Capital Market Union

Qu'attendre de la libre circulation des capitaux ?

Publié le 20 octobre 2016 à 7h00    Mis à jour le 20 octobre 2016 à 11h28

Vincent Bussière

L’Union européenne s'est lancée dans la création d’un marché unique des capitaux pour leur permettre de circuler librement dans tous les États membres afin de mieux irriguer les entreprises. L’assurance jouera un rôle de premier plan dans la titrisation, voire dans le financement des sociétés. À moins que la sortie du Royaume-Uni de l’UE ne vide ce projet de sa substance.

Vincent Bussière
Journaliste

Ceux qui s’y opposent et ceux qui l’appellent de leurs vœux s’accordent au moins sur un point : il s’agit d’un projet aussi crucial et fondateur pour l’Union européenne que le traité de Rome signé en 1957 ou l’acte unique de 1986. Composée de 33 mesures, l’ambitieuse Union des marchés des capitaux (Capital Market Union ou CMU) parachèvera l’intégration bancaire et financière des 28 États membres. Après la libre circulation des hommes, ou plutôt des ressortissants des pays adhérents, et celle des marchandises, il s’agit d’organiser, de préparer et de construire la libre circulation des capitaux, d’ici 2020, de Gibraltar, ou sans doute d’Algésiras, jusqu’à Riga aux portes de la Russie !

Et cela sans entrave ou barrière frontalière, réglementaire, fiscale, voire législative, y compris et surtout pour les flux financiers aux origines extraeuropéennes, une fois que les établissements financiers les originant se seront mis en conformité avec les normes préalables à la délivrance de leur passeport européen. Les vœux des promoteurs de cette union sont simples : renforcer l’attractivité européenne vis-à-vis des investisseurs du reste du monde et, par-dessus tout, permettre aux consommateurs et aux entreprises d’accéder à davantage d’instruments financiers qu’il s’agisse d’épargner ou de financer des investissements à moindre coût. En clair : offrir aux sociétés de toutes tailles un accès simplifié aux marchés financiers. Et donc réduire leur dépendance au crédit bancaire. Ou, comme le résume Gildas Surry, analyste chez Axiom Alternative Investment, « créer un gigantesque marché actif et liquide de financement de gros ou Wholesale pour les sociétés et les intermédiaires financiers, non pas cantonné à la zone euro, mais étendu à toute l’UE. Ce qui, in fine, représente une révolution copernicienne pour les assureurs et mutuelles actifs sur le Vieux Continent, génératrice de multiples opportunités pour le secteur ».

Dépendance au crédit bancaire

La succession de crises financières qui ont secoué l’Europe a permis à ce songe d’un supermarché financier à grande échelle de sortir des limbes et de se hisser sur sa rampe de lancement. Outre que la monnaie unique s’est retrouvée plus d’une fois au bord du gouffre, la crise financière de 2008 et l’assèchement du crédit bancaire qui s’en est suivi ont mis en exergue un véritable fossé entre l’Union européenne, les États-Unis, ou même la Chine. En effet, les entreprises françaises, italiennes, allemandes ou danoises se tournent plus volontiers vers les banques que vers les marchés financiers pour financer leur expansion. Au point de développer une véritable dépendance au crédit bancaire.

Mais voilà : « Quand une tornade boursière lamine le cours des banques et entraîne toujours plus bas la valeur de leurs actifs, leur premier réflexe est de fermer le robinet des prêts à leurs clients qui se trouvent à leur tour fragilisés. Ce qui entraîne l’économie dans le cercle vicieux que nous connaissons », sourit fataliste un haut fonctionnaire en poste à la Commission de Bruxelles. Dans le Midwest ou dans l’Empire du Milieu, en revanche, le recours aux marchés financiers est davantage ancré dans les mœurs des chefs d’entreprise : seulement 3 % des entreprises américaines s’adressent à une banque pour se financer contre 14 % de leurs homologues européennes. En matière d’émission d’obligations convertibles sur les marchés, 4 % seulement de ces dernières y ont recours contre 11 % des premières. Outre une plus grande diversité de sources de financement, cela permet également de mobiliser davantage l’épargne retraite des ménages, déposée dans les banques et chez les assureurs ou encore dans les fonds de pension, vers le financement de l’économie réelle, plutôt qu’alimenter le puits sans fond du refinancement des déficits publics. Et en matière d’économies, le bas de laine européen a de quoi faire rêver : plus de 94 000 Md€, apportés pour un peu moins d’un tiers par les ménages, dont près de 15 000 Md€ logés dans l’assurance. En matière de réaffectation, en revanche, l’évaporation est flagrante : seulement 39 300 Md€ financeront des investissements productifs, et 16 000 Md€ combleront les « fins de mois » des états membres, le solde quittant notamment les frontières.

Gisement d'opportunités

Puisqu’il faut mobiliser davantage de ressources pour financer l’économie réelle, cette union sonne comme un formidable gisement d’opportunités pour le secteur de l’assurance. D’abord parce que cette promesse de libre circulation des capitaux d’un point à l’autre de l’Union européenne implique de nouvelles activités commerciales et de nouveaux produits transfrontaliers. Autant la Commission de l’UE que la Banque centrale européenne ou l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) plaident pour l’accès des consommateurs européens à de véritables fonds transfrontaliers qui auraient aussi l’avantage de réduire leurs risques intrinsèques en raison d’une plus grande diversification géographique des actifs investis. « La vocation des assurances est d’investir sur le très long terme pour servir des retraites. Au contraire, les banques ne peuvent s’affranchir du court terme. Si le carcan réglementaire des compagnies se desserre, on peut raisonnablement imaginer que les entreprises pourront se financer à moindre coût, plus vite et plus facilement », admet un banquier d’affaires.

« L’assurance finance déjà les entreprises via des investissements dans du direct lending ou des prêts de gré à gré. Le marché unique des capitaux devrait les inciter à prêter davantage, et compléter efficacement l’action des banques, même s’il ne s’agit en aucun cas de s’y substituer. Les banquiers resteront le point d’entrée numéro un des sociétés sur les marchés financiers », nuance Gildas Surry. Mais, outre l’espoir de la création d’un cadre européen pour des fonds de pension, l’essentiel est ailleurs : la marche vers l’Union des marchés des capitaux s’accompagne surtout du grand retour de la titrisation, elle aussi défendue de concert par Mario Draghi, le gouverneur de la BCE et Lord Jonathan Jill, le commissaire européen à la stabilité financière, aux services financiers et à l’Union des marchés des capitaux (sur le départ). À condition bien sûr que cette titrisation soit entourée d’une très grande transparence et délestée de sa sulfureuse réputation, en partie erronée, quant à son rôle dans le déclenchement de la crise des subprimes. « Elle va augmenter les possibilités de transfert de risques. Elle permettra au secteur de l’assurance de piloter avec davantage d’efficacité son profil de risques et sa solvabilité », précise Gildas Surry. « Les compagnies pourront transférer sur les marchés financiers des portefeuilles de risques opérationnels, mais pas des risques financiers ou de crédit. Les banques disposeront de cette faculté », complète-t-il. Récemment, Crédit Suisse s’est lancé dans un tel montage en titrisant une partie de ses risques opérationnels vers les marchés. « L’ILS (Insurance Linked Securities) émerge comme une classe d’actifs à part entière. C’est l’une des conséquences du marché unique des capitaux. Tout comme l’extension du champ des Cat Bonds [cf. l’article que La Tribune de l’Assurance y consacrait le mois dernier p. 64 , NDLR] à des risques de mortalité, alors que ces instruments financiers ne concernaient pendant longtemps que des catastrophes naturelles », poursuit l’analyste d’Axiom Alternative Investment.

Statut dérogatoire ?

Afin de concrétiser cette Europe des capitaux, il faudra tout de même éviter quelques obstacles et tenir compte de diverses réalités. Le résultat défavorable du référendum britannique sur le maintien dans l’Union européenne du Royaume-Uni n’est pas le moindre de ces écueils. La City plaide en faveur de l'Union des marchés des capitaux. Mais de facto, le Brexit l’exclut du jeu même si c’est à Londres qu’est traité le plus gros des transactions financières en euro. Ce pays obtiendra-t-il un statut dérogatoire comme à l’issue de l’élaboration de la régulation bancaire dans l’UE ? À moins qu’il ne soit tenté de conclure des accords bilatéraux avec les États-Unis, la Chine, l’Inde, etc., sur la promesse d’un accès à sa super place financière, antichambre de ce grand marché ? Reste aussi à espérer que le successeur de Lord Hill, démissionnaire le 25 juin dernier, fera preuve du même entregent. Reste enfin à ne pas rééditer certains pêchés de jeunesse qui ont compromis la mise en place et le développement de la monnaie unique : la superposition d’un projet économique ambitieux à l’échelle du Vieux Continent sur des espaces nationaux encore trop disparates tant du point de vue fiscal que politique. Car, s’agissant de la familiarisation des entreprises de l’Union européenne avec les financements disponibles sur les marchés financiers, le contraste est saisissant entre d’une part les sociétés allemandes, néerlandaises, italiennes ou même françaises, lesquelles n’hésitent plus à émettre des obligations ou des titres hybrides pour financer leur développement et celles d’Europe centrale et orientale, ou de la péninsule Ibérique, dont les financements demeurent majoritairement corrélés aux crédits bancaires classiques.

L'Union des marchés des capitaux a presque tout pour plaire au secteur : un surcroît de flexibilité à disposition des assureurs pour gérer leurs risques et un accès au marché financier fluidifié tant pour les entreprises que pour les ménages. Reste à exaucer un vœu de toute la profession : que cette marche vers le supermarché financier européen ouvre aussi les yeux des régulateurs sur la somme abyssale de contraintes que les normes et réglementations prudentielles font peser sur les bilans des institutions financières. Et donc sur leur capacité future à irriguer l’économie.

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