Julien Maldonato, associé conseil industrie financière, expert des sujets d'innovation et de transformation digitale chez Deloitte
journaliste
Les assureurs sont en quête de l'innovation qui viendra bouleverser le secteur. Entre partenariats avec des InsurTech, innovation interne et investissements, ils tentent coûte que coûte d'être les premiers à trouver la pépite. Julien Maldonato, associé conseil industrie financière, expert des sujets d'innovation et de transformation digitale chez Deloitte, fait le point sur le niveau d'innovation et de digitalisation du secteur.
Comment se situent les assureurs en termes d’innovation ?
Les assureurs sont dans une phase dynamique. Ils allouent beaucoup de moyens à la modernisation et à l’innovation. L’utilisateur final, l’assuré, ne voit pas toujours les retombées directes de ces innovations. Cependant, quand il s’agit d’optimisation des processus, de digitalisation, finalement c’est lui qui finit par en bénéficier. Il y a quand même des progrès dans le traitement de demandes clients. Il y a notamment des améliorations, même si ce ne sont pas des innovations de rupture.
Contrairement à d’autres industries, les assureurs rencontrent la difficulté d’une relation client plus pauvre qu’ailleurs. En dommages, les assurés interagissent en moyenne tous les sept ans avec leur compagnie ou leur distributeur. Sans oublier que le produit d’assurance est très réglementé, ce qui enlève beaucoup de latitude en termes d’innovation. Malgré ces obstacles, le secteur tente d’innover. Si les assureurs sont plutôt à la recherche de nouveaux services différenciants et de moyens de démultiplier les points de contacts, les AssurTech essaient de réinventer cette partie interactionnelle en amont d’une souscription ou en aval lors de l’interaction sinistre en misant sur les interfaces mobiles, notamment via l’intelligence artificielle et la maîtrise de la data. Globalement, c’est une industrie qui se modernise.
Justement, où en sont les AssurTech françaises ?
Force est de constater que les débuts des start-up depuis quelques années sont plus que difficiles. Elles ont du mal à percer dans un marché très conservateur et sur un produit réglementé. Il est extrêmement dur de construire une notoriété dans le domaine de l’assurance en tant que nouvel acteur.
Par ailleurs, la France a la particularité d’être un des pays où les primes d’assurance sont les moins chères. Dans les pays anglo-saxons, les InsurTech arrivent à prendre des parts de marché parce qu’elles jouent sur le prix. En France, elles n’ont pas ce loisir et c’est une difficulté supplémentaire qu’elles rencontrent pour réinventer l’assurance.
Les assureurs se sont-ils trompés dans leur stratégie inno ?
Innover c’est essayer, essuyer des échecs et dans une minorité de cas aboutir sur un succès. L’exemple des applications, même si elles n’ont pas marché, montre bien qu’en vingt ans, les assureurs sont passés d’une industrie complètement traditionnelle, averse aux risques, à une industrie plus ouverte à la prise de risque, à l’investissement et qui a créé la plupart des grandes structures des fonds d’investissements dans des InsurTech.
Cependant, force est de constater que pour l’instant, toutes les tentatives d’innovation de rupture sont infructueuses. Pour moi, il n’y a pas eu d’erreur stratégique mais plutôt un mouvement d’innovation qui teste des solutions.
Aujourd’hui, les assureurs avancent sur l’innovation incrémentale dans la modernisation des processus. Ils n’ont, en revanche, rien trouvé sur l’innovation de rupture. Elle viendra peut-être de la distribution traditionnelle qui a beaucoup souffert. Il va falloir prendre garde aux nouveaux acteurs de la relation clients. Les bancassureurs ont déjà pris une grosse part du gâteau de la distribution avec leurs réseaux bancaires, la deuxième vague viendra peut-être des réseaux…
Y a-t-il une augmentation de la défiance des Français envers l’innovation dans l’assurance ?
Effectivement, nous notons que désormais une majorité des Français refuse la robotisation de la relation client, c’est-à-dire avoir un robot, un chatbot, un hologramme ou un voicebot en face d’eux. Ils veulent échanger avec un humain. Cette aversion pourrait s’expliquer par les expériences négatives avec les robots, et les chatbot. Les assureurs ont compris le message et ont décidé de réallouer les chatbot et l’intelligence artificielle pour aider leurs conseillers et en faire des conseillers augmentés.
Et une réorientation stratégique des assureurs ?
Tout d’abord, il y a eu la création de directions d’innovation ou de la transformation puis effectivement, les directions générales ont bousculé ces services et parfois même coupé les têtes des directions parce qu’elles n’avaient pas les résultats escomptés en termes de ROI. Les assureurs n’avaient pas compris que la culture de l’innovation est une culture de l’aventure venture-capitaliste, c’est-à-dire 90 % de paris ultra risqués, essentiellement des échecs et moins d’1 % de succès. Cette réussite, le secteur l’attend encore. Les directions générales ont fait des réorganisations qui ont changé les structures, et ont passé des politiques et des consignes plus prudentes en termes de prise de risque et de participation en innovation. Rien n’a été drastiquement coupé mais il y a eu une sorte de retournement dans les stratégies, les investissements sont plus prudents, raisonnés et contrôlés. Les acteurs misent davantage sur des projets incrémentaux que sur de l’innovation de rupture parce que ceux qui avaient investi dans les start-up de la blockchain ont compris que la technologie n’est pas encore mature, elle est beaucoup trop instable pour continuer d’investir.
Si les assureurs ne se rendent pas plus présents dans la vie de leurs assurés, s’ils ne démultiplient pas les points de contact, ils risquent de perdre définitivement le contact direct avec leurs assurés et se contenter du rôle de simple porteur de risques. Les GAFA sont présents dans la vie quotidienne de l’ensemble des assurés. Ce sont les experts de l’expérience clients. Ils maîtrisent la data et travaillent dessus sérieusement. A terme, ils pourront prédire les comportements des assurés, mais surtout leurs besoins. Si les assureurs ne se sont pas positionnés sur les services et la data, ça risque d’être compliqué.