supports traditionnels (cf. LTA n° 231 janvier 2018), les assureurs ont du retard à rattraper en termes d’investissements publicitaires sur le digital. D’où la croissance forte de ce poste (+17 % search, +23 % médias propriétaires). Les investissements digitaux se répartissent en trois grandes catégories : le display (l’ordinateur bandeau bannière), l’achat d’espace (média propriétaire numérique) et l’achat de liens (search : SEO, SEA). Ainsi, les médias propriétaires numériques, c’est-à-dire tous les sites et applications de la marque, les développements technologiques, le data mining porté par la communication et l’animation des réseaux sociaux sont devenus un enjeu majeur. Notamment parce que plus de 40 % des ordinateurs sont aujourd’hui équipés d’un bloqueur de publicité (addbloker), expression de la publiphobie croissante des Français. Désormais, l’enjeu des assureurs est d’approcher le consommateur par la publicité sans l’irriter. Il ne veut plus de publicité intempestive (pop-up, SMS, appels…), mais du contenu ciblé qui corresponde à ses besoins, au moment où il en a besoin. Les médias propriétaires et le publirédactionnel (brand content) sont un bon moyen d’y arriver. « Avec la généralisation d’Internet et plus encore depuis l’avènement du mobile, la communication est devenue un « fil continu ». De fait, un sujet chasse l’autre comme en matière d’information par exemple. Nous y voyons aussi une formidable opportunité de renforcer le lien avec nos assurés. Nous développons pour cela une stratégie de brand content, c’est-à-dire que nous produisons des contenus riches qui sont disponibles sur nos espaces digitaux, et vers lesquels nous orientons les clients de façon totalement personnalisée au moment où ce peut être intéressant pour eux. Autrement dit, nous recherchons à être intéressants avant d’être intéressés ! La publicité est très importante pour développer la présence à l’esprit de la marque, mais ce n’est pas le seul levier de communication que nous utilisons pour renforcer le lien avec nos assurés », indique Bruno Lacoste, directeur de la communication de Maaf.

Axa, Allianz, AG2R La Mondiale, Groupama et Maif déclinent également cette stratégie. Cependant, le brand content se révèle coûteux (production de contenu, acheminement, diffusion). Avoir ses propres médias propriétaires numériques permet de réduire ces coûts d’acheminement et de diffusion, tout pouvant être piloté en interne avec les économies que cela implique. « La dynamique est particulièrement forte depuis six ans sur les médias propriétaires numériques (progression moyenne de 20 %) qui, rappelons-le, prennent en compte les investissements sur les supports digitaux des annonceurs (sites, applis et pages hébergées sur les réseaux sociaux), mais également le brand content pour nourrir ces supports et bien sûr le datamining pour exploiter les données collectées et gérer l’interaction avec leurs publics. L’objectif prioritaire des assureurs est de générer du trafic vers ces MPN, ils ont logiquement plus investi dans l’achat de liens (SEO, SEA) que dans le display », explique Xavier Guillon. De fait, les hausses sur le search sont dues d’une part à la mise en avant du brand content et d’autre part à l’augmentation des prix comme le constate Cécile Ribour chez Maif : « Notre stratégie search suit notre objectif de diversification. Nous achetons de nouveaux mots-clefs à la fois sur l’assurance de personne et le BtoB. Nos budgets search sont aussi en augmentation parce que nous sommes sur un terrain où les bancassureurs sont de plus en plus présents et agressifs, notamment sur l’IARD. On assiste, de fait, à une augmentation concurrentielle sur les mêmes mots-clefs entraînant une hausse des enchères et donc une augmentation globale des budgets. »

Le fait réglementaire

L’autre levier pour l’investissement publicitaire des assureurs est notamment la réglementation. Ainsi, 2018 et 2019 ont été des années riches avec le début du PER dans le cadre de la loi Pacte et la mise en place du reste à charge zéro. Les assureurs préparent souvent en amont ces changements avec des plans d’information, de pédagogie et de mise en avant des produits. « Le réglementaire ajoute toujours un peu de compétitivité au marché. En 2020, avec le RAC 0 et la résiliation de sa mutuelle à tout moment, la bataille des complémentaires santé est lancée. Les assureurs vont devoir faire de nouveaux efforts de communication », explique Francis Mahut, fondateur de l’agence de conseil digital Eficiens. Par ailleurs, la loi Pacte est une opportunité pour les acteurs de faire de la pédagogie sur les produits de retraite et sur le nouveau PER.

« Le contexte réglementaire peut impacter nos investissements publicitaires et orienter notre stratégie de communication. Par exemple, dans le cadre de la loi Pacte, une campagne est diffusée sur nos écrans dont le message porte sur la préparation de sa retraite mais également sur les dispositifs réglementaires », illustre Sylvain Burel, directeur de la communication de Groupama. « Le lancement du PER a été une excellente opportunité et ça a été le plus gros plan presse depuis dix ans, on a couvert 38 titres et 50 insertions, et travaillé des écosystèmes médias de manière complète notamment avec Les Échos, Le Monde et Le Figaro… Nous avons mené un travail avec les médias très pertinent mais aussi particulièrement efficace », confirme Thomas Boutte, directeur de la publicité et des médias chez Axa France et d’ajouter : « Nous avions démarré notre travail de pédagogie financière sur l’épargne retraite, dès 2018, avec de nombreux publirédactionnels et un travail de fond avec les journalistes pour qu’il y ait un décryptage informatif sur les changements qui allaient venir. Ce travail ayant été effectué, en 2019, nous avons voulu travailler la notoriété et la considération d’Axa sur l’épargne-retraite et donc communiquer sur le bénéfice immédiat des clients grâce à notre offre, avec une part de voix suffisamment importante pour qu’Axa soit identifié comme un acteur référent. »

Réchauffer la marque

De fait, si le réglementaire est une opportunité à saisir pour les annonceurs, il a pour effet négatif d’uniformiser les produits, les acteurs doivent donc redoubler d’efforts pour sortir du lot. D’ailleurs, face à cette uniformisation des produits sur un marché très concurrentiel, les assureurs n’ont d’autres choix que mettre la marque en avant. « La marque est devenue un élément de différenciation absolument fondamental dans un marché très concurrentiel. Le poids de la marque, les valeurs portées et le territoire de marque deviennent des éléments extrêmement différenciateurs. Il y a moins d’innovation par le produit que par l’environnement de services relationnels proposés », analyse Xavier Guillon de France pub. « On voit bien qu’on glisse vers une communication plus affinitaire, plus interactive, et plus émotionnelle pour laquelle le choix du support et l’environnement éditorial deviennent prépondérants dans la stratégie d’achat publicitaire », ajoute-t-il.

D’où l’importance pour les acteurs de revoir le message qu’ils véhiculent à leurs assurés et les valeurs qu’ils mettent en avant. « Nous avons l’objectif de faire très sérieusement notre métier, mais sans nous prendre (trop) au sérieux. C’est pourquoi nous cultivons un format publicitaire sous forme de saga : c’était le cas avec la saga Palace de 2004 à 2017, et c’est toujours le cas depuis 2018 avec un nouveau format issu cette fois des parodies de films d’espionnage, et qui met en scène des personnages et un environnement récurrents. Au-delà de transmettre efficacement le message associé à chaque campagne, notre objectif est que le téléspectateur, l’internaute, ait toujours plaisir à retrouver nos publicités en découvrant chaque nouvel épisode. En fait, nous utilisons les recettes gagnantes des séries ! », évoque Bruno Lacoste de Maaf. Pour Béatrice Willems d’AG2R La Mondiale : « Les services font désormais la différence dans la confiance qu’un assuré peut avoir dans la marque. La marque joue désormais un rôle essentiel. En santé, la différenciation est faible, mais nous misons tout sur la marque, sa capacité à dégager de la confiance et surtout, derrière, sur l’expertise des équipes. Nous ne sommes pas un discounter, nous sommes des experts qui accompagnons dans la durée avec une vraie dimension de conseil pour que nos assurés puissent faire les bons choix dans leur vie parce qu’ils sont très importants. La marque joue un rôle prépondérant, tout comme la qualité du réseau de distribution et de gestion. »

Chez Maif, Pascal Demurger et ses équipes ont opté pour l’entreprise à mission. Axa France de son côté mise depuis fin 2018 sur l’idée de « protéger et agir pour un futur serein » et sur sa signature « La confiance est une force ». « Axa France avait un déficit de chaleur, était perçue comme une marque peu humaine, peu empathique, trop sérieuse, qui parfois paraissait conservatrice, nous avons travaillé en profondeur notre stratégie publicitaire, tant sur le fond que sur la forme. Première action, le renouvellement de notre territoire créatif : une saga familiale qui mise sur l’humour, l’empathie, le coté décalé et qui propose toujours un bénéfice client de sérénité. Seconde action : valoriser notre engagement en prévention, pour passer d’un assureur qui assiste à un assureur qui prévient des risques. Ce sont ces deux actions qui ont réussi à faire évoluer l’image de la marque sur tous nos items de marque qui étaient un peu en faiblesse. En dix-huit mois, dix-sept campagnes ont été produites et diffusées, et nous avons gagné deux points de considération après cinq années de stagnation. »

Les assureurs affichent tous leur intention de chouchouter leur marque et de la préserver des « bad buzz ». « L’annonceur ne veut pas se retrouver, même s’il touche la bonne cible et sur des volumes importants, dans un environnement qu’il va juger néfaste par rapport au message, aux valeurs qu’il veut porter », analyse Xavier Guillon. Tendance qui explique que les assureurs mutualistes aient, en octobre dernier, retiré leurs campagnes publicitaires sur les tranches horaires de Cnews et Paris Première où sont diffusées les émissions d’Éric Zemmour, visé par une enquête pour « provocation à la haine ».

A lire également :

Cinq questions à Fanny Gilbert, directrice marketing, communication et distribution d'Entoria

Dépêches

Chargement en cours...

Dans la même rubrique

Nicolas Sinz élu président de l’Union des assisteurs

Le 7 février 2025, Nicolas Sinz, directeur général d'Europ assistance France, a succédé à...

«Marsh France est en croissance de 10 % sur 2024»

Fabrice Domange, à la tête de Marsh France depuis 2016, revient sur une décennie de transformations...

Panorama 2025 des capacités grands risques

À l'occasion des 32 Rencontres de l'Amrae, qui se tiennent à Deauville du 5 au 7 février, retrouvez...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…