Christophe Graber, La Réunion aérienne et spatiale
Journaliste
Christophe Graber, directeur général de La Réunion aérienne et spatiale, fait le point sur sa stratégie et le secteur après une année 2018 techniquement compliquée.
2018 a-t-il été un bon cru pour La Réunion aérienne et spatiale ?
2018 n’est pas une bonne année, elle est même déficitaire pour nos partenaires assureurs et réassureurs et pour le secteur en général. Quatre-vingt dix pourcents de notre activité viennent de l’aviation et 10 % du spatial. Nous pratiquons les deux activités de manière professionnelle et exclusive. En assurance aviation, nous avons réalisé 175,3 M$ de CA dont 120,2 M$ pour les compagnies aériennes, 37,8 M$ pour les constructeurs et les aéroports et 17,3 M$ pour l’aviation générale. En 2018, nous affichons un ratio combiné de 117 %.
La Réunion spatiale, quant à elle, a récolté 13,5 M$ de primes, soit 12,5 M$ pour les lancements et 1 M$ pour la vie en orbite, et affiche un ratio combiné de 81 %.
Comment se positionne La Réunion aérienne dans le secteur ?
Nous sommes un acteur très impliqué sur les compagnies aériennes. Notre taux de pénétration est de l’ordre de 90 %, c’est-à-dire que nous couvrons neuf sièges commerciaux sur dix dans le monde. Nous couvrons des parts allant de 1-2 % jusqu’à 12-13 %. Sans être forcément apériteurs, nous pouvons nous positionner de manière assez importante et sommes dans une démarche de redéploiement de cette capacité en fonction de la qualité du risque sur les compagnies aériennes qui représentent encore 70 % de notre chiffre d’affaires.
Nous opérons également sur le marché des constructeurs, sur le compte Airbus mais pas sur Boeing. Nous travaillons pour revenir sur le risque Boeing mais pas à n’importe quelles conditions. Nous sommes plus sélectifs sur les risques que nous prenons. Je considère que la plupart des polices d’assurance de ces mégaclients sont très larges et couvrent beaucoup de choses. Elles sont assez peu bordées et donc difficiles à appréhender par l’assureur pour calculer le prix de son risque. Nous sommes plutôt en position d’attente avec une part de marché bien moins importante et une potentialité de déployer de la capacité sur ce marché, mais seulement quand les conditions nous paraîtront adéquates. Notre plan de marche a fonctionné avec une voilure réduite parce que nous avons estimé qu’il n’y avait pas le bon niveau de prix et surtout un spectre trop large. Les modules de garantie sont aujourd’hui beaucoup trop ouverts et ne nous permettent pas toujours de faire notre métier d’analyse du risque et de pricing.
Enfin, en assurance aviation, notre troisième segment reste l’aviation générale. Nous sommes leader du marché en France avec une présence très forte au travers des réseaux de nos compagnies adhérentes Covéa (MMA), Gan, Generali. Nous travaillons également beaucoup avec les courtiers locaux, ce qui nous donne une bonne distribution du risque sur le territoire national et une forte part de marché historique.
Dans quel contexte macroéconomique opérez-vous aujourd’hui ?
Le marché est tenu par les grands courtiers anglo-saxons : Aon, Marsh, Willis et anciennement JLT. Ainsi, depuis fin 2018, l’intégralité des grands comptes aviation est placée par ces courtiers aussi bien dans le domaine des compagnies aériennes que chez les fabricants.
2018 était une année de fin de cycle bas avec clairement des primes au niveau mondial qui n’ont jamais été aussi basses. Nous avons connu une bonne décennie de baisse des prix avec un seuil qui ne permet plus au niveau mondial de payer les sinistres.
L’exercice passé a pourtant été peu accidentogène en termes de nombre de morts mais il n’en demeure pas moins que le niveau de primes mondial était tellement bas qu’il ne suffisait plus à absorber la sinistralité attritionnelle et il a suffi de quelques sorties de piste sans mort mais avec des dégâts matériels importants pour dégrader les ratio combinés du secteur.
C’est encore plus vrai pour l’exercice 2019 avec le crash d’Ethiopian et le grounding de Boeing, mais même avant cela, nous étions déjà en bas de cycle sur le marché de l’aviation. Les prix n’avaient jamais été aussi bas que début 2018, puis ils se sont stabilisés pour une courte durée avant une certaine remontée liée à un besoin de restaurer les marges techniques au dernier trimestre. La plupart des opérateurs présentait des comptes d’exploitations déficitaires.
Globalement, c’était une année assez peu satisfaisante, sans oublier que certains comptes comme Airbus ont présenté une sinistralité assez importante en 2016 et 2017 qui a coûté cher aux assureurs.
Le marché a connu des hausses allant de 10 % à 30 %, est-ce une tendance durable ?
La diminution du nombre de compétiteurs et la concentration des marchés ont permis de faire enfin remonter les prix. Un certain nombre d’acteurs ont arrêté de souscrire de l’aviation devant ces mauvais résultats. Par ailleurs, la fusion Axa XL pourrait entraîner une révision potentielle de la capacité, soit du fait de leur propre politique de souscription, mais aussi de la part des clients et des courtiers qui n’ont pas forcément envie de concentrer toute la capacité.
Le marché a ainsi commencé à se tendre. La conjonction des deux phénomènes, à savoir des mauvais résultats statistiques et comptables associés à la réduction du nombre d’acteurs, ont permis aux assureurs d’être plus sélectifs sur les prix et les risques, laissant moins de place pour les taux dégradés demandés jusque-là par les courtiers.
Le marché avait besoin de se transformer. Ce correctif a été amorcé en 2018 et se poursuit en 2019. Nous avons encore besoin de gagner de la marge. Ce n’est pas l’orientation prise en 2018 qui nous permettra d’atteindre un niveau de résultats techniques acceptables et d’absorber un choc. Il est normal que le marché soit bénéficiaire sur plusieurs exercices et reconstitue ses réserves pour le cas échéant faire face à un sinistre d’ampleur. Idéalement, il faudrait arriver à une vitesse de croisière et compter sur une sagesse collective mais aussi arrêter les surenchères dans un sens comme dans l’autre.
De son côté, le marché spatial est encore très surcapacitaire. Beaucoup d’opérateurs veulent prendre des risques, or très peu de satellites sont lancés. Néanmoins, nous constatons que l’activité redémarre et la sinistralité est mieux prise en compte. Nous nous attendons à un redressement dans les années à venir.
La structure financière de La Réunion aérienne et spatiale a été renforcée successivement en 2018 et 2019 avec les arrivées de deux nouvelles mandantes : le Chinois PICC Property & Casualty et Helvetia assurance SA.
Le 1er janvier 2018, le tour de table de La Réunion aérienne et spatiale a été ouvert au Chinois PICC. Au 1er janvier 2019, nous avons accueilli un autre membre : Helvetia. Ces deux acteurs sont venus renforcer le tour de table et solidifier notre structure financière. Un tour de table à cinq est mieux qu’à trois, il y a une meilleur répartition du risque.
Helvetia nous apporte une diversification et c’est un spécialiste notamment du transport.
La France est notre marché cœur mais l’ouverture du marché chinois représente pour nous des perspectives de développement, surtout en aviation générale, c’est une des raisons pour lesquelles nous avons noué ce partenariat avec PICC dans le but d’un jour être beaucoup plus présents. PICC est clairement un axe de développement parce que le marché chinois n'en est qu’au début. Si la Chine est le premier marché de passagers transportés en airlines, l’aviation générale est, quant à elle, embryonnaire. Nous souhaitons être présents au moment où ce marché s’ouvrira.
Quelle est votre politique de souscription ?
En tant qu'assureur spécialisé, nous opérons au cas par cas, à nos conditions, avec une équipe composée d’une vingtaine de souscripteurs et nous faisons partie des entreprises du secteur à avoir le plus de personnel sur la souscription. Nous avons également plus de vingt personnes en sinistres, ainsi qu'une organisation dédiée à ce risque et souscrivons chaque affaire.
Quels sont les risques émergents ?
Nous travaillons beaucoup sur le cyber. Nous avançons bien sur un système de business intelligence. Nous faisons également de la prospective en matière de comportement de risque en fonction de certaines typologies d’appareil, mais aussi selon les phénomènes météo. Nous travaillons également sur le big data, cela permet de dégager des comportements de risque différents selon les choix d’appareils et les zones géographiques, les équipages… C’est intéressant et assez prometteur même si encore embryonnaire.
Comment va évoluer le marché et quelles sont les perspectives de La Réunion aérienne et spatiale ?
L’année 2018 était l’amorce d’un redressement et il ne faut pas s’essouffler, il faut garder le même tempo pour 2019. Je dirais qu’il faut a minima une deuxième année de majorations tarifaires du même ordre pour stabiliser les niveaux de prix et ensuite ne surtout pas retomber dans la spirale baissière.
Pour La Réunion aérienne, nous souhaitons nous ouvrir davantage sur le risque manufacturier mais pas à n’importe quel prix. Enfin, pour l’aviation générale, nous prospectons sérieusement en Chine afin d’être sur le pont quand le marché s’ouvrira.